LE QUOTIDIEN DU PEUPLE n°554 -jeudi 10 novembre 1977-

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La Révolution d'octobre et les falsifications du PCF -page 1-

Une " stratégie de passage pacifique au socialisme " : c'est ainsi que les plumitifs du PCF décrivent le processus de la Révolution d'Octobre. Pour transformer la réalité de cette révolution en un justificatif de leur politique bourgeoise, ces falsificateurs procèdent beaucoup par omission. Il s'agit pour eux de faire oublier les leçons essentielles de cette grande révolution et notamment l'union étroite dans l'insurrection entre le recours à la violence des armes et la décision des masses d'exercer leur pourvoir.

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        La Révolution d'Octobre et les falsifications du PCF
(Par Jean-Paul Gay) -page 2-

 

l  Le recours à la violence, dans la Révolution d'octobre 17 en Russie, pour mettre fin à la dictature des classes exploiteuses, fut inséparable d'une mobilisation, d'une tension sans précédent des énergies de la classe ouvrière et des masses populaires. "L'insurrection, écrit Lénine en septembre 1917, doit s'appuyer non pas sur un complot, non pas sur un parti, mais sur la classe d'avant-garde. Elle doit, ajoute-t-il, s'appuyer sur l'élan révolutionnaire du peuple" ("Le marxisme et l'insurrection"). L'insurrection éclate en effet lorsque "l'exaspération" des masses est à son comble, lorsque celles-ci vouant une haine implacable pour leurs exploiteurs, ne voient plus d'autre issue que l'affrontement direct avec eux, dans la perspective de mettre fin définitivement à leurs prérogatives dans la société.
    Ainsi, la Révolution d'octobre est-elle tout le contraire d'une prise de pouvoir par " le haut ", tout le contraire d'une simple installation dans les rouages de l'État, de gens qui, se présentant comme les délégués des masses, prétendraient régler les affaires de la société à leur place. L'insurrection d'octobre 1917, c'est le soulèvement du prolétariat et de ses alliés, la paysannerie, principalement déterminés à prendre eux-mêmes leur sort en mains.
    Pour autant, l'éclairage que donne aujourd'hui le PCF sur la Révolution d'octobre est significatif de son projet, rigoureusement contraire à la voie que traçait cette révolution. S'il peut s'accommoder et même tenter d'impulser, à l'avenir, certaines actions des masses, voire certains affrontements plus ou moins violents avec la bourgeoisie en place, c'est exclusivement dans la perspective de s'appuyer sur ces actions, ces affrontements, de les manipuler, afin d'occuper pour lui-même des positions dans l'appareil d'État, en vue d'y installer, ses représentants, participant de la constitution d'une nouvelle bourgeoisie. Mais, le PCF ne peut que rejeter la notion d'insurrection prolétarienne dans la mesure où celle-ci signifie, un acte violent des masses pour prendre elles-mêmes le pouvoir, pour elles-mêmes, comme cela se manifestait dés février 17, en Russie avec l'instauration des Soviets, au sujet desquels Lénine indiquait : "La source du pouvoir n'est pas la loi, préalablement discutée et votée par un Parlement, mais l'initiative des massas populaires, initiative directe, locale, venant d'en bas, un "coup de force" direct, pour employer une expression courante". (Sur la dualité du pouvoir - avril 1917).
 
    Parce qu'il est hostile à une telle initiative, contradictoire avec son projet, le PCF n'évoque la Révolution d'Octobre que comme s'il ne s'agissait que d'un morceau d'anthologie historique, aujourd'hui complètement dépassé. En fait, pour tirer un trait sur les enseignements d'Octobre 17, enseignements fondamentaux pour la révolution prolétarienne, le PCF adopte une double démarche : d'une part, il réduit la Révolution d'Octobre exclusivement à son contexte historique, dont le déroulement ne s'expliquerait que par les conditions de l'époque, mais il ne se contente pas de cela : il falsifie les faits eux-mêmes, et en particulier la ligne de conduite adoptée par le Parti bolchevik, tout au long du processus révolutionnaire qui conduisit à la victoire de l'insurrection. Cette besogne de falsification a été confiée notamment aux trois membres du Comité central du PCF qui ont écrit "Les communistes et l'Etat", un an après le 22e congrès de leur parti : il s'agissait alors de justifier l'abandon de toute référence à la notion de dictature du prolétariat.

