Le Plan «Alluvion dans les Andes» et l'assassinat du président Gonzalo

-article de Luis Arce Borja- 17 mai 2002

Les EP ont soutenu par une déclaration , la conférence internationale du 27 septembre 2003 pour défendre la vie du Président Gonzalo et les droits des prisonniers politiques et de guerre.

Depuis 1992, date de l'arrestation du président Gonzalo, les services secrets et l'Etat Péruvien n'ont jamais cessé de faire circuler toutes sortes de fausses nouvelles, car ils n'ont qu'une seule volonté: celle d'en finir avec le PCP et la révolution péruvienne. Cette politique de fausses nouvelles, a eu comme résultat de diviser et d'affaiblir le mouvement de soutien international à la révolution au Pérou et au PCP. Ainsi des divisions de toutes sortes ont éclaté vis-à-vis du MPP -Mouvement Populaire Pérou-, du Comité Sol-Pérou du MRI -Mouvement Révolutionnaire Internationaliste- dont est membre le PCP. Des organisations se présentent faussement comme « représentant du PCP » etc... Une situation ou un chat ni retrouverait pas ses petits. Il est évident que cette page doit nous inciter au débat, même si nous ne pouvons pas trancher définitivement toutes les questions.

Une des résolution de la Conférence Internationale réclamait au sujet du Pdt Gonzalo qu'il "soit présenté au public, en direct, devant les médias du monde, et qu'on le laisse parler. ". Cette résolution est aussi critiquée par des militants dont l'honnêteté du soutien à la cause de la révolution péruvienne ne saurait être mis en doute. C'est pourquoi nous reproduisons ci-dessous la présentation du texte par un internaute et l'article de Luis Arce Borja.

 

Le texte de Luis Arce Borja nous a été envoyé par un internaute qui nous précise:

"Voici un texte qui date du 17 mai 2002 de Luis Arce Borja qui je crois n'est pas connu des lecteurs du site EP. Je vous le propose pour l'édition parce qu'il apporte des informations sérieuses pour mieux juger de la revendication que Gonzalo soit présenté "publiquement devant la presse internationale" (Conférence Internationale du 27 septembre 2003 pour la défense de la vie du Président Gonzalo), diffusé d'abord par les partisans des lettres de paix (Morote et d'autres), en liens avec le gouvernement péruvien et les services de police et militaires péruviens, et qui ont servi à manipuler des rébellions de prisons (par exemple, la rébellion de la prison de Yanamayo en février 2000).

La même revendication est apparu au niveau international comme le montre cette conférence internationale. Comme le montre le texte ci-dessous, des révélations de Rafael Merino, ex-bras droit de Montesinos (ancien conseillier de Fujimori) montre que l'auteur des lettres de paix est lui-meme. Dans ce cas, l'idée de vouloir que Guzman soit présenté publiquement pour savoir vraiment ce qu'il pense (alors que depuis 1993 personne ne sait vraiment s'il est en vie et que le gouvernement lui attribue la paternité des lettres de paix) est ce qu'il y a de plus néfaste pour toute individu ou organisation qui veut soutenir le processus social de ce pays. Comme si c'était possible que Guzman soit présenter à la presse international sans faire allégeance au gouvernement péruvien.

En espérant que ce texte attire votre attention."

Le Plan «Alluvion dans les Andes» et l'assassinat du président Gonzalo

Luis Arce Borja

www.eldiariointernacional.com

En 1994, El Diario Internacional publiait l'article Opération Capitulation : Histoire secrète des « lettres de paix ». Dans ce texte, nous avions signalé que les « lettres de paix » que Fujimori et Montesinos attribuaient faussement au Chef de la guérilla péruvienne étaient écrites « suivant une conception criminelle et sinistre qui impliquait l'assassinat du Président Gonzalo ». Nous disions alors « qu'avant ou depuis » celui-ci devenait la principale victime des vrais auteurs des lettres et nous avions qualifiées celles-ci de vulgaires mensonges fabriqués dans les bureaux du Service de renseignement national (SIN). A la lumière de cette incontestable dénonciation, nous affirmions aussi qu'à partir de la publication de la première «lettre de paix » (octobre 1993), il existait désormais seulement deux possibilités au sujet du destin du président Gonzalo : la première était qu'il avait été assassiné depuis avril 1993 lorsqu'il avait été transféré à l'île San Lorenzo à la prison militaire de Callao. La seconde était que le président Gonzalo était toujours en vie mais que son existence se déroulait dans des conditions pénales brutales d'annihilation physique et mentale.

