L'INVASION DU CAMBODGE
PAR LE VIETNAM : éléments d'histoire et points de repère.

(Catherine QUIMINAL) -Editions Potemkine 1979-

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    -2) QUELQUES REPERES HISTORIQUES.

    -a) LA POLITIQUE EXTERIEURE DE SIHANOUK, UNE CONCESSION NÉCESSAIRE AU PEUPLE CAMBODGIEN.

    Ainsi, une fois la ligne politique du Parti bien comprise et bien assimilée, les mouvements de lutte aussi bien à Phnom penh, dans les autres grandes villes qu'à la campagne ont pris un grand essor.
    1963: ce fut le rejet de l'aide américaine. Ce fut un grand événement de lutte de notre peuple. Ce fut le résultat de la lutte populaire, de celle des élèves, des étudiants, des intellectuels, des ouvriers et des paysans, des bonzes, secondée également par la lutte de nos personnalités qui travaillaient à l'assemblée, au gouvernement, et appuyée par les luttes à la campagne.
    1964: une grande manifestation a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes à Phnom Penh contre l'impérialisme américain et la clique du traître Lon Nol. La même année, au mois de Mars, une autre grande manifestation a réuni des centaines de milliers de participants devant l'ambassade américaine. La foule a détruit des locaux, arraché le drapeau américain et l'a piétiné. Ce furent autant d'événements qui illustrent la lutte bouillonnante de la population des villes.
    1965: ce fut la rupture des relations diplomatiques avec l'impérialisme américain, l'aboutissement des luttes impétueuses successives de notre peuple.
    Ces luttes ont apporté un grand concours à la lutte à la campagne. Elles ont créé des conditions favorables pour consolider et développer puissamment les forces révolutionnaires.
    Quelle était à ce moment la situation de la lutte à la campagne ? En 1964, 1965, 1966, 1967, les luttes se succédaient, multiformes, sans répit, à travers tout le pays, dominées par les conflits sur les terres.
    En 1967, la situation à la campagne, dans tout le pays, était mûre. Le peuple s'armait de couteaux, de haches, de bâtons et autres armes à sa portée pour attaquer les postes de police, les garnisons militaires. La violence révolutionnaire atteignait désormais un niveau élevé. C'est dans cette situation de maturation révolutionnaire qu'un soulèvement armé éclata en 1967 à Samlaut, province de Battambang, déclenché par le peuple, de son propre mouvement. Le Comité Central du Parti, à cette époque, n'avait pas encore décidé l'insurrection armée générale dans tout le pays. L'explosion armée de Battambang s'explique par le fait que le mouvement de lutte des paysans de la région était entré dans la phase d'ébullition. Mais le Parti était là pour prendre la direction du mouvement et a décidé de suspendre provisoirement la lutte armée dans la région de Battambang afin que tout le pays achève ses préparatifs. Si Battambang se lançait seul dans la lutte, l'ennemi aurait eu le loisir de concentrer toutes ses forces pour y anéantir les forces révolutionnaires.
    Ainsi, en 1967. la situation dans la campagne était en pleine ébullition. comme la paille desséchée des mois de mars et d'avril dans les rizières, qui n'attend qu'une petite étincelle pour s'embraser.

    -b) LE DÉCLENCHEMENT DE LA LUTTE ARMÉE.

