Le Quotidien du Peuple organe central du PCRml n°869 jeudi 8 mars 1979

L'ÉVOLUTION DU VIETNAM - Militarisation et dictature (2)

 La militarisation du Vietnam, engagé par ses gouvernants dans des conflits avec les pays voisins, leur sert aussi pour encadrer les masses, faire face à leur mécontentement. Le martèlement d'une propagande nationaliste, chauvine, particulièrement au Sud, sur fond de mobilisation pour aller combattre les "ennemis héréditaires" khmers ou chinois -qui, selon la propagande de Hanoï, "menacent la patrie vietnamienne -doit contribuer, dans l'esprit des dirigeants vietnamiens, à "faire passer" la réunification en même temps qu'une politique intérieure, des mesures économiques peu populaires.

Dans un Sud dévasté par la guerre, connaissant l'hypertrophie des villes où s'étaient développés la corruption et le clientélisme , vis-à-vis de l'occupant, des mesures révolutionnaires s'imposaient. Mais, sous couvert de "socialisation" rapide du Sud, les administrateurs du Nord ont largement profité de la situation pour acquérir des privilèges et aggraver les inégalités.

SOUS COUVERT DE "SOCIALISATION"

Comme en ont témoigné de nombreux ressortissants d'origine chinoise, expulsés du Vietnam, les décrets d'expropriation ont souvent été mis à profit par les fonctionnires de la nouvelle administration pour s'approprier y compris des biens de consommation des familles, particulièrement d'origine chinoise, qui, même de revenus modestes, se sont vu confisquer leurs biens dans les perquisitions. Ceci s'est déroulé avec en arrière-fond la pénurie des biens de consommation courante, les carences dans le ravitaillement, l'acuité de la contradiction ville-campagne, tandis que le marché noir se développait, encourageant l'inflation. Les entreprises spéculatives se sont multipliées aussi bien avec les denrées extorquées dans le cadre de la "socialisation" qu'avec les denrées rapatriées du Cambodge et du Laos, où selon des ressortissants de ce pays, la moitié de l'aide en provenance de pays tiers est automatiquement prélevée par les autorités vietnamiennes.

Alors que le Sud-Vietnam comptait, au moment de la libération de Saïgon, plus de trois millions de chômeurs sur une population de dix-sept millions d'habitants, la "perspective" offerte à la jeunesse, à l'heure où les tâches de reconstruction sont négligées au profit de la guerre, est celle de s'engager dans l'armée.

Dans les conférences de quartier, où l'on a "justifié" la mobilisation pour envahir le Cambodge, en mettant en avant le "sauvetage" du socialisme en Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques, on appelle à rejoindre une armée de plus en plus hypertrophiée, et détournée des tâches économiques que les discours officiels lui assignaient au lendemain de la libération.

Encouragées par l'URSS à la guerre, enlisées au Cambodge, les autorités de Hanoï ont pour logique de s'enfoncer toujours plus avant dans la militarisation de leur pays, n'hésitant pas à recourir pour cela à une répression accrue des masses telles la chasse et l'enrôlement forcé des jeunes réfractaires, qui ont manifesté à plusieurs occasions, à Saïgon notamment, leur refus de partir pour la sale guerre que mène aujourd'hui leur pays.

L'OPPRESSION DES MINORITES

Un des aspects les plus spectaculaire, aujourd'hui, de l'oppression des masses du Vietnam, est celle que subissent les minorités nationales, particulièrement la minorité d'origine chinoise, qui a vu depuis la fin 77, plus de 200 000 des siens expulsés par les autorités vietnamiennes. Cette discrimination s'inscrit dans la politique d'hostilité à l'égard de la République populaire de Chine. Elle présente aussi d'autres aspects. Outre le chauvinisme qu'elle reflète, la mise en accusation de la communauté chinoise du Vietnam doit servir à détourner les masses vietnamiennes de la critique de leur régime. En effet, dans le cadre de sa politique de "socialisation" du Sud, le régime vietnamien a jeté l'anathème, n'hésitant pas à mener une campagne qui assimile la masse des citoyens d'origine chinoise à des "capitalistes".

Prétextant de faits tels que le contrôle par quelques familles chinoises très riches, d'une large part de la production et de la distribution du riz, au Sud, durant l'occupation américaine, ou l'existence dans cette période, d'innombrables trafics, où étaient impliqués des commerçants de nationalité chinoise, les autorités vietnamiennes ont tenté de faire de la communauté chinoise leur bouc-émissaire. Faire porter à celle-ci, en tant que telle, la responsabilité de la pénurie et des carences d'aujourd'hui dans l'approvisionnement des masses est fort utile pour blanchir le régime de sa responsabilité dans les disfonctionnements de plus en plus graves de l'économie vietnamienne. Ainsi, c'est sous prétexte de "capitalisme" qu'une communauté de plus d'un million d'hommes et de femmes a dû subir des vexations, des expropriations brutales et systématiques, voir ses biens confisqués, sans égard pour les familles aux revenus les plus modestes -la grande majorité. C'est dans tous les domaines que la discrimination s'est développée, qu'il s'agisse des salaires, des possibilités de promotion sociale, des possibilités d'expression, et qu'elle a abouti en de nombreux cas à l'expulsion manu-militari. Chasser ainsi une partie de ses citoyens, dès lors qu'ils ont une appartenance nationale déterminée, est une politique qui qualifie un régime. Dans des propos repris par leur ambassadeur en France, et par L'Humanité, les autorités vietnamiennes ont eu tôt fait de cataloguer tous ceux qui fuient le Vietnam sur des embarcations de fortune, d'anciens privilégiés, supportant mal le socialisme et regrettant la vie douillette du passé. Il s'agit ainsi de jeter le discrédit sur tout opposant au régime vietnamien et là encore sur la communauté chinoise, puisque la majorité de ceux qui fuient par la mer sont aussi d'origine chinoise.

LE RENIEMENT DU PASSÉ

La campagne d'"explications" menée globalement contre les citoyens d'origine chinoise par le gouvernement de Hanoï, est d'autant plus odieuse que ceux-ci ont pris une part éminente à la guerre de libération. Au Sud, ce n'est pas un hasard si la ville chinoise de Cholon, qui jouxte Saïgon, avait acquis, sous l'occupation américaine, la réputation d'être une des places fortes du FNL et au Nord. Là, où la politique d'expulsion massive a été menée le plus systématiquement, on voit mal comment pourrait jouer "l'argument" d'expropriation de capitalistes.

Non seulement, les ressortissants d'origine chinoise ont occupé une place de premier plan dans la guerre anti-américaine, souvent à titre de soldats ou d'officiers de l'armée populaire vietnamienne, mais ils ont pris également une part très importante à l'édification socialiste du Nord-Vietnam, dans tous les domaines, en tant que membres de la paysannerie ou de la classe ouvrière. N'est-il pas significatif qu'en juin 1978, sur 100 000 Chinois expulsés alors du Vietnam, 98 000 étaient nés, avaient vécu et travaillé au Nord-Vietnam ?

En pratiquant de la sorte, les autorités vietnamiennes ont bafoué. les engagements de respect des droits, de libre choix de la nationalité, qu'avaient pris hier le parti des travailleurs du Vietnam et le Front national de libération du Sud, à l'égard de la communauté chinoise. Ce faisant, elles ont renié sur ce point comme sur les autres les idéaux d'indépendance et de liberté pour lesquels le peuple vietnamien avait consenti tant de sacrifices.

 

Jean-Paul GAY

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