Quelle hypothèse développée en 1994 semble aujourd'hui la plus juste ?

L'idée que le président Gonzalo a été exécuté clandestinement depuis avril 1993, plus exactement avant le mois d'octobre de la même année, s'est renforcé à partir d'une série d'éléments secrets rendus publique depuis la chute de Fujimori et de Montesinos. Il existe plusieurs indices, y compris des témoignages, qui nous permettent de vérifier de façon plus détaillée cette hypothèse. Par exemple, on sait aujourd'hui que les « lettres de paix » demandant une négociation de la guerre populaire n'ont pas été rédigées par le président Gonzalo comme l'a propagé le gouvernement. Son auteur, selon une auto-confession, est Rafael Merino Bartet qui a revendiqué en être l'auteur (Déclaration à Caretas, 9 mai 2002). Les déclarations de Merino révèlent non seulement le véritable auteur des missives de paix, mais montrent aussi les incohérences dans le maniement et le montage de celles-ci. Comme nous allons le voir, les affirmations de Merino confrontées avec les témoignages de Montesinos (les « vladivideos », ses témoignages vidéos) ne donnent aucun résultat cohérent et c'est le fruit des mensonges que le gouvernement a tenté de propager afin d'occulter durant 9 ans la disparition du chef guérillero en le présentant comme auteur d'un « accord de paix » qui n'a jamais existé.

Aujourd'hui, on sait aussi que le plan élaboré et exécuté le Service de renseignement national (SIN) pour « faire capituler Gonzalo » se dénommait d'après Vladimiro Montesinos « Alluvion dans les Andes » ou « Tempête dans les Andes » comme l'a dit Merino à la revue Caretas. Selon la version de Merino, ce plan avait deux parties : la phase A destiné à soutirer des informations au prisonnier et la phase B qui consistait à convaincre le président Gonzalo « que sa capture signifiait la décapitation de son organisation » et qu'il n'y avait pas d'autres voies que la capitulation. Ce que cache Merino, ce sont les méthodes qui furent utilisés pour atteindre ces deux phases. Aucun doute que ce plan en question fut exécuté dans les caves de la SIN et que ses ingrédients furent la torture, le crime, le montage vidéo, la falsification de lettres et une abondante publicité dans les moyens de communication. Les vidéos sur le président Gonzalo et les «lettres de paix » qu'ont présenté aussi bien Fujimori que Montesinos et Merino pour montrer « la capitulation de Gonzalo » furent les éléments centraux qui ont soutenu le plan « Alluvion dans les Andes ». Merino est un civil de 69 ans, dont 34 ans au service des militaires. Depuis 1968, il s'est compromis avec les dictatures militaires successives. Il a servi le général Velasco Alvaredo puis le général Morales Bermudez. En 1980 (fin des dictatures directes des Forces Armées) il a commencé sa carrière au Service de renseignement national (SIN) et, à partir de 1990, il a été sous les ordres de Montesinos.

On sait aussi aujourd'hui (selon des témoignages que nous avons trouvés dans ce même article ) que le président Gonzalo disparu fut remplacé par un personnage qui ressemblait physiquement au président Gonzalo. C'est sur la base de ce montage théâtral qu'a été construit la vie virtuelle du président Gonzalo. Lors de cette « résurrection » de laboratoire, qui sert aujourd'hui à propager la « grève de la faim de Gonzalo » ou le récent « dialogue » (1er mai) entre le président de la « Commission de Vérité et de Réconciliation » et le chef guérillero. Il apparaît aussi que Montesinos dirigeait « le comité central du Parti Communiste du Pérou » que depuis 1993 le SIN fit fonctionner à la Base Navale de Callao. Montesinos en rend lui-même compte quand les vladividéos montrent comment il convoquait et dirigeait les «débats » du « comité central » avec, entre autres, Osman Morote, Edmundo Cox, Maria Pantoja et d'autres capitulateurs qui s'étaient mis à travailler pour Montesinos et le SIN.

Les «lettres de paix»: la dimension stratégique et la mort du Dr.Guzman.