    Après examen et analyse des événements, nous sommes parvenus à cette appréciation de la situation du mouvement révolutionnaire de notre peuple. C'est pourquoi, au milieu de 1967, après l'expérience de l'explosion armée à Samlaut, Battambang, le Parti a décidé le déclenchement de la lutte armée pour défendre la révolution et en même temps créer les conditions permettant la consolidation et le développement des forces révolutionnaires. Sinon, l'ennemi aurait anéanti les forces révolutionnaires. Il fallait déclencher la lutte armée parce que nous avions déjà préparé le peuple: le peuple était en ébullition, il bouillonnait de haine de classe et de haine nationale. Le peuple était déjà forgé par toutes les épreuves de la lutte, il luttait avec les mains vides, il luttait avec des bâtons, il luttait avec des couperets.
    Telle était la situation à la campagne et dans les villes. A ce moment-là, l'ennemi était tiraillé et incapable de faire face aux forces révolutionnaires car nous attaquions simultanément, dans les villes et à la campagne, en parfaite coordination.
    Se fondant sur ces expériences, tout le Parti fut unanime sur cette conclusion: si nous persistions dans la lutte politique et si nous ne recourions pas à la lutte armée, nous serions incapables de défendre les forces révolutionnaires et à fortiori, nous serions incapables de consolider et développer les forces révolutionnaires.
    C'est ainsi que nous avons déclenché la lutte armée en 1968.
    Janvier 1968: insurrection dans le Nord-Ouest. Nous avons pris à l'ennemi une dizaine de fusils qui ont été utilisés pour la poursuite de la lutte.
    Février 1968: insurrection dans la zone Sud-Ouest. Là, les armes prises à l'ennemi ont été plus importantes: au total, près de 200 fusils ont été pris à des agents de la garde provinciale et dans des garnisons militaires. Ces armes ont été prises à l'ennemi, non pas avec les armes, mais bien avec les mains vides, par l'insurrection des masses. Ainsi, désormais, nous disposions de forces pour lancer d'assez puissantes offensives.
    Mars 1968: insurrection dans la zone-Est. Là, l'ennemi nous a pris le devant. Alors que le Comité Régional était en train de se réunir en conférence pour organiser une insurrection comme dans le Sud-Ouest, l'ennemi a procédé au retrait des armes. Ainsi, la zone Est, au moment du déclenchement de la lutte armée ne possédait que quelques fusils. Ainsi l'ennemi était libre de s'acharner contre le peuple et les forces révolutionnaires: avril, mai, juin, plus de trois mois durant. Nos bases ont été détruites. Les habitations, les villages ont été dévastées, la population durement frappée et dispersée. C'est seulement au mois de Juillet que nous avons pu passer à la contre-attaque. Nous avons lancé un assaut contre un poste ennemi et nous avons pris 70 armes qui ont contribué à la constitution de nos forces armées.
    Le peuple était les mains vides, mais il était déjà entraîné à la violence révolutionnaire, il s'était déjà entraîné à la lutte, il avait acquis des expériences de lutte. Aussi le peuple était-il capable, les mains vides, d'aller arracher les armes à l'ennemi.
    La zone Nord est entrée en insurrection en Mars 1968: 4 armes seulement ont été arrachées à l'ennemi. Nous avons asséné de rudes coups à l'ennemi et nous avons résisté à ses contre-attaques, mais la lutte a été assez dure.
    30 Mars 1968: c'est le tour de la zone Nord-Est d'entrer en insurrection 4 ou 5 fusils ont été pris à l'ennemi. Ajoutés aux 3 ou 4 fusils utilisés auparavant pour la défense du siège du Comité Central du Parti, nous avions en tout et pour tout même pas 10 fusils pour toute cette zone.
    En résumé, pour parler des armes, seule la zone Sud-Ouest en possédait une quantité assez substantielle. Les autres zones n'en avait que très peu. De quelle qualité était ces armes ? Elles étaient toutes de vieux modèles: sur 10 coups tirés, un seul coup partait. Malgré cela, nous avons néanmoins lutté. Janvier, Février, Mars, Avril, Mai: notre mouvement de guérilla gagna l'ensemble du pays. La guérilla s'étendit sur 17 provinces, sur les 19 que comptait le Kampuchea. Nous avons pris les armes au fur et à mesure au cours des combats. Aucune région ne pouvait venir en aide directement à une autre car elles étaient très éloignées l'une de l'autre. Notre organe de direction était dispersé: il se trouvait dans le Nord-Ouest, dans le Sud-Ouest, dans l'Est, dans le Nord-Est et à Phnom Penh, donc dans des endroits très éloignés l'un de l'autre. Tout contact demandait un délai d'un mois car il fallait faire le voyage à pied, à dos d'éléphant, et il fallait en plus éviter continuellement l'ennemi qui nous coupait les voies de passage. En un mois, la situation avait beaucoup changé. Le compte-rendu sur la situation du mois, avant qu'il ne parvienne au siège du Comité Central situé à Ratanakiri, ne correspondait plus à la nouvelle situation. De même, les directives, en retour, étaient anachroniques et ne pouvaient plus s'appliquer à la nouvelle situation. De ce fait, les directives ne pouvaient porter que sur la ligne générale, les principes et les grandes orientations. Chaque localité devait compter sur elle-même et appliquer correctement la ligne politique du Parti. Malgré tout, chaque localité s'est défendue, a consolidé et a développé ses forces avec succès.

