La "famine-holocauste" en Ukraine: un classique du médiamensonge

 

Solidaire -hebdo du Parti du Travail de Belgique- n°5 (1024) 2 février 1994 p.18


Histoire

Extrait du livre "Un autre regard sur Staline" par Ludo Martens

La "famine-holocauste" en Ukraine:
un classique du médiamensonge

Les mensonges débités sur la collectivisation ont toujours été, pour l'Occident, des armes préférées dans la guerre psychologique contre l'Union soviétique. Ainsi, "l'holocauste commis par Staline contre le peuple ukrainien" est une calomnie brillamment élaborée... que nous devons au génie de Hitler. Dans Mein Kampf, écrit en 1926, il avait déjà indiqué que l'Ukraine appartenait au "lebensraum" allemand. La campagne lancée par les nazis en 1934-1935 sur le thème du "génocide" bolchevik en Ukraine devait préparer les esprits à la "libération" projetée de l'Ukraine. Les nazis parlaient de 6 à 7 millions de morts dans une famine "organisée" par Staline. Aujourd'hui on peut lire ce chiffre un peu partout.
II y eut famine en Ukraine en 1932-1933, mais elle fut principalement causée par le combat désespéré et destructeur que menèrent les paysans riches et les organisations d'extrême droite pour détruire les récoltes des kolkhozes. S'y sont ajoutés de grandes sécheresses et une épidémie de typhus.
Voici comment naissent les fabulalions sur les "millions de victimes du stalinisme". 

Un témoin de la "famine-génocide"

Le 18 février 1935, aux Etats-Unis, la presse du magnat Hearst commence la publication d'une série d'articles de Thomas Walker qui a parcouru l'Union soviétique pendant plusieurs années. En tête de la première page du Chicago American du 25 février, un titre immense: "La famine en Union soviétique fait six millions de morts. Récolte des paysans saisie, les hommes et leurs bêtes crèvent. " Au milieu de la page, un autre titre: "Un journaliste risque sa vie pour obtenir des photos du carnage." En bas de page: "Famine - crime contre l'humanité." (1) A l'époque, Louis Fischer travaille à Moscou pour le journal The Nation. Le scoop de son collègue, un illustre inconnu, l'intrigue. Il entreprend quelques recherches dont il fait part aux lecteurs de son journal. "Monsieur Walker. nous informe-t-on, est entré en Russie au printemps dernier, le printemps de 1934 donc. Il a vu la famine. Il a photographié ses victimes. Il a eu des comptes rendus de première main sur les ravages de la faim, qui vous déchirent le coeur. Aujourd'hui, la famine en Russie est un sujet très chaud. Pourquoi Monsieur Hearst a-t-il gardé ces articles sensationnels pendant dix mois avant de les publier ? Donc, j'ai consulté les autorités soviétiques. Thomas Walker a été une seule fois en Union soviétique. Il a reçu un visa de transit du consulat soviétique à Londres, le 29 septembre 1934. Il est entré en URSS à partir de la Pologne par train à Negoreloye, le 12 octobre 1934. Pas au printemps, comme il dit. Le 13, il était à Moscou. Il est resté à Moscou du samedi 13 au jeudi 18 et il a pris ensuite le Transsibérien qui l'a amené à la frontière entre l'Union soviétique et la Mandchourie, le 25 octobre 1934... Il aurait été impossible pour M. Walker, dans les cinq jours compris entre le 13 et le 18 octobre, de parcourir un tiers des points qu'il 'décrit' de sa propre expérience. Mon hypothèse est qu'il a séjourné assez longtemps à Moscou pour obtenir à d'étrangers aigris la 'couleur locale' ukrainienne dont il avait besoin pour donner à ses articles la fausse véracité qu'ils possèdent."
Fischer a un ami. Américain lui aussi, Lindsay Parrott, qui a séjourné en Ukraine au début 1934. Il n'y a remarqué aucune des séquelles de la famine dont parle la presse de Hearst. Au contraire, la récolte de 1933 a été abondante. Fischer conclut: "L'organisation de Hearst et les nazis entreprennent une coopération de plus en plus étroite. Je n'ai pas vu que la presse de Hearst a publié les récits de M. Parrott sur une Ukraine soviétique prospère. M. Parrott est le correspondant de M. Hearst à Moscou… " (2)
Au dessous d'une photo d'une petite fille et d'un enfant squelettique, Walker écrit: "Effroyable! Au-dessus de Kharkov, une fille très maigre et son frère de deux ans et demi. Cet enfant rampait par terre comme un crapaud et son pauvre petit corps était si déformé par manque de nourriture qu'il ne ressemblait pas à un être humain."
Douglas Tolttle, un journaliste canadien, a retrouvé cette photo de l'enfant-crapaud, datée du printemps 1934... dans une publication de 1922 sur la famine. Et il a fait la même démonstration pour toutes les photos de Walker !
Le multimillionnaire William Randolph Hearst avait rencontré Hitler à la fin de l'été 1934 pour conclure avec lui un accord stipulant que l'Allemagne achèterait désormais ses informations internationales à "International News Service", une société appartenant à Hearst. A cette époque, la presse nazie avait déjà entrepris une campagne sur "la famine en Ukraine". Hearst y apportera sa contribution grâce à l'imagination de son grand explorateur, monsieur Walker.(3)