Les « lettres de paix » constituent l'élément clé pour comprendre pourquoi Fujimori et Montesinos ont exécuté clandestinement le chef de la guérilla péruvienne, au lieu de le fusiller comme ils l'avaient planifié en septembre 1992 et approuvé au conseil des ministres. Pourquoi ces lettres ? Elles furent réalisées comme la partie centrale d'un plan stratégique antisubversif de grande ampleur dont le but fondamental était l'application d'un stratagème politique servant à liquider l'armature politico-idéologique (la pensée Gonzalo) de la guérilla maoïste. Comme l'a dit lui-même Montesinos, la mise en place de cette opération psychologique était « d'assurer la déroute stratégique de Sentier lumineux ». En effet, aussi bien les experts américains qui depuis 1980 participent activement à la lutte contre la guérilla maoïste que la police péruvienne étaient convaincus que la capture du président Gonzalo (septembre 1992) bien qu'elle soit un fait important dans la lutte contre-insurrectionnelle, était loin d'assurer la fin de « Sentier lumineux ».

La propagande officielle qui a vu dans la capture du président Gonzalo la déroute stratégique de la guerre populaire s'est désenflé aussi rapidement qu'augmentait l'activité subversive au Pérou. Selon les chiffres officiels de la police et de l'armée, alors que pour l'année 1992 on enregistrait 2.992 actions subversives, en 1993 elle augmentait pour atteindre 3.760. En réalité, ce qui s'est produit fut diamétralement différent de ce qu'en dit la propagande qui parlait de la « déroute de Sentier lumineux » mais qui ne disparut ni pour la police ni pour les fonctionnaires nord-américains. Le colonel Benedicto Jimenez Baca, un des chef de la police anti-terroriste du Pérou (DINCOTE) qui participa à l'équipe de police qui captura le président Gonzalo dit ainsi que « la détention d'Abimael Guzman Reinoso le 12 septembre 1992, avec trois des membres du Comité Central constitua une victoire importante mais seulement du point du vue tactique et non stratégique. » (Benedicto Jiménez Baca : Inicio, Desarrollo y Ocaso del Terrorismo en el Peru, Tome II, mai 2000). Que faire alors pour que la capture du chef maoïste se transforme de triomphe à la Pyrrhus en « déroute stratégique » de la subversion ? Cette question fut posée en termes plus solennels par la Sous-commission des Affaires de l'Hémisphère Occidentale du Congrès des Etats-Unis. En effet, le 23 septembre 1992, peu de temps après la capture du président Gonzalo, cette instance du congrès américain se réunit spécialement pour analyser le « phénomène sendériste ». Cette réunion fut présidé par Robert G. Torricelli qui posa une seule question : « La préoccupation la plus immédiate sans doute est : que faire de Guzman et comment assurer que sa capture signifie la fin de l'organisation de guérilla Sentier lumineux ? ». C'est à partir de cette interrogation comme le formula le sénat américain qu'est apparu le plan (Alluvion dans les Andes) pour démolir la pensée Gonzalo et à partir de là essayer de liquider de cette façon la fibre idéologique de la révolution péruvienne.

Et, en effet, tel que nous l'avions noté dans « Opération Capitulation », le but politique des lettres de paix fut de rompre l'unité entre la pensée Gonzalo et son gestateur. Il est clair que s'opposer aux fondements idéologiques et politiques du PCP ne pouvait provenir directement d'aucun organisme de l'Etat, encore moins de la police et des forces armées qui par nature et formation intellectuelle sont incompétentes pour faire face à la subversion sur ce terrain. Les partis politiques officiels ainsi que leurs fameux intellectuels (sendérologues, etc.) avaient fait plusieurs tentatives en vain depuis 1980 pour s'opposer aux théories et aux projets doctrinaires des maoïstes péruviens.

