Le Dimanche 7 Janvier, Radio-Hanoï
annonce la prise de Phnom-Penh par le "FUNSK".
Blindés, artillerie, aviation Vietnamiens portaient
ignominieusement au pouvoir le gouvernement le plus fantoche
que l'histoire ait jamais connu. Créé le 3
Décembre 1978 par les Vietnamiens, d'où
pouvait-il tirer sa légitimité sinon de la
force des armes Vietnamiennes ?
La nouvelle n'était pas
surprenante sinon pour ceux qui s'accrochaient au
passé, se reniant de ne vouloir comprendre. Depuis
plus d'un an les Cambodgiens ne cessaient de dénoncer
les projets d'invasion des Vietnamiens. Pourtant, la
nouvelle est grave. Au mépris du droit des nations,
du respect des frontières, de la paix mondiale, ils
avaient osé renverser par la force un gouvernement
qui ne leur plaisait pas pour mettre le leur. Qui ? Les
Vietnamiens !
Grave, non pas selon la version: "le
camp socialiste est déchiré", "voilà
les relations qu'entretiennent les pays socialistes !". Il
n'y a que les oublieux de l'histoire, ceux qui veulent salir
les uns par les autres, qui pensent encore en ces termes
pour le besoin de leur cause.
Non, si trouble il y a, c'est de
l'histoire propre de ces deux pays, de leur admirable lutte
contre l'impérialisme américain qu'il
vient.
Comment se fait-il que le peuple
Vietnamien, que le gouvernement Vietnamien, qui a
mené une lutte de libération nationale contre
l'impérialisme américain, que ce peuple qui,
pour le monde entier a été le symbole de la
résistance à l'impérialisme
américain, en vienne à agresser son voisin,
ancien frère d'armes.
Comment expliquer ce passage en
apparence si rapide d'une politique d'indépendance
à une politique expansionniste ?
Et puis pourquoi cette agression ? Les
Vietnamiens envisageaient-ils, comme le soutiennent les
Cambodgiens, malgré leurs dénégations,
une fédération Indochinoise avec une division
des tâches: industrie pour le Vietnam, riz pour le
Cambodge, pour le Laos... ?
S'agit-il d'une nouvelle manoeuvre de
l'impérialisme Russe pour encercler la Chine, et
tâter le terrain pour connaître les annexions
pratiquables ?
Est-ce encore l'expérience
même du Cambodge de compter sur ses propres forces, de
refus de se plier à l'une ou l'autre des
superpuissances que le Vietnam ne peut supporter à
ses frontières ?
Ces questions ont une histoire: celle
de la politique d'édification du "socialisme" au
Nord-Vietnam, celle de la politique du Parti du Travail
Vietnamien à l'égard de la résistance
Cambodgienne, celle de la lutte du peuple Cambodgien.
Ce sont les 2 derniers points, parce
qu'ils nous sont plus immédiatement accessibles, que
nous développons ici. Accessibles, parce que nous
avons les documents nécessaires, mais aussi peu
connus, de l'unilatéralité avec laquelle nous
lisions le Vietnam. Hier, il était juste d'en
soutenir l'aspect principal: la lutte contre
l'impérialisme américain.
Aujourd'hui, il est important d'en
dénoncer l'aspect principal: l'expansionnisme.
I) UN ENNEMI, UNE ORGANISATION, 3
PAYS.
Au début du siècle,
l'Indochine est soumise à la domination coloniale
française. La partie Asiatique de "l'empire" regroupe
les 3 pays: VietNam, Laos et Cambodge. Dans les 3 pays, le
colonialisme français rencontre des
résistances souvent massives, parfois violentes,
toujours présentes: paysans, religieux,
intellectuels, ouvriers des ports ou des plantations, des
chemins de fer; mouvements populaires écrasés,
matés par la police et l'armée
française.
En 1930 est créé le Parti
Communiste Indochinois- composé dans son immense
majorité de Vietnamiens, dirigé par des
Vietnamiens.
Il se donne pour but de
"reconquérir l'indépendance totale de
l'Indochine et distribuer la terre aux paysans" (Statuts du
PCI). La constitution de ce parti unique pour les 3 pays est
plus inspirée par la lutte contre un ennemi commun,
l'impérialisme français, que par un projet
positif propre aux 3 pays. Distribuer la terre aux paysans
est une indication d'un problème identique
légué par le colonialisme, la majeure partie
de la population est paysanne, sans elle, pas de
libération. Mais quant à la
spécificité de la question nationale pour
chacun des pays, le projet est flou.