LES "ARGUMENTS"

 
    Tout en insistant sur les circonstances de l'époque. Fabre, Hincker et Sève, en sont venus à donner de la Révolution d'Octobre l'image d'un processus essentiellement pacifique. Ils baptisent même cette révolution de "stratégie du passage pacifique au socialisme". C'est une telle stratégie, selon eux qu'aurait défendue Lénine jusqu'à la limite du possible, jusqu'à la veille, pour ainsi dire, de la prise du Palais d'Hiver, et des organes vitaux de la capitale, le 7 novembre. Pour justifier leur interprétation, les trois membres du CC du PCF mettent en avant le fait que les affrontements pour renverser le gouvernement bourgeois provisoire de Kerenski, furent effectivement très courts et assez peu sanglants et qu'entre février 17 -qui marque la victoire de la révolution démocratique bourgeoise- et octobre 17, qui correspond au début de la révolution prolétarienne, le développement du processus fut en effet essentiellement pacifique ; de fait, au lendemain de février, Lénine envisageait comme possible un développement pacifique jusqu'au bout, de la révolution.
 
Après les journées de février, la milice ouvrière défile à Pétrograd
 
LES "OUBLIS"

    Ce faisant, nos plumitifs révisionnistes passent soigneusement sous silence deux traits particulièrement importants de cette période. Lorsque Lénine de retour à Pétrograd, le 3 avril, évoque la possibilité du développement pacifique, ce sont des ouvriers en armes et des soldats, souvent déserteurs avec armes et bagages, du front de la guerre impérialiste, qui sont rassemblés dans les soviets, fermés en février dans la capitale et dans de nombreuses autres localités. En effet, les affrontements de février qui ont conduit à l'abdication du tsar avaient souvent pris le caractère d'affrontements armés ; les ouvriers s'étaient emparés de nombreuses armes des unités de la police ou de l'armée, et une fois les affrontements terminés, ils les avaient conservées en s'opposant par la suite, avec fermeté a tout désarmement ; dans les grandes concentrations ouvrières, était née ainsi, la garde rouge. Quant à l'armée, une grande partie de ses unités envoyées contre les soulèvements ouvriers avec des dizaines de milliers d'hommes avaient mis la crosse en l'air et étaient passés du côté du prolétariat. Les Soviets ainsi constitués, alors que subsiste parallèlement le gouvernement provisoire de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers, Lénine va les définir par cette formule : "la dictature révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie". Lorsque les révisionnistes citent Lénine, parlant dans leur ouvrage du "maximum de possibilités légales" existant pour la lutte des prolétaires au lendemain de février ils "oublient" seulement de signaler que ces "possibilités légales" peuvent permettre de mener à terme pacifiquement, le processus révolutionnaire, ne sont pas de simples droits octroyés par le gouvernement provisoire, ils sont avant tout une réalité imposée par les Soviets, véritable gouvernement exercé par la classe ouvrière et ses alliés et c'est bien dans ce contexte précis et dans aucun autre qu'est envisagé par les bolcheviks, le passage pacifique. Lorsque les auteurs du livre "Les communistes et l'Etat", citent encore cette affirmation de Lénine : "Le passage de tout le pouvoir aux mains de la majorité véritable du peuple, c'est-à-dire des ouvriers et des paysans pauvres, ne peut nulle part s'effectuer aussi facilement et aussi pacifiquement qu'en Russie" (La conférence de Pétrograd ville du P.O.S.D (b)R). Ils se gardent bien de signaler que pour Lénine cet état de chose n'est que la conséquence de l'existence, sous la forme des Soviets d'un "pouvoir direct exercé par les ouvriers organisés et armés, dictature des ouvriers et des paysans. Il ne faut pas oublier, rappelle Lénine, que le pouvoir réel, à Pétrograd, appartient aux ouvriers et aux soldats ". ("Lettres sur la tactique" 26 avril 1917).

    Une constatation faite par Lénine le 3 mai 1917 éclaire assez sur la situation de cette période : à Kanavine, dans la province de Nijni-Novgorod, les 30 000 ouvriers de 16 usines viennent d'imposer ni plus ni moins que l'administration des entreprises finance leur milice : "une mesure, dit Lénine, d'une portée immense, formidable, décisive, tant en pratique qu'en principe".