L'unique moyen d'atteindre ce but était de dresser Gonzalo contre Gonzalo, ou plutôt de faire en sorte que le chef de la guérilla péruvienne rejette tout le chemin théorique pratique parcouru depuis la première moitié des années 60 jusqu'à sa capture. Fondamentalement, on a cherché à le présenter comme quelqu'un reniant ses principes idéologiques-politiques et son ouvre militante dans la doctrine marxiste. Alors que le président Gonzalo avait jusqu'à sa capture qualifiée Fujimori de pauvre diable, « fourbe et cynique, de boiteux accroché à la pointe des baïonnettes. Ce n'est pas un homme de principes. » (Discours et commentaire sur le coup d'Etat, II plenium du Comité Central, avril 1992), il flattait aujourd'hui par le moyen des « lettres de paix » ces qualités de président triomphateur et y compris parlait d'établir avec lui des négociations de paix. De même, alors qu'il avait dit avant que la guerre était l'unique voie pour résoudre le problème des pauvres du Pérou, il disait aujourd'hui que « la paix est une nécessité absolue de la nation et de la société péruvienne ». Alors qu'en septembre 1992 (discours de la cage) il appelait à continuer la guerre populaire, il disait aujourd'hui qu'il l'abandonnait pour tomber dans les bras de la police fujimoritste. Alors qu'il disait avant que le capitalisme bureaucratique n'était pas valable, aujourd'hui il disait que Fujimori établissait des bases pour le développement économique du pays et naturellement pour le capitalisme bureaucratique. Alors qu' il disait avant que « le commandement ne meure jamais », il disait aujourd'hui que le parti était décapité et qu'il ne valait pas la peine de continuer la lutte pour le pouvoir. Alors que dans son dernier discours, il appelait à la formation de l'Armée Populaire de Libération, il demandait aujourd'hui la dissolution de celle-ci. Et ainsi de suite, perdu dans la négation de sa vie et de son ouvre, le président Gonzalo devenait, de grand stratège politique et révolutionnaire de premier ordre du Pérou et d'Amérique Latine, un politicien de peu d'envergue qui analysait stupidement les choses à l'envers et mettait les problèmes politiques du pays et du monde la tête en bas.

La dimension stratégique des « lettre de paix » est venue d'un régime mafieux qui a gouverné le pays sans le moindre scrupule moral où l'art du mensonge, de la tromperie, du montage, du chantage et des bobards policiers se sont convertis en une alchimie pour changer le jour en nuit et le mensonge en vérité. Une des caractéristiques principales du jeu politique du pays dans lequel furent fabriqué les « lettres de paix » est la manigance dictatoriale et policière de l'Etat, du pouvoir judiciaire et des moyens de communication. A travers les révélations aujourd'hui des vladividéos, on connaît comment des millions de dollars ont été distribués aux journaux, aux revues et aux chaînes de télévision par la mafia de palais du gouvernement. Dans ce cadre, le Service de renseignement national (SIN) et les autres organismes militaires et policiers ont eu le contrôle absolu de l'information et des nouvelles. C'est là, sur ce terrain propice au montage médiatique que surgirent les « lettres de paix » qui du début à la fin furent entourés de mensonges incohérents fabriqués par Vladimiro Montesinos et le Service de renseignement national (SIN). Il faut dire qu'absolument toute la presse péruvienne a informé depuis octobre 1993 sur les « lettres de paix » et s'est nourrit exclusivement du SIN et des mains elles-mêmes de Vladimiro Montesinos. Je ne connais pas une enquête indépendante de journalistes péruviens au sujet de cette affaire. C'est à travers eux que l'information sur les missives de paix et la « capitulation de Gonzalo » a eu, du début à la fin, une orientation policière et antisubversive.

Un paquet de montages et de mensonges incohérents.

Il suffirait de faire la liste des mensonges absurdes et de l'incohérence de celles-ci pour mettre fin aux derniers doutes de la nature des « lettres de paix » comme provenant du Service de renseignement national (SIN) et non pas du président Gonzalo. Ainsi, par exemple, le 13 septembre 1993, Fujimori démenti, à travers la chaîne 2 de la télévision (TV contrôlée par Montesinos), que le gouvernement traitait avec le chef de la guérilla maoïste, dont il dit « qu'on arrive pas à le faire capituler à cause de son cadre mental très rigide de dirigeant de la guerre subversive ». Il rajouta en plus que « Abimael Guzman n'a ni radio, ni télévision. Il n'a pas non plus de journaux, ni de revues, seulement une Bible sainte qu'il relit continuellement » (La Republica, 13 septembre 1993). Curieusement, le même jour de l'élocution télévisée de Fujimori, le SIN était en train de réaliser la première rédaction des « lettres de paix » (ils sont consignés dans un document intitulé « Asumir y combatir por la Nueva Gran decision y Definicion » que le gouvernement mis sur le compte du président Gonzalo et que le SIN s'est chargé de distribuer au Pérou et à l'étranger.) Fujimori ne connaissait-il pas ces faits ?