La stratégie de l'ennemi
nécessitait d'ailleurs une stratégie commune.
Tant qu'il avait un pied dans la région,
l'impérialisme français ne perdait pas espoir
de la dominer dans son ensemble. C'est ainsi que le
général De Gaulle avouait en 1955 les
ambitions ratées de la France : "En envoyant en
Indochine le haut-commissaire de France et le corps
expéditionnaire, en septembre 1945, je donnais
à d'Argenlieu et à Leclerc des instructions
qui consistaient en ceci: 'prenez pied dans le Sud,
c'est-à-dire en Cochinchine et dans le sud-Annam
ainsi qu'au Cambodge et au Laos. Ramenez l'ordre et la paix.
A partir de là, prenez tous les contacts possibles
avec toutes les tendances quelles qu'elles soient qui se
partagent le Nord de l'Indochine: Tonkin et Annam du Nord,
mais n'y allez pas en forces avant que je vous le prescrive.
Or je ne suis pas pressé... que les États-Unis
ne se mêlent de ce qui est notre affaire..." Ce qui
s'est passé ensuite, c'est évidemment le fait
du régime qui m'a succédé" (De Gaulle,
discours 1955).
Cette stratégie impliquait une
solidarité toute particulière entre les 3
peuples. Solidarité qui devait avoir pour objectif de
réduire l'inégalité de fait du
développement du mouvement de libération
nationale. C'est l'histoire de cette solidarité
compliquée que nous allons suivre dans ce texte.
Alors que l'impérialisme
français impose une histoire commune aux 3 peuples,
l'histoire réelle de ces 3 peuples est au contraire
l'appropriation de leur différence, de leur
identité nationale.
Comment ces différences
sont-elles apparues à travers les luttes mêmes
de chacun de ces peuples, comment ont-elles
été traitées ?
A) LE VIETNAM. LA LUTTE DE LIBÉRATION
NATIONALE.
C'est justement au Vietnam, où le
mouvement de libération nationale est le plus
avancé qu'est créé dès 1941 une
organisation proprement Vietnamienne : le Viet Minh (ligue
pour la libération du Vietnam). 1941, date du
début de la lutte armée qui succède aux
mouvements ouvriers et paysans des Soviets de
Nghé-Anh, aux grèves du port de Saïgon,
aux nombreux mouvements revendicatifs des coolies des
plantations de caoutchouc, des paysans des rizières,
des nationalistes.
1941, c'est la seconde guerre mondiale,
les colonialistes français collaborent dans un
premier temps avec les Japonais, ce sont alors les
insurrections populaires et en 1945, lorsque les Japonais
éliminent pour la remplacer la domination
française, il ne faudra attendre que 5 mois,
Août 1945, pour que le Viet Minh soit en mesure de
donner l'ordre d'insurrection générale et que
Ho Chi Minh proclame le 2 Septembre 1945 la
République Démocratique du Vietnam.
En 1946, le gouvernement
français reprend sa conquête: bombardements sur
le Vietnam. Le peuple Vietnamien s'engage dans la
résistance jusqu'à la victoire de Dien Bien
Phu (printemps 1954) contre le corps expéditionnaire
français. Ce sont enfin les accords de Genève
de 1954, la promesse d'élections en 1956 dans le Sud
et la séparation de facto du Vietnam en deux. Les
américains préparant la relève des
français depuis la fin de la seconde guerre mondiale
ne font que reprendre les espoirs de De Gaulle: S'implanter
au Sud, au Laos et au Cambodge. La guerre
continue.
B) LE CAMBODGE. L'INDÉPENDANCE FORMELLE.
A partir de la seconde guerre mondiale au
Cambodge, la situation devient différente de celle du
Vietnam.
Sihanouk, soigneusement
élevé par les envoyés du
Maréchal Pétain, va réussir pour un
temps et malgré les difficultés croissantes,
de fait jusqu'en 1970, à "représenter" les
aspirations nationalistes de son peuple.
En effet, en 1945, au moment du coup de
force Japonais, il dénonce les traités
signés avec la France et proclame
l'indépendance du Cambodge. S'il prend comme premier
ministre un homme de main des Japonais, il refuse d'engager
son pays dans la guerre au côtés de ces
derniers. Prudent, il n'entend pas se mettre à dos
les forces nationalistes, et surtout permettre aux
maquisards de plus en plus nombreux au Cambodge d'unifier
toutes ces forces.