    -c) ORGANISATION DE LA GUERRE POPULAIRE.

    Comme résultat, de 1968-1969 à Mars 1970, nous avons établi des bases que je vais vous énumérer comme suit:
    Premièrement, les bases d'appui. Dans le Nord-Est, nous avions une base d'appui solide, avec une population de 30 000 habitants. Ce que nous appelions base d'appui, c'est une base inaccessible à l'ennemi. En comptant les bases d'appui du Nord-Ouest, de l'Est et du Sud-Ouest, nos bases d'appui possédait une population d'environ 60 000 habitants. Une population de 60 000 habitants dans les bases d'appui, c'était appréciable.
    Deuxièmement, les bases de guérilla. Les bases de guérilla viennent après les bases d'appui. Ce sont des bases que nous contrôlions aussi solidement, mais où, malgré tout, l'ennemi pouvait pénétrer de temps à autre. Pour l'ensemble du pays, nos bases de guérilla pendant les années 1968-1969 à mars 1970 comptaient environ 300 000 habitants.
    Troisièmement, les zones de guérilla. Zone de guérilla signifie zone qui appartient aussi bien à nous qu'à l'ennemi. C'est une zone de combat. Nous pouvions y pénétrer pour porter des coups à l'ennemi. L'ennemi pouvait y pénétrer également. Donc, c'était une zone très enchevêtrée. Dans la zone de guérilla sur l'ensemble du pays, nous avions une population d'environ 700 000 habitants.
    Ainsi, durant la guerre civile des années 1968-1969 à Mars 1970, nous avions une population totale de plus d'un million d'habitants en comptant les bases d'appui, les bases de guérilla et les zones de guérilla dans tout le pays.
    Une telle force n'est pas négligeable. Elle ne réside pas seulement dans le nombre. C'est la force des paysans pauvres et moyens-pauvres, celles d'un peuple qui est déjà entraîné à travers des luttes successives. C'est donc une force très puissante.
    Les mains vides au départ, nous étions parvenus à constituer une telle force, c'est appréciable. En 1968, nous étions vraiment les mains vides: nous n'avions aucune arme, aucun médecin, aucun médicament, aucun grain de riz. Cependant, nous avons osé lutter parce que nous avions solidement entre nos mains la force de notre peuple. Avoir la force du peuple entre ses mains, c'était disposer de toutes les forces révolutionnaires nécessaires: forces de guérilla, forces armées, forces de production pour soutenir la guerre révolutionnaire. C'était disposer de médecins de pharmaciens, d'agents de liaison, c'était disposer enfin de tout ce qui était nécessaire aussi bien pour le front que pour l'arrière.
    En ce qui concerne notre armée, au début de 1970, les unités constituées totalisaient seulement un effectif de 4000 combattants pour tout le pays. 4000 combattants représentaient un effectif non négligeable pour notre guerre de guérilla. Mais surtout, c'était une armée d'une combativité élevée.
    Je prends comme exemple l'armée constituée de la zone Nord-Est.
    En 1968, cette armée ne comptait que 70 combattants divisés en 7 groupes. Chaque groupe fort de 10 combattants ne possédait que 3 fusils. A part ces armes, il possédait une ou deux grenades, des fusils à percussion, des arbalètes à flèches empoisonnées et rien d'autre. En 1969, l'effectif s'est élevé à 10 groupes. Ce n'est que vers la fin de 1969 que ces forces ont été organisées en sections, puis au début de 1970 en compagnies. 30 à 40 % de l'effectif était armé.
    A l'époque où nous n'avions que 7 groupes de 10 combattants, l'ennemi s'acharnait déjà contre nous. En 1969, le traître Tioulong, chef d'Etat-Major ennemi, les traîtres Lon Nol, Sirik Matak, Sak Sutsakhân, Sosthène Fernandez et presque tous les autres chefs militaires ennemis se sont lancés dans une grande opération contre Ratanakiri. Ils ont engagé 18 bataillons, soit le tiers de l'armée ennemie, avec des unités d'infanterie, de blindés, d'artillerie, appuyés par l'aviation. En face, notre armée régulière du Nord-Est ne comptait que 150 combattants: 150 combattants qui, faute d'armement, n'avaient pas la possibilité de combattre tous en même temps. Ils étaient obligés de se scinder en 2 groupes de 70 combattants chacun, se relayant au combat à tour de rôle. En pratiquant la guérilla, nous avons pus porter des coups à l'ennemi, défendre notre base d'appui, consolider et développer la base de guérilla, consolider et développer la zone de guérilla. Nous n'avons pas limité nos actions dans la province de Ratanakiri, nous avons pénétré dans la province de Stung Trèng, puis dans la province de Mondulkiri et nous avons poursuivi notre avance très en profondeur dans les zones ennemies pour l'attaquer. C'est ainsi qu'au cours d'une réunion du conseil de cabinet du gouvernement ennemi en 69, le traître Tioulong, en tant que chef d'Etat-Major général a du avouer dans un compte-rendu pessimiste que la situation à Ratanakiri était grave. Le traître Lon Nol de son côté a avoué que dans la province de Ratanakiri, les "Khmers Rouges" occupaient un territoire équivalent à trois fois celui de la province de Kampong Chang.