Deux jours après ces déclarations, c'est-à-dire le 15 septembre et à seulement 48 heures de la négation par Fujimori de la capitulation du président Gonzalo, Fujimori obtenait la première « lettre de paix » dans laquelle il demandait « à négocier la guerre populaire ». Il ne faut pas oublier curieusement que la première « lettre de paix » fut rendue publique le 1er octobre 1993 au siège des Nations Unis (ONU). C'est dans cette même salle qu'en août 1990, la représentation nord-américaine avait présenté un montage de film contre l'Irak (l'assassinat au Koweït de 300 nouveaux nés) qui servit de prétexte « humanitaire et moral » pour que le Conseil de Sécurité à l'ONU approuve la guerre contre l'Etat iraquien.

Quel miracle a-t-il eu lieu pour qu'un Gonzalo lisant seulement la Bible et complètement isolé du monde extérieur, comme l'avait dit Fujimori à la télévision, finisse par signer une déclaration de capitulation ? Cette incohérence est encore plus flagrante lorsqu'on sait que le 6 octobre 1993 (près de 20 jours après la première lettre) il envoyait une seconde lettre plus explicite, enfermé depuis peu dans une cave sous terre et ne lisant que la Bible, et où il faisait « une analyse concrète de la situation concrète » du pays comme il le dit dans cette missive en reconnaissant la déroute de la guerre populaire et en adressant des louanges aux succès obtenus par Fujimori. Comment fit ce Gonzalo pour faire son « analyse concrète » sans regarder la réalité ? Le montage dans ce cas est évident, et on voit bien l'auteur et la provenance d'une telle « analyse ». Seules Fujimori et Montesinos avaient intérêt à présenter la situation péruvienne fleurie et toute rose. C'est-à-dire montrer le contraire de la réalité brute. En octobre 1993, le système politique péruvien était brisé par le coup d'état militaire dirigé par Fujimori et Montesinos et l'Etat entrait dans une ère de corruption sans limites. La faillite économique, sociale et politique connaissait son plein apogée dont l'expression la plus significative était l'indigence de plus de 60% de la population péruvienne. Dans ce contexte, la reprise de la guérilla maoïste était évidente, une situation qui s'exprimait (selon les chiffres du gouvernement) par 305 actions de guérilla par mois.

Mais l'irrationalité et l'incohérence de l'histoire des « lettres de paix » ne provient pas exclusivement de l'ex-président péruvien. Vladimiro Montesinos et Rafael Merino qui réclament aussi la paternité de la capitulation de Gonzalo, tombent à chaque instant dans des contradictions grotesques sur le sujet. Par exemple, dans une conversation tenue le 14 avril 1998 avec des agents secrets des Etats-Unis, Montesinos signale que la signature des « lettres de paix » lui a pris « une année de travail » et comme il le dit, il a dû pour cela aller «toutes les nuits » de « 10 heures du soir jusqu'à 3,4 heures du matin » convaincre Abimael Guzman. (Transcription de la vladividéo 876, 14 avril 1998). Pour sa part, Rafael Merino Bartet, affirme (Caretas du 9 mai 2002) que faire plier Guzman et le pousser à la capitulation lui coûta « trois ou quatre réunions », pour « lui faire voir qu'il n'y avait aucun sens à continuer la lutte armée ». Ainsi de suite, ils fabriquent les plus invraisemblables mensonges. D'un côté, Montesinos parle d'une vidéo où on voit des images du président Gonzalo signer les « lettres de paix » et dit que le faire signer lui coûta une année de travail. D'autre part, sur le même sujet, Merino dit qu'il a fait un film semblable, mais à la différence que cette vidéo s'est faîte les premiers jours des réunions avec Gonzalo. Montesinos, en parlant du président Gonzalo dit de lui que « c'est un analyste, un type cérébral, le type est un philosophe, non un homme quelconque et il a une profondeur dans ses paroles. C'est un type réfléchi, un homme très fin... un génie, un type brillant. » (transcription de la vladividéo 876, 14 avril 1998). De son côté, lorsqu'il parle du niveau intellectuel du président Gonzalo, Merino dit : « Il m'a déçu profondément. Je pensai rencontrer quelqu'un d'imposant et une plume puissante. J'eu l'impression d'être en face d'un homme d'un seul livre. Abimael ne connaissait que Mao » (Déclarations à Caretas, 9 mai 2002).