Reportages filmés de la famine

La campagne de la "famine-génocide" que les nazis lancèrent en 1933 a atteint son sommet un demi-siècle plus tard, en 1983, avec le film Harvest of Despair, (La Récolte du Désespoir) pour le grand public, et en 1986 avec le livre Harvest of Sorrow, de Robert Conquest, pour l'intelligentsia.
Les plus importants témoignages sur le "génocide" apparaissant dans le film Harvest of Despair sont présentés par des nazis allemands et leurs anciens collaborateurs. Il y a tout d'abord Stepan Skrypnyk qui fut... le rédacteur en chef du journal nazi Volyn, sous l'occupation allemande. En trois semaines, avec la bénédiction des autorités hitlériennes, l'homme fut promu de l'état de laïc au rang d'évêque de l'Eglise Orthodoxe ukrainienne, et au nom de la "morale chrétienne", il fit une propagande tapageuse pour l'Ordre Nouveau. A la fin de la guerre, il se réfugia aux Etats-Unis.
L'Allemand Hans Von Herwarth, autre témoin, travailla en Union soviétique dans le service qui recrutait, parmi les prisonniers soviétiques, des hommes pour l'armée du général Vlassov. Son compatriote Andor Henke, qui figure aussi dans le film, était un diplomate nazi.
Pour illustrer la "famine-génocide" de 1932-33, les auteurs ont utilisé des séquences des actualités d'avant 1917, des fragments des films Le Tsar Famine, datant de... 1921-1922, et Arsenal, sorti en... 1929, puis des séquences du Siège de Léningrad, filmées au cours de la Seconde Guerre mondiale !
Attaqué publiquement en 1986 pour ces falsifications, Marco Carynnik, qui était à la base de ce film et qui avait assuré les recherches, fit une déclaration publique: "Aucun des fragments des archives filmées ne date de la famine ukrainienne et très peu de photos de 1932-33 sont parues dont l'authenticité peut être prouvée. A la fin du film, une séquence dramatique d'une fille émaciée, qui a aussi été utilisée pour le matériel de promotion du film, ne date pas de la famine de 32-33," disait Carynnik. "J'ai fait remarquer que ce genre d'inexactitudes n'est pas permis." disait-il au cours d'une interview, "mais on n'a pas voulu m'écouter." (4)

Les sources fascistes de Conquest

Dans Harvest of Sorrow, Conquest reprend la version de l'histoire avancée par les nazis ukrainiens: en effet, les anciens de la Division Waffen-SS Galicie et de l'Armée Insurrectionnelle Ukrainienne lui ont livré l'essentiel de ses "sources" sur la "famine-génocide" de 1932-1933 ! La partie cruciale, le douzième chapitre, de Harvest of Sorrow, a comme titre: "La famine fait rage." Elle contient une liste impressionnante de 237 références. Un regard un peu plus attentif nous apprend que plus de la moitié renvoient à des émigrés ukrainiens d'extrême droite. L'ouvrage des fascistes ukrainiens Black deeds of the Kremlin est cité 55 fois ! Conquest cite aussi 18 fois le livre The ninth circle d'Olexa Woropay, publié en 1953 par le mouvement de jeunesse de l'organisation fasciste de Stepan Bandera. (5)


Le premier tracteur d'essai dit "L'International" fabriqué à l'usine de Stalingrad.

A la page 244, Conquest cite "un Américain" qui a vu des gens "dans un village à trente kilomètres au sud de Kiev": "Dans une hutte, ils bouillaient des saloperies qu'il était impossible de décrire. " Référence: New York Evening Journal, 18 février 1933. En réalité, il s'agit de l'article de Thomas Walker dans la presse de Hearst, publié en 1935 ! Conquest a délibérément antidaté le journal pour le faire correspondre à la famine de 1933. Conquest ne nomme pas l'Américain: il craint que certains puissent se rappeler que Thomas Walker était un faussaire

(1) Tottle Douglas: Fraud, Famine and Fascisme, The Ukrainian Genocide. Myth from Hitler to Harvard, Progress Books, Toronto, 1987, pages 5-6.
(2) Louis Fischer, Hearst's Russian Famine, The Nation, vol.140, n°36, march 13, 1935, cité dans Tottle, p.7-8.
(3) Tottle, p.13, 15.
(4) Tottle, p.78-79.
(5) Tottle, p.58. 

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