    Ailleurs, la situation n'était pas différente. Dans le Sud-Ouest, nous attaquions l'ennemi simultanément dans les provinces de Kampot, de Takeo et de Kampong Speu. Dans la zone Est, nos activités s'étendaient jusqu'à la route nationale No 7. La nuit, notre armée était maître de la route nationale No 7 dans sa totalité. Ainsi, au cours des années 1968, 1969 et jusqu'en Mars 1970, nos unités constituées ne comprenaient que 4000 combattants dans tout le pays, mais cette armée avait de hautes qualités combattives.
    En ce qui concerne nos activités de guérilla, nos unités comptaient dans tout le pays, 50 000 combattants au début de 1970. 50 000 guérilleros qui assaillaient partout l'ennemi. Les guérilleros allaient au combat, même seul, même à deux, même à trois, même avec un seul fusil, un rudimentaire fusil à percussion, une arbalète, une grenade ou une mine. Ils combattaient sous n'importe quelle forme avec n'importe quelle arme. Ils étaient très actifs. Ils ne se plaçaient pas sur la défensive. Ils n'attendaient pas l'ennemi. Ils allaient constamment en avant, à la recherche de l'ennemi, suivant la ligne qui consiste à attaquer pour mieux se défendre. Pour pouvoir défendre les bases d'appui, il fallait mener des actions offensives, il fallait attaquer l'ennemi en avant. C'est seulement en attaquant l'ennemi en avant qu'on l'empêchait de venir dans notre zone. Ainsi, les unités de guérilla allaient combattre partout, car elles étaient formées d'habitants de la région qui connaissaient à fond chaque terrain, chaque forêt, chaque ruisseau, chaque vallée.
    Dans ses opérations, l'ennemi mobilisait contre nous l'infanterie, les tanks, l'artillerie, les véhicules de transport, l'aviation. Cependant, dans le Nord-Est, de même que dans les autres régions montagneuses et forestières, l'aviation, les tanks, (artillerie et les véhicules de transport ennemis perdaient leur efficacité. Les bombes et les obus lancés au hasard sur les immenses forêts et montagnes se perdaient au milieu des arbres et des rochers et ne causaient jamais la moindre perte à notre population. Quant aux tanks et véhicules de transport, nos grandes forêts et nos montagnes leur étaient inaccessibles. Il restait l'infanterie. Contre celle-ci, nous posions des pièges des chausses-trappes, des épieux de toute sortes et nous dressions des obstacles en abattant des arbres à travers tous les sentiers, les chemins, les routes. Si l'ennemi s'entêtait à y pénétrer, il était à la merci de nos unités de guérilla qui étaient les maîtres du terrain, dans leurs propres forêts.
    Telle est la guerre du peuple, fondée sur la guerre de guérilla. La guérilla menée partout, où n'importe qui peut combattre.
    Nous pouvions ainsi mobiliser tout le peuple pour attaquer l'ennemi sans attendre les unités constituées. C'est ce qui prouve l'efficacité de notre ligne de guerre populaire fondée sur la guerre de guérilla.
    Avec des unités de guérilla de 50 000 combattants, dans tout le pays, nous attaquions partout, sans répit. Tout le monde, sans exception, cherchait n'importe quel moyen pour anéantir l'ennemi, en n'importe quel endroit. Si chaque groupe de trois guérilleros ou unité de dix guérilleros parvenait à anéantir un ennemi par jour, tué ou blessé, 50 000 guérilleros dans tout le pays, cela fait un nombre considérable d'ennemis quotidiennement mis hors de combat. C'est ainsi que les forces ennemies étaient continuellement affaiblies par nos guérilleros.
    Nous avons foi dans notre ligne de la guerre du peuple. Nous avons foi non pas dans les armes, mais dans notre ligne de la guerre populaire.
    Notre armée comptait 4000 combattants et nos unités de guérilla, 50 000. Après le coup d'Etat de l'impérialisme américain et du traître Lon Nol, ces unités se transformèrent immédiatement en unités régionales et en unités de l'armée régulière, en compagnies et en bataillons. Celles-ci n'étaient pas constituées à partir des habitants ordinaires. Elles étaient bien issues des unités de guérilla, unités ayant déjà derrière elles deux à trois années de combat. Ces unités étaient donc rompues au combat. C'est cela qui a surpris l'ennemi.