Pourquoi tant d'incohérences dans la version officielle sur « les lettres de paix » et du président Gonzalo ? Ce n'est pas assez de raconter une seule histoire et des faits réglés à l'avance ? La méthode de propager différentes versions pour cacher la principale et la vraie version est un vieux truc qu'utilisent les armées et les appareils de renseignement depuis des dizaines d'années. Dans la hiérarchie militaire, cela s'appelle « guerre psychologique » ou « guerre de renseignement ». Les mensonges entrecroisés de Fujimori, de Montesinos et de Merino cherchent à créer le chaos dans cette histoire, et à partir de là d'occulter la disparition du président Gonzalo et de couvrir le montage autour des « lettres de paix ». Ces petites histoires, en apparence inoffensives et la plupart du temps stupides, ont un but politique bien précis. Par exemple, Merino raconte (Caretas, 9 mai 2002) que lors des « conversations avec Guzman », « je lui demandai s'il nous aurait tué s'il avait pris le pouvoir. Il répondit que non et qu'au contraire le parti nous aurait donné des postes importants. Il dit au docteur Montesinos qu'il lui aurait donné le Ministère de l'Intérieur et à moi le Service de renseignement national. » Ici, l'invention de Merino a comme véritable but de présenter le président Gonzalo comme un pauvre homme qui en quelques semaines perd toute notion de la réalité et du caractère de classe de l'organisation de la société socialiste. Et y compris qu'il soit capable de nommer comme Ministre de l'Intérieur Montesinos au lieu de le faire juger à la peine capitale !

En plus de l'exemple que nous venons de mentionner, il y a d'autres indices qui montrent que les « lettres de paix » s'insèrent dans un montage qui avait débuté en 1993 et qui continu encore aujourd'hui avec des méthodes plus subtiles. Dans une des vladividéos, on peut voir avec quel cynisme Montesinos traitent cette affaire et les mensonges qu'il a proférés, y compris à ses proches. Dans la transcription de la vladividéo A15-B8, Montesinos discute avec Tuleda Van Breugel. Là, il lui raconte comment le président Gonzalo lui a dit que l'interview faîte par El Diario en juillet 1988 n'existait pas et que tout était dû à un montage que lui (Abimael Guzman) avait autorisé pour « prouver qu'il existait ». Montesinos raconte de la manière suivante sa supposée conversation avec le chef guerillero : « Regarde, tu l'as faîtes l'année 88 (l'interview), Arce Borja l'a réalisé dans El Diario comme l'Entrevue du Siècle.C'est vrai ou pas ? Bon, me dit-il (Gonzalo), c'est une chose qu'en réalité je n'ai jamais faite mais que j'ai autorisé pour apparaître comme vraie. » (Transcription audio réalisée par le Congrès de la République, le 13 octobre 2001). La conversation Montesinos-Tuleda est un moment exceptionnel qui montre comment Montesinos a mis dans la bouche du président les mensonges les plus absurdes. Affirmer que le chef de la guérilla ait dit que l'interview fut une chose fabriquée par El Diario correspond à cet instant à la volonté du gouvernement d'effacer tout le valeureux legs théorique réalisé par le chef de la guérilla péruvienne, résultat de près de 30 ans de lutte sociale. « L'Interview du Siècle », comme nous l'avons appelé, constitue un des apports majeurs fait par le journalisme péruvien. Il est impossible de concevoir que le président Gonzalo (s'il est toujours en vie) pourrait nier une interview qui s'est faîtes sur la base d'un accord du Ier Congrès du PCP en 1988. La négation de « l'Interview du Siècle » de la part de Montesinos est du même tonneau que les « lettres de paix ». Ces impostures ont largement été réalisées avec l'assurance que le président Gonzalo a disparu depuis longtemps et qu'il ne pourra pas répondre ses détracteurs.