 
L'AMALGAME
 
    Le "développement pacifique de la révolution" dont il est question ici, est donc à l'opposé de l'activité électoraliste d'un parti révisionniste comme le PCF bien que les auteurs de Les communistes et l'état prétendent en faire plus ou moins l'amalgame.
    Ceux-ci d'ailleurs ne caractérisent les Soviets que comme " un autre gouvernement ", sans un mot sur le fait que ces Soviets sont le pouvoir direct exercé par les prolétaires en armes et qu'ils constituent donc un pouvoir radicalement différent de toute République parlementaire bourgeoise. Pour les révisionnistes, en ramenant le développement pacifique envisagé par Lénine à leur propre pratique politique, l'originalité des bolcheviques dans le processus de 1917 ne réside plus guère pour eux que dans les coups de fusils tirés contre le Palais d'Hiver.
 
LE CONTENU
DE LA PROPAGANDE
DES BOLCHEVIKS
 
    Voyons comment les révisionnistes caractérisent l'activité des bolcheviks durant cette période : "Arrivé à Pétrograd quelques semaines plus tard après la révolution de mars, Lénine découvre une situation profondément originale, caractérisée par la dualité du pouvoir... Et on le voit mettre au premier plan de ses préoccupations, tout au long de mai et de juin 1917 la lutte contre la violence, tenue pour une faute capitale, mieux, dénoncée comme le piège par excellence tendu aux masses par l'adversaire de classe". Les révisionnistes développent ici, avec l'arme de l'omission, tout leur savoir-faire en matière de falsification. La réalité, en effet, est que Lénine, dans cette période, combat les points de vue de ceux qui songent à une attaque armée immédiate contre le gouvernement provisoire. Il les combat sur la base d'une analyse de la situation qui indique par exemple, lors des manifestations armées en juillet dans le quartier de Vyborg, à Pétrograd, que l'armée et la province ne sont pas encore prêtes à soutenir l'insurrection de la capitale et qu'il y a donc un danger d'isolement et d'écrasement des détachements les plus avancés de la classe ouvrière. Mais la propagande faite dans toute cette période par Lénine et le parti bolchevik et qui effectivement s'oppose au recours immédiat à la violence armée est-elle pour autant pacifiste ?
    C'est tout le contraire. Même dans la période où est envisagée l'éviction sans heurts sanglants du gouvernement bourgeois, entre février et juillet 1917, avant la répression des manifestations ouvrières par les junkers (élèves-officiers) le cœur de toute la propagande des bolcheviks, c'est l'appel au développement de l'armement du prolétariat, à la constitution partout des milices ouvrières et populaires. Le " patient travail d'explication et d'organisation" des bolcheviks "pour conquérir la majorité au sein des Soviets" qu'évoquent les auteurs du livre, ils se gardent bien d'en indiquer le contenu : pour les bolcheviks, la lutte contre l'influence des mencheviks et des "socialistes révolutionnaires" qui, au sein des Soviets, prônaient le soutien au gouvernement bourgeois encore en place, était liée étroitement à l'affirmation du pouvoir exclusif des Soviets, et à la nécessité mise en avant de développer l'armement du prolétariat ; et ceci, souligne constamment Lénine, est la condition de possibilité d'un éventuel " passage pacifique au socialisme".
LA MILICE ET LE POUVOIR A.LA BASE

    Dans une lettre de mars 17, au lendemain de la révolution de février, à la veille de son retour à Pétrograd, Lénine déclarait : "La seule garantie de la liberté et de la destruction complète du tsarisme réside dans l'armement du prolétariat, dans la consolidation, l'extension, le développement du rôle, de l'importance, et de la force du Soviet des députés ouvriers." Quelques jours après, Lénine répondait à la question : "De quelle milice avons-nous besoin, nous, le prolétariat et tous les travailleurs ?"

    A cent lieues de la conception des "délégations du pouvoir", conception chère aux révisionnistes et qui réduit les masses au silence, Lénine, liant indissolublement la question de l'armement et celle du pouvoir direct exercé par la base, écrivait au sujet de la milice des Soviets à organiser : "Une telle milice serait formée à 95 % d'ouvriers et de paysans ; elle exprimerait réellement l'intelligence et la volonté, la force et le pouvoir de l'immense majorité de la population. Cette milice armerait réellement le peuple tout entier et lui apprendrait le maniement des armes, nous garantissant ainsi... contre toutes les tentatives de rétablir la réaction. . . Cette milice serait l'organe exécutif des "Soviets des députés ouvriers et soldats" : elle jouirait de l'estime, et de la confiance absolues de la population, puisqu'elle même serait une organisation du peuple tout entier. Cette milice transformerait la démocratie, de belle enseigne destinée à masquer l'asservissement du peuple aux capitalistes qui s'en moquent, et une véritable éducation des masses en vue de les initier à toute: les affaires publiques…".

Jean-Paul GAY

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