    L'impérialisme américain, malgré ses systèmes électroniques et ses réseaux serrés d'espionnage ne s'est pas moins trompé sur l'évaluation stratégique de nos forces. Il s'est lourdement trompé dans ses calculs, aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine militaire. Dans sa stratégie politique il avait prévu que, après le coup d'État, le triste Lon Nol pourrait rassembler les "Khmers Rouges" alors qu'au contraire, c'est la révolution qui a rassemblé toutes les forces nationales et populaires dans tous le pays pour mener une attaque foudroyante contre l'impérialisme américain. Ainsi, il a commis une grossière erreur stratégique dans le domaine politique. Deuxièmement, dans le domaine militaire, il avait estimé que nous n'avions ni armée, ni aucune force militaire. Il avait prévu qu'après le coup d'Etat, ses forces militaires combinées, avec le concours de l'armée du traître Lon Nol, n'auraient aucune difficulté pour nous écraser d'un seul coup. Cependant, en vérité, nous possédions déjà 4000 combattants dans nos unités constituées et 50 000 combattants dans nos unités de guérilla qui étaient bien entrâmes et bien rompus au combat.
    Immédiatement après le coup d'Etat, des manifestations et insurrections populaires impétueuses éclatèrent à travers tout le pays, balayant l'ennemi comme un raz de marée, emportant le pouvoir ennemi par pans entiers dans les villages, les communes, les districts et dans certaines provinces. Le pouvoir révolutionnaire s'installa immédiatement partout. Des dizaines de milliers d'armes arrachées à l'ennemi passèrent immédiatement aux mains des Forces Armées Populaires de Libération Nationale depuis les unités de l'armée régulière jusqu'aux forces régionales et les unités de guérilla de district, de village et de commune. Ainsi, nous disposions d'unités constituées en nombre suffisant. Avec le concours des unités de guérilla, nos forces armées sont passées à l'attaque partout, dans tout le pays, dans un puissant élan offensif et avec une totale maîtrise.
    Ainsi, l'impérialisme américain a commis également une erreur stratégique grossière dans le domaine militaire. Mais, même dans le cas où ses estimations et prévisions avaient été justes, il ne pouvait nullement échapper à la défaite. Même s'il avait été en mesure de connaître avec exactitude nos forces, il ne pouvait échapper à la défaite car notre guerre populaire de libération nationale est une guerre invincible.
    Nous pouvons ainsi qualifier notre guerre populaire parce qu'elle est celle du peuple, c'est le peuple tout entier qui fait la guerre, de son propre mouvement. Toutes les forces dans tout le peuple bougent et assènent des coups à l'ennemi sur tous les fronts et dans tous les domaines, avec n'importe quelle arme, avec esprit créateur et avec esprit d'initiative.
    Notre guerre populaire est invincible. Telle est notre conviction . Une conviction basée sur notre confiance et notre fierté envers notre peuple et envers notre armée. Avec notre peuple et notre armée, nous avons pu libérer notre pays. De même, nous sommes assurés de pouvoir le défendre parce que d'une part, nous nous tenons fermement du côté de la justice, nous nous en tenons aux justes principes révolutionnaires, nous ne violons la souveraineté d'aucun pays, nous ne nous ingérons dans les affaires intérieures d'aucuns pays, et parce que d'autre part, la guerre populaire destinée à assurer la défense de notre pays comme celle qui naguère a été menée pour la libération nationale, revêt un caractère scientifique issu de la pratique révolutionnaire des masses et s'appuie profondément sur les masses.
    Nos combattantes également, ont été très vaillantes. Dans l'histoire de notre armée, nous possédons des unités féminines qui sont des bataillons et des régiments. Ces unités ont participé au combat, en première ligne, sur les différents fronts, en particulier sur le front du Mékong inférieur, sur les fronts aux alentours de Phnom Penh et sur le front de Phnom Penh même au cours de la dernière offensive générale de 1975. Pourquoi cela a-t-il été possible ? C'est parce que notre peuple tout entier faisait la révolution et que nous avions un puissant mouvement révolutionnaire.