Contrairement de ce qu'on affirme officiellement, les lettres de paix ne cherchent pas une négociation politique entre la guérilla et le gouvernement. Au Pérou ou dans n'importe quelle partie du monde, la négociation entre la subversion et l'Etat sont des faits qui mettent en présence deux parties en lutte qui, à côté du caractère politique de la négociation (capitulation, traités diplomatiques, etc), discutent des propositions et des demandes. Dans le cas péruvien, la lutte armée qui se poursuit ne peut en aucun cas être négocié par des prisonniers, encore moins par des membres du haut commandement emprisonnés (pour la sécurité du parti et selon un raisonnement logique) et qui sont en marge de la direction de la guerre. Dans le cas des « lettres de paix », comme montage et plan antisubversif, seuls ses inventeurs peuvent en tirer un avantage (le gouvernement). Dans le cas hypothétique où il aurait négocié avec Montesinos, le président Gonzalo aurait eu pour le moins la possibilité de réclamer qu'on soulage son dur traitement carcéral dans lequel on le maintient et de le faire sortir de son cachot à plus de 6 mètres sous terre. Ceci n'a pas été fait publiquement et il est donc absurde de croire que la négociation a existé. Le plus ingénu des mortels sait que dans le déroulement d'une négociation, plus on réclame, plus on gagne. En ce qui concerne une guérilla comme la guérilla péruvienne qui, en 1993 effectuait près de 4.000 actions militaires par an, les négociations si elles ont existé auraient été plus importantes et plus négociées. Dans ce cas, les négociateurs (qui se sont présentés comme dirigeants de la guérilla) auraient pu obtenir quelques avantages personnels et pourquoi pas la liberté. Mais il semble que ce n'ait pas été le cas et que les capitulateurs comme Morote, Maria Pantoja, Cox Beuzeville et d'autres qui se sont jetés comme des tapis persans aux pieds de Montesinos, continue à être emprisonné comme avant et ils en sont aujourd'hui réduits à faire des grèves de la faim pour continuer à vendre une capitulation de peu de valeur.

 Assassinat et vie virtuelle du président Gonzalo.

Dans la logique sinistre des « lettres de paix », le président Gonzalo devait être assassiné pour après « ressusciter » et demander « un accord de paix » avec Fujimori. Dans ce chapitre de l'histoire secrète des
« lettres de paix », Montesinos, conseillé par des experts de la CIA américaine et soutenu par le gouvernement et les forces armées, s'est chargé de construire la vie virtuelle du chef de guérilla. Ni techniquement, ni politiquement il n'a eu beaucoup de difficultés pour fournir les tabloïdes et présenter les
« lettres de paix » comme si elles provenaient du président Gonzalo. Les sommes à cette fin étaient considérables. Les dollars provenaient du trafic de drogue, du saccage de l'Etat et de la « collaboration » directe Nord-américaine. Aussi bien Montesinos que Fujimori recevaient plus de MILLE MILLIONS de dollars par an du commerce de la drogue. Tous cela avec la bénédiction de la CIA. Comme le raconte dans un article la journaliste américaine Karen de Young (publié le 22 septembre 2002 dans le Washington Post), la CIA a affirmé en plusieurs occasions que Montesinos était un bon allié des Etats-Unis et que les accusations qui existaient contre lui en matière de droits de l'homme et de trafic de drogue n'avaient pas été prouvées. En effet, Montesinos était le fils préféré de la CIA et c'est avec son appui que le conseiller de Fujimori est allé jusqu'à fabriquer un montage filmé de manipulation contre le général Mac Caffrey, le tsar de la lutte anti-drogue des Etats-Unis.

