LE QUOTIDIEN DU PEUPLE n°813 sam 16, dim 17, lun 18 décembre 1978

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Organe central du PCRml

International

CHINE
Le "socialisme de la pauvreté" :
une conception étrangère
au Parti communiste chinois

lProfitant du débat qui se déroule actuellement en Chine, nombre de commentateurs occidentaux opposent la lutte pour les "quatre modernisations" (industrie, agriculture, sciences et techniques, défense nationale) à la Révolution culturelle, à sa cible, que les quatre ont cherché à déformer. Ces commentateurs prétendent que la lutte pour la production aurait été absente des préoccupations du parti communiste chinois dans la période de la révolution culturelle, et absente des motivations de cette grande lutte politique.
Là-dessus, Alain Jacob, dans ses spéculations du Monde, a largement donné le ton. Beaucoup d'autres ne se sont pas privés non plus. Tels Jacqueline Dubois, qui affirmait en substance dans l'émission "L'Evénement" de TF1 : "Après la période de lutte politique de la Révolution culturelle, il s'agit maintenant de produire" ou Leclerc du Sablon qui écrit dans Le Matin: "La politique des quatre modernisations s'oppose à celle des trois différences (entre travail manuel et intellectuel, entre ville et campagne, entre industrie et agriculture) que Mao avait voulu rayer de l'histoire humaine."

    Opposer systématiquement révolution et production dans la lutte d'un peuple pour le socialisme, c'est faire preuve d'un point de vue assez singulier. Comme si construire le socialisme était une abstraction, comme s'il s'agissait de se "révolutionnariser" comme ça, dans l'abstrait, alors qu'il s'agit bien de construire une économie, une société différentes, concrètement ; matériellement jour après jour. La lutte politique, le débat d'idées, au sein de la société socialiste, concernent donc forcément, et dans le détail, cette édification du socialisme. D'autre part, la poursuite de la production, de l'effort pour l'améliorer alors même que le débat politique peut être intense, est un enjeu important. En effet, pourrait-on révolutionnariser la société, en négligeant voir : en sapant sa base matérielle ? 

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    Dans le cas de la Chine, l'urgence de faire avancer l'édification des bases matérielles du socialisme est particulièrement manifeste. Dans ce pays du Tiers Monde, qui a commencé voici seulement trente ans à s'arracher à la misère et à l'ignorance, un grand nombre de tâches sont encore accomplies à la main ou par des moyens rudimentaires. Par exemple, à l'heure actuelle, les conditions de vie et de travail du paysan chinois restent profondément différentes de celles des ouvriers des grandes villes. Aujourd'hui, mécaniser l'agriculture, c'est pour la Chine, assurer un meilleur niveau de vie à tous, mais aussi consolider le socialisme en réduisant les écarts des revenus et de mode de vie entre la ville et la campagne, réduction qui conditionne le renforcement de l'alliance des ouvriers et des paysans.
    Certains donneurs de leçons, partant de la réalité des pays capitalistes industrialisées, ne sont pas loin d'estimer que l'industrialisation entraînerait forcément l'exploitation de l'homme par l'homme. Ce faisant, ils "oublient" que le Parti communiste chinois n'a jamais envisagé le développement des rapports sociaux socialistes, la formation d'un homme nouveau sur la base d'une économie arriérée. Il n'a jamais été partisan d'un "socialisme de la pauvreté" où il y aurait d'autant plus d'égalité qu'on n'aurait pas grand chose à partager. Au contraire, comme le déclare au sujet de la répartition des revenus, Chen Yong-kouei dirigeant de la célèbre brigade de production agricole de Tatchaï, et élu membre du bureau politique du PCC, lors de son 9e Congrès : "Quand on s'appuie sur la collectivité, les bonnes récoltes ne tardent pas à venir. Et quand le volume à partager est plus grand, il est plus facile de se mettre d'accord sur les mérites de chacun et de s'estimer soi- même"
    Après la période qui a vu s'accomplir la socialisation de la propriété des moyens de production, dès 1956, le Parti communiste chinois, fixe clairement ce but au peuple chinois : édifier un Etat socialiste industrialisé puissant. A ce sujet Mao Tsé-toung indique dans Renforcer l'unité du Parti: "Notre construction fera de notre pays un grand Etat socialiste; la Chine arriérée, méprisée et plongée dans le malheur pendant plus de cent ans changera totalement d'aspect et, par surcroît, rattrapera le plus puissant Etat capitaliste du monde, les Etats-Unis... telle est la responsabilité qui nous incombe. Vous avez une population si nombreuse, un territoire aussi vaste et des richesses naturelles aussi abondantes, et vous édifiez dit-on le socialisme, régime qualifié de supérieur; si vous n'arrivez pas à dépasser les Etats-Unis après cinquante ou soixante ans, quelle figure ferez-vous ? Il faudrait, dans ce cas, vous expulser du globe ! C'est pourquoi dépasser les Etats-Unis n'est pas seulement une possibilité, mais une nécessité, un devoir à accomplir absolument. Sinon, la nation chinoise décevrait l'espoir que les autres nations ont mis en elle et son apport à l'humanité serait bien mince".