NOTE FINALE:
    C'est ainsi que ceux qu'on appelait à Phnom Penh les "Khmers Rouges" réussirent non seulement à éliminer un régime devenu de plus en plus odieux à tout le peuple, régime où la corruption était reine, plus soucieux de construire des casinos que de donner à manger au peuple. Mais également les Khmers Rouges réussirent à vaincre l'impérialisme américain installé dans le pays militairement depuis 70.
    On s'en souvient, en 1970 a eut lieu un coup d'État mené par Lon Nol, premier ministre depuis 68, homme des américains.
    Depuis déjà 2 ou 3 ans, les forces Américano-Sud-Vietnamiennes, exerçaient leur "droit de suite". Sans doute eux aussi "à chaud" comme le disent aujourd'hui les Vietnamiens selon la bonne logique impérialiste. Mais nous n'en sommes pas encore là. Défoliations, bombardements de villages, paysans tués, les Cambodgiens n'étaient pas hors du combat. La 4ème ceinture de Saigon s'étendait de fait jusqu'à une vingtaine de kilomètres à l'intérieur du Cambodge.
    La résistance Vietnamienne progressait ayant déjoué tous les plans américains. "Pacification", "guerre spéciale". Bombardement du Nord. Vietnamisation de la guerre, etc...

 * * *

III) LES PREMIERES DIVERGENCES.