Les révolutionnaires au Cambodge
sont principalement alors regroupés au sein du "Front
de Libération Khmer" constitué par un Khmer
Krom, Sientteng, membre de l'état-major du "Nambo",
le front de Libération du Sud Vietnam.
D'après F. Debré , auteur
d'un livre sur le Cambodge: " Dès 1949, des maquis
sont installés dans la région de Pailin
à l'ouest du pays et à Svay Rieng à
l'est, ils sont composés de Khmer Kroms, de
Vietnamiens du Cambodge et de quelques ressortissants
Chinois gagnés par l'idéologie du NANYANG
Communist Party (section d'Outre-Mer du PC Chinois). Le but
de ces maquis est de prêter main forte aux Vietnamiens
en ouvrant un nouveau front contre les français. Un
document révélé en 1948 établit
les objectifs des "Issaraks" (libres) Khmers: destruction
des voies de communication conduisant au Laos et au
Sud-Vietnam, destruction du réseau économique
et financier colonial au Cambodge, création
d'une grande base révolutionnaire dans l'Ouest de
l'Indochine" extrait de "Cambodge, la révolution de
la forêt" p 40, F. Debré
Flammarion.
A cette époque, les paysans ne
semblent pas massivement engagés dans le combat
anti-colonialiste, même s'ils ne sont pas hostiles au
mouvement de libération (selon le commandement
militaire français, ils auraient versé aux
révolutionnaires 150 millions de piastres en 1950,
soit la moitié du budget national Cambodgien) mais le
roi a promit d'obtenir l'indépendance. Et si de fait
le mandat français est quasiment rétabli en
1947, l'indépendance , même formelle du
Cambodge sera proclamée en 1953 - un an avant les
accords de Genève.
Sihanouk a réussi à
canaliser à son profit et pour un temps la lutte pour
l'indépendance. Les forces révolutionnaires
resteront pour l'essentiel Vietnamiennes, exception faite
des minorités Khmers Islam et Khmers Ioen. Le
rôle prédominant des Vietnamiens dans la lutte
contre le colonialisme français et Japonais en
Indochine, leurs tentatives d'étendre et de diriger
la résistance dans les trois pays est
indéniable.
Que ce rôle puisse se transformer
en son contraire c'est toujours chose possible, reprocher
aux Vietnamiens de l'avoir joué serait une
aberration.
Les Vietnamiens ont mené une
lutte sans précédent contre 3
impérialismes: français, Japonais et
Américain. Que tous les peuples s'en
souviennent.
De plus, un point de vue d'ensemble
pour les 3 pays était nécessaire. La
stratégie de l'impérialisme français
dans la région l'imposait.
Après la seconde guerre
mondiale, les situations sont différentes, le Parti
Communiste Indochinois en a pris acte. Il se dissout en
février 1951. La ligue pour l'indépendance du
Vietnam (Viet Minh), le front Lao (ISSALA) et le front Khmer
(ISSARAK) se constituent respectivement au Vietnam, au Laos
et au Cambodge.
Le IIème congrès du Parti
Communiste Indochinois analyse notamment les choses de la
manière suivante: "Depuis 1930, dans les conditions
de l'Indochine coloniale, les peuples du Vietnam, du
Cambodge et du Laos ont lutté côte à
côte contre les colonialistes français sous la
direction de la classe ouvrière et de son parti
politique. Aujourd'hui, avec le développement des
mouvements révolutionnaires du Vietnam, du Cambodge
et du Laos, les trois peuples ont grandi et se sont
constitués en trois États
séparés. Leur tâche
révolutionnaire reste toujours
anti-impérialiste, mais comporte par ailleurs des
points différents" (IIème congrès du
P.C. Indochinois).
En Mars 1951, est fondé
l'alliance des peuples Vietnamien, Khmer et Lao
"composé de représentants des 3 fronts
nationaux : front Lien Viet-Front Lao Issala-Front Khmer
Issarak, afin d'anéantir les colonialistes
français, faire échec aux interventionnistes
américains, libérer totalement les 3 pays et
s'opposer à toute manoeuvre de division de
l'ennemi".
L'unité était
nécessaire, l'unité a prévalu. D'autant
que déjà Sihanouk entendait faire taire toute
voix révolutionnaire. Mais l'unité
était difficile.
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