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    Dès le début des années 60, le peuple chinois se lance dans ce mouvement pour l'édification d'un Etat socialiste puissant, en même temps qu'il édifie des réalités sociales nouvelles et originales, comme la Commune populaire: c'est le Grand bond en Avant. C'est à partir du débat commencé dès cette époque sur le type de développement à choisir pour la Chine, sur les lois de la lutte de classes pendant la période du socialisme que va être impulsée quelques années plus tard la Révolution culturelle, qui va répercuter ce débat dans le tout le pays, pour tout le peuple. La Révolution culturelle, dans son principe, de par ses causes et sa cible, n'est pas une lutte d'idées, abstraite, qui appartiendrait à une sphère indépendante des problèmes que les masses ont à résoudre. La lutte politique engagée, dans le cadre de la Révolution culturelle concerne l'orientation d'ensemble de la construction du socialisme, et donc l'activité quotidienne des travailleurs. C'est ainsi, par exemple que la question complexe du mode de répartition des revenus dans les communes populaires, sera l'objet de larges discussions.
    "Faire la révolution et promouvoir la production" : ce mot d'ordre est notamment le titre de la "Décision du Comité central" du 8 août 1966 qui déclarait : "La grande révolution culturelle prolétarienne a pour but la révolutionnarisation de la pensée de l'homme, afin que, dans tous les domaines du travail, on puisse obtenir des résultats meilleurs quant à la quantité, la rapidité, la qualité et l'économie." Dans sa directive du 7 mai 1966, le président Mao critiquait les conceptions erronées visant à interrompre et désorganiser la production sous prétexte de mener à bien la lutte politique. Il affirmait : "Les ouvriers se consacreront principalement à la production industrielle, tout en s'instruisant dans tous les domaines militaire, politique et culturel. Ils doivent également participer au mouvement d'éducation socialiste et critiquer la bourgeoisie..."
    La nécessité de réaliser l'édification d'un État socialiste puissant est largement présente par ailleurs dans les textes du 9e congrès du PCC, en 1969 ; elle est dès cette époque mise en relation avec le danger de guerre: "Nous devons faire la révolution et promouvoir la production, améliorer notre travail et nous préparer activement en prévision d'une guerre pour édifier de manière encore plus remarquable notre industrie et notre agriculture socialistes, accomplir mieux encore toute notre oeuvre socialiste. ". 

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    Durant la période de la Révolution culturelle, et par la suite, les conceptions défendues par Lin Piao et la bande des Quatre, qui aboutissaient à un véritable sabotage de la production, ont assurément entraîné de graves retards dans la réalisation des objectifs d'édification du socialisme, fixés pour la période. Les travailleurs chinois, sous la direction du Parti communiste, n'en ont pas moins poursuivi, dans cette période, la lutte pour le développement de la base matérielle du socialisme. Ceci s'est manifesté par exemple dans les multiples réalisations, des milliers d'innovations techniques dans les usines, des travaux d'infrastructure et d'irrigation très importants dans les campagnes. Ceci s'est manifesté aussi dans la poursuite d'expériences d'avant-garde telles que celles de la brigade de production agricole de Tatchaï et de l'exploitation pétrolifère de Taking, mises en avant comme exemples à suivre dans la lutte pour les "quatre modernisations". Ces expériences qui ont vu le jour avant la Révolution culturelle, ont continué, allant de l'avant, et ont fréquemment servi de points de référence, pour la mise en oeuvre effective du mot d'ordre : "Faire la révolution et promouvoir la production". Nous reviendrons prochainement sur ces expériences et leur signification.
    Ainsi, cette réalité de la lutte menée en Chine sur les divers fronts, depuis trois décennies, pour édifier le socialisme, est sciemment ignoré par les commentateurs de la presse bourgeoise. Pour la plupart d'entre eux, la Chine, serait placée devant un choix dramatique: soit faire la révolution, soit développer son économie. Comme l'ont montré de récents articles d'Alain Jacob, dont celui présentant le point de vue de Bettelheim, il y a finalement, à la base d'une telle appréciation "pessimiste", la volonté de ne retenir comme image du maoïsme, que ses déformations, inscrites dans des conceptions comme celles dont les Quatre étaient porteurs. 

Jean-Pierre CHAMPAGNY 

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