    Mais où en était l'unité des deux peuples ?
    Il est un fait certain, c'est que l'unité est demeurée le facteur principal. Si nous n'avons connaissance qu'aujourd'hui des divergences qu'ont pu connaître le Parti du Travail du Vietnam et le Parti Communiste du Kampuchea, c'est que les dirigeants eux-mêmes ont considéré et pratiqué l'unité principalement.
    Nous l'avons vu dans un premier temps, ce sont les Vietnamiens qui à la fois dirigent et sont moteurs dans la lutte contre le colonialisme en Indochine. Ils formeront une bonne partie des cadres du Parti et de l'armée Cambodgienne à ses débuts. Puis se dessinent des voies autonomes pour chaque pays, voies correspondant aux problèmes particuliers, nationaux, qu'ont à résoudre les révolutionnaires, tant Vietnamiens que Cambodgiens. C'est le programme du FNL d'une part, celui du P.C.K. d'autre part puis du Front Uni National du Kampuchea (FUNK) à partir de 1970.
    La guerre d'agression des américains ne s'arrête pas aux frontières du Vietnam. Le Cambodge est un arrière sûr souvent nécessaire aux Vietnamiens, tant du point de vue des combattants qui s'y replient et s'y nourrissent que du point de vue de l'approvisionnement en armes: c'est la piste Ho Chi Minh qui passe par le Cambodge.
    D'autre part, le gouvernement socialiste du Nord-Vietnam se doit tant du point de vue de l'intérêt de la lutte au Sud que du point de vue du peuple Cambodgien d'avoir une politique d'État à l'égard du gouvernement Cambodgien de Sihanouk. Soutenir tant qu'elle représente une réalité la neutralité du Cambodge, aussi ambiguë soit-elle c'est une bonne chose. Cela n'indique rien de la politique que doivent suivre les révolutionnaires Cambodgiens.
    De même pour les révolutionnaires Cambodgiens face à la volonté des américains d'isoler le F.N.L. - bombardement de la piste Ho Chi Minh, il était de leur devoir de tout faire pour empêcher la fermeture du Cambodge. Pourtant, respecter l'autonomie de chacun tout en dégageant les points d'intérêts communs aux uns et aux autres n'étaient pas chose facile.
    Le passage à la lutte armée des Cambodgiens ne risquait-il pas d'étendre la guerre au Cambodge et donc de priver les Vietnamiens d'un arrière nécessaire.
    Inversement, la présence des combattants Vietnamiens au Cambodge ne risquait-elle pas de renforcer la propagande anti-Vietnamienne et pro-américaine des autorités Cambodgiennes et de rendre plus difficile le travail des révolutionnaires Cambodgiens ?
    Toutes ces questions se posèrent. Il semble en effet que la première divergence que rencontrèrent les révolutionnaires Cambodgiens et Vietnamiens porte précisément sur la question de savoir si les Cambodgiens devaient s'engager ou non dans la lutte armée. Mais aussi sur la question de l'indépendance et de la souveraineté des Partis.
    Les documents que nous utilisont sont extraits pour la plupart, en ce qui concerne les Cambodgiens, d'un texte publié par le Kampuchea Démocratique en 1978 intitulé "Faits et preuves des actes d'agression et d'annexion du Vietnam contre le Kampuchea"; en ce qui concerne les Vietnamiens "Dossier Kampuchea" dans Études Vietnamiennes Hanoï 1978.

A) SOUTIEN RÉCIPROQUE OU DOMINATION DES PLUS FORTS ?

    "Dès qu'ils surent que le Parti Communiste du Kampuchea s'était définitivement organisé, les Vietnamiens ont commencé à lancer des attaques systématiques contre la révolution du Kampuchea. Dans ce but, ils ont utilisé plusieurs procédés dont notamment les deux suivants:
    - ils ont organisé en secret un autre organe de direction, un autre parti à l'insu des révolutionnaires du Kampuchea (NDLR: il s'agit sans doute du Parti Populaire Révolutionnaire Khmer). Les hommes que les Vietnamiens ont mis en place étaient des anciens cadres qu'ils avaient formés avant les accords de Genève de 1954 et qui par la suite ont fait parti du groupe Pracheachon (Cf plus haut). Certains éléments de ce groupe attaquaient ouvertement le P.C.K. alors que d'autres menaient des manoeuvres de séduction à l'intérieur même du Parti.
    - les Vietnamiens attaquaient eux-mêmes la politique du Parti Communiste du Kampuchea. Ils s'opposaient totalement à la ligne du Parti Communiste du Kampuchea depuis 1960.
    Ils étaient contre l'analyse du PCK sur la division des classes dans la société du Kampuchea. Ils prétendaient que le Kampuchea ne réunissait pas encore les conditions d'une société divisée en classes. Ils affirmaient que la société du Kampuchea présentait les mêmes caractéristiques que celle du Laos.
    En rejetant l'analyse des classes du P.C.K. il était clair que les Vietnamiens s'opposaient à toute la ligne du Parti.
    - ils étaient contre la ligne d'indépendance et de souveraineté du P.C.K.
    - ils s'opposaient également à la ligne consistant à mener en même temps la lutte armée et la lutte politique.
    A l'appui de leurs arguments, les Vietnamiens se référaient à la résolution des 81 partis réunis à Moscou en 1960 qui considérait la défense de la paix dans le monde comme la tâche prioritaire"
                Phnom Penh 1978 Septembre (Dossier Noir)

B) UNE CONCEPTION DIFFÉRENTE DE LA RÉVOLUTION: différence qui divise le camp socialiste à l'époque.