 Entre 1990 et 2000, la CIA (Central Intelligence Agency) livra secrètement 10 millions de dollars à Montesinos pour soutenir le travail de renseignement national. La majeure partie de cet argent a servi pour financer la fabrication des « lettres de paix ». Avec l'argent, les classes politiques du Pérou et leurs parties, au milieu d'un processus de décomposition total, se sont converti en « opposants dociles » d'un régime qui avait le contrôle total de l'Etat et de la société civile. Dans ce cadre, le Service de renseignement national (SIN) contrôlait la télévision, la majorité des journaux, des revues et des émissions radios du pays. Comme on le sait aujourd'hui, Montesinos remettait des millions de dollars à plusieurs chaînes de télévision et au moins à une douzaine de moyens de communication écrits. Dans ces conditions, rédiger quelques lettres avec la même écriture que celle du président Gonzalo et une ou plusieurs vidéos pour le présenter à la télévision n'offraient aucun problème pour un gouvernement mafieux qui imposait sa volonté grâce au crime, à la répression et au chantage. La vie virtuelle du président Gonzalo, comme l'a dit Montesinos, est venue de « l'inspiration » d'un film. Cette partie de l'histoire a surgi à la lumière lorsque Montesinos a raconté ses exploits à Tuleda qui à ce moment là était l'ambassadeur fujimoriste aux Nations Unies. Là, Montesinos en parlant des « lettres de paix » a raconté ce qui suit : « C'est comme ça et tu sais d'où j'ai eu l'idée : du film. C'est en lisant le résumé que l'idée m'est venue. ce travail me coûta une année et à la fin le Président alla aux Nations Unies avec la lettre qui demandait un Accord de paix. Tu t'en souviens ? Cette lettre me coûta une année de travail, une année entière... » (Conversation Montesinos-Tuleda, transcription audio réalisée par le Congrès de la République, 13 octobre 2001). Dans cette « vie virtuelle » de cinéma, le chef de la guérilla a disparu physiquement mais il est revenu à la vie à travers des trucages cinéma et pourquoi pas ne pas le remplacer par un acteur lorsque les conditions le demandent.

 Sur ce dernier point, il y a une preuve en forme de témoignage qui conduit à la certitude que depuis 1993 quelqu'un a rempli le rôle de théâtre pour remplacer le chef de la guérilla. Une preuve très importante pour arriver à cette conclusion, c'est la dénonciation qu'on fait lors d'un communiqué public (mars 2000) un groupe de prisonniers de guerre de la prison de Yanamayo et qu'aucun moyens de communication n'a publié. Ces prisonniers ont raconté qu'ils avaient été conduit de la prison de Yanamayo à la prison de la Base Navale de Callao le 22 novembre 2000 pour se réunir avec le président Gonzalo. Là, ils ont été emmenés dans une salle où peu de temps après un officiel de la Marine entra accompagné d'un individu qui prétendit se faire passer pour le chef de la guérilla maoïste. Le militaire de la Marine leur dit « voici votre chef » et une courte conversation débuta entre les visiteurs et le supposé président Gonzalo. La conclusion qu'en tirèrent les prisonniers de Yanamayo sur la rencontre avec « le président Gonzalo » à la Base Navale est que c'était un imposteur assez grossier et d'une préparation politique nulle. D'après la propre histoire des prisonniers de Yanamayo, la personne avec qui ils parlèrent « .démontre qu'il ne connaît pas les évènements et les accords du Parti.La réaction a prétendu nous tromper en remplaçant le Président Gonzalo dans sa soif de cacher la réalité, et de continuer à tromper le peuple avec l'accord de paix, sa créature qui échoue aujourd'hui. En analysant les faits nous sommes arrivés à la conclusion qu'il existe une possibilité qu'on ait fait disparaître le Président Gonzalo. » (Prisonnier de guerre de la prison de Yanamayo, mars 2001).

 Sans aucun doute, la fabrication de la vie virtuelle du président Gonzalo a signifié pour Montesinos un de ses meilleurs gains obtenu avec le Service de renseignement national (SIN). Ce fait, lancé dans la balance antisubversive a sans aucun doute eu plus de poids que la capture elle-même du chef de guérilla en septembre 1992. Ceci n'a pas été oublié par Montesinos, lui qui en octobre 2000 (sans que personne lui demande) et au moment où il se trouve en pleine disgrâce, annonçait au téléphone à Radio Programas du Pérou qu'il avait « sauvé Abimael Guzman de l'exécution par fusillade.». Il voulait dire ainsi que grâce à sa gestion il n'a pas eu besoin d'appliquer un décret de loi pour l'exécution du président Gonzalo, de Myriam Iparaguirre et d'un troisième dirigeant du PCP. Comment interpréter ce qu'à dit Montesinos ? Il est clair qu'il transmettait ainsi un message à Fujimori en lui rappelant que ce fut lui (Montesinos) qui se chargea d'éliminer le président Gonzalo et de le faire réapparaître à la vie virtuelle à travers les « lettres de paix ».

 Bruxelles, 17 mai 2002  

 

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