    Il est intéressant de constater que les Cambodgiens font ici référence à la conférence des 81 partis réunis à Moscou. Cette conférence opposa en effet violemment un certain nombre de partis dont principalement le PCC et le PTA (Chine et Albanie) à l'URSS et elle marque une étape importante dans la scission du mouvement communiste international.
    Le PCC s'opposait au PCUS notamment sur les points suivant:
    1) Le fait que pour le P.C.U.S. la coexistence pacifique et la compétition économique sont la ligne générale de la politique extérieure des pays socialistes.
    2) La thèse du passage pacifique au socialisme.
    3) La thèse selon laquelle les pays socialistes ne peuvent agir "isolément" thèse qui pour le PCC "s'oppose en fait à ce que les pays socialistes suivent dans leur édification le principe consistant à s'appuyer essentiellement sur leurs propres forces".
    4) La thèse concernant l'opposition à ce que l'URSS appelle les "activités de groupes et de fractions" au sein du mouvement communiste international. Thèse qui tend en réalité à faire obéir les Partis frères à la baguette de la direction du PCUS, à liquider les principes d'indépendance et d'égalité régissant les rapports entre les partis frères . (Cf à ce propos : "A propos de la lettre ouverte du Comité Central du P.C.U.S." réponse du P.C.C. 1963 Pékin).
    Les Vietnamiens, comme le P.C.U.S. pensent qu'à partir du moment où les pays sont indépendants, le passage pacifique au socialisme est la voie à suivre. Ils pensent que les Cambodgiens n'ont pas à entrer dans la lutte armée. Ils pensent, comme tous ceux qui se regroupent autour de l'U.R.S.S., les révisionnistes, que le capitalisme doit se développer pour que la lutte des classes puisse exister. C'est ainsi que l'on peut comprendre leur opposition à l'analyse des Cambodgiens. Ils envisagent un type "d'indépendance" et de développement tout à fait différent de celui qu'envisage les Cambodgiens. Pour éclairer ce point nous envisageons d'étudier la question du développement du Nord-Vietnam. D'interroger sa conception du développement industriel (la révolution scientifique et technique) et son plan de réforme agraire.
    C'est sur la question de la paysannerie que divergent l'analyse des Cambodgiens et des Vietnamiens.

C) DES INTÉRÊTS PARTICULIERS.

    Outre un accord idéologique avec les positions de l'U.R.S.S., les Vietnamiens ont alors un intérêt tout particulier à ce que le Cambodge reste neutre: c'est pour eux un arrière sûr tant du point de vue de l'approvisionnement en armes et munitions que du point de vue du repli des combattants.
    Pour eux, soutenir la politique de paix et de neutralité de Sihanouk, c'est une nécessité. Mais compter uniquement sur leur politique extérieure d'État pour y parvenir est une erreur, imposer cette politique aux Cambodgiens également. Les Vietnamiens n'ont pas pris en compte que c'était bien le rapport du peuple Cambodgien à la politique de Sihanouk et inversement de Sihanouk au peuple qui pouvait permettre au Cambodge de maintenir une telle politique. Ils ont monnayé leur présence au Cambodge contre l'indépendance et l'autonomie des révolutionnaires Cambodgiens. D'abord la libération du Vietnam, ce qui constituera un point fort sur lequel les autres mouvements en retard pourront et devront s'appuyer. On voit là se profiler une politique qui deviendra celle du diktat dans la région. Les Vietnamiens le disent aujourd'hui. Leur 'droit d'intervenir' , c'est celui qu'avait l'U.R.S.S. d'intervenir en Tchécoslovaquie.
    En rapprochant les thèmes qui ont été au coeur de la scission du mouvement communiste international, la voie qu'aujourd'hui a choisie le Vietnam et les critiques et attaques dont les Cambodgiens disent avoir été l'objet, on a de bonnes raisons de penser que ces similitudes sont significatives. La lutte à propos de la ligne politique qui comme le disent les Cambodgiens était menée jusqu'au sein même des organes de direction du Parti par des cadres dirigeants est celle-là même qui causa la mort du Mouvement Communiste International.
    Mais continuons.
    En 1965, une délégation du P.C.K. dirigée par Pol Pot, secrétaire du Parti, se rend à pied depuis la base révolutionnaire au Kampuchea jusqu'à Hanoï. Elle est reçue par Le Duan. Ce dernier remet un document à la délégation.

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suite pages 30 à 37 è

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