Chine : des témoins racontent le Grand Bond en Avant


Chaque jour, l’ordre mondial et les intérêts des groupes impérialistes maintiennent dans la misère et la famine des centaines de millions de personnes. L’arme alimentaire est devenue une arme de guerre pour affamer les pays pauvres qui ne se plient pas à la politique étrangère des dominants ou aux diktats économiques du FMI et de la Banque Mondiale. Pourtant, la Chine a rompu il y a 50 ans avec la domination impérialiste en se lançant dans un grand bond en avant pour l’indépendance et le socialisme. Des dizaines de témoins occidentaux ont rapporté ce qu’ils ont vu au cours de la période entre 1958 et 1961.

Sommaire:
Introduction
Les famines millénaires ne sont plus une fatalité
De la Mongolie à la province du Shaanxi
Des grands travaux hydrauliques pour servir le peuple
De Hankou au Sichuan
La démocratie populaire dans les Communes
« Sans la commune populaire, nous n’aurions pas pu supporter la sécheresse.»
Le gouvernement chinois a-t-il mal réagi?
Une période de conflits sociaux et de lutte entre 2 lignes
« Ce que peut faire un homme, une femme le peut aussi »
Une révolution industrielle différente et l’autonomie ouvrière
La Chine rattrape l’Union Soviétique et dépasse l’Inde
Quel est le bilan économique du maoïsme?
Notes


Introduction

Le travail de dénigrement et de falsification des pays socialistes par les anti-communistes est crucial pour décourager les pauvres et empêcher de voir au-delà de leur système impérialiste moribond. Que le quart de l’humanité s’émancipe comme la Chine, sorte de la pauvreté, du féodalisme et de la domination impérialiste en devenant socialiste offre un trop grand contraste avec l’état misérable du Tiers-Monde.
Les opérations de révisions historiques sont nombreuses sur le Grand Bond en Avant mais l’obsession quasi unique des anti-communistes est de compter « les morts du communisme ». Le progrès social, l’élévation du niveau de vie et le bien être des gens les intéressent peu ou pas du tout. Quelques exemples. Parmi les 30 millions déclarés de « victimes au bas mot de la famine» lors du Grand Bond en Avant, d’après Jasper Becker (Cf. Les forçats de la Faim dans la Chine de Mao, L’‘Esprit frappeur, 1999), celui-ci inclus les chiffres de la baisse du taux de natalité de 1959-60 (par rapport à 1958). Résultat : On atteint une estimation triplée et sur 27 millions de victime supposés de la faim, 17 millions n’étaient pas nés ou même pas conçu à l’époque.
Dans Le Livre noir du communisme (sous la direction de Stéphane Courtois), Jean-Louis Margolin multiplie tout simplement par dix les taux de mortalité des années 1958-1961, convertissant en pourcentages les estimations pour mille. Mais les mystifications anti-communistes ne se limitent pas au Grand Bond en Avant. Un article du Time Magazine de 1996 affirme que la Révolution Culturelle a coûté la vie à un million de personnes tandis que le site web du Dalai Lama parle de 40 millions de morts (1)…
Les articles de l’économiste Utsa Patnaik, de l’Université Jawaharlal Nehru (Inde), montrent les formidables réalisations économiques de la Chine de Mao et dévoilent le mensonge médiatique de la « grande famine» du Grand Bond en Avant. Un autre moyen d’aborder cette époque, ce sont les témoignages des dizaines d’observateurs occidentaux indépendants qui étaient présent en Chine pendant et après le Grand Bond en Avant comme les journalistes Edgar Snow et Tibor Mende, l’agronome français René Dumont, le sociologue Jan Myrdal et d’autres qui n’ont jamais vu ou entendu parler de « grande famine » au cours de leurs voyages à travers le pays.
En 1960, Edgar Snow qui visite la Chine à cette époque raconte : «Je me rends compte qu’il existe un mythe de la « famine générale » qui sévirait en Chine (…) S’il est actuellement aussi répandu, c’est grâce à la propagande de la presse mobilisée dans la guerre froide (...) Pendant mon séjour en Chine, Look me demanda des informations sur la « famine » : mes investigations furent infructueuses et je fus incapable de photographier des gens mourant de faim, ou mendiant de la nourriture. Personne n’eut d’ailleurs plus de succès (…)Autant que je sache, aucun voyageur non communiste, ayant séjourné en Chine pendant cette période, n‘a apporté la preuve indiscutable d’une telle famine. Je ne parle pas ici de rationnement alimentaire, ni de restrictions sur le superflu que j’ai maintes fois signalé ; je parle de gens qui meurent de faim, au sens que la plupart d’entre nous donnent au mot « famine » et dont je fut jadis témoin. »
Il poursuit : « mes affirmations sont corroborés par des informations toutes fraîches en provenance d’observateurs occidentaux ayant séjourné en Chine plus récemment que moi encore. Tel est le cas de Gilbert Etienne, l’économiste suisse, professeur à l’Institut International des Etudes Supérieures de Genève, qui a publié ses impressions dans Le Monde ; de même Clare Mc Dermott, correspondant attitré de l’agence Reuter à Pékin ; ou encore le docteur Armand Forel, membre de l’Assemblée Fédérale Suisse ; à son retour de Chine, en juin 1962 il me fit savoir « qu’il avait été libre de parcourir les rues et qu’il n’avait constaté aucun symptôme de famine, qu’il n’avait rencontré aucun mendiant, aucun enfant sous-alimenté ou rachitique. ». (3)
Dans cet article, la plupart des mythes anti-communistes sur cette période seront abordés à travers les différents témoignages. Les extraits choisis touchent plus particulièrement les provinces chinoises concernées par les chiffres des taux de surmortalité, calculés et publiés vingt ans après, au début des années 80. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas eu de surmortalité. Comme l’a expliqué Utsa Patnaïk, l’augmentation du taux de mortalité pendant les années 1959-61 par rapport à 1958 démontre qu’il y a bien eu une surmortalité au cours de 1959 à 1961. Nous verrons pourquoi. Mais comme l’explique aussi Utsa Patnaïk, un rationnement alimentaire a été maintenu de façon équitable. La surmortalité c’est produit indirectement, touchant les populations les plus vulnérables en soi, même dans une société égalitaire, comme les femmes enceintes, les enfants en bas âges et les personnes âgées. 

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Les famines millénaires ne sont plus une fatalité

Il est nécessaire de rappeler l’état social et sanitaire de la Chine avant la révolution de 1949 car comme l’écrit un observateur de l’époque, « ce n’est qu’à l’aune du passé qu’on peut mesurer le bilan sur lequel s’édifie maintenant l’avenir de la Chine ». (4)
Visitant en 1964 la commune populaire de Yang-Ling, dans la province du Shaanxi, l’agronome René Dumont rappelle la situation qui prévalait auparavant: « En 1929, une famine effroyable a sévi sur la région qui aurait fait mourir 40% de la population de cette commune et obligé nombre de foyers à vendre leurs enfants et leurs terres ; ceux qui ne pouvaient rembourser leurs dettes étaient odieusement battus. Là-dessus intervinrent les bandits qui volèrent, mirent le feu aux maisons, blessèrent des centaines et tuèrent des dizaines de paysans. La commune est venue à bout de calamités naturelles du même ordre –on dit même supérieures–survenues en 1959-1961. Aussi les vieux, qui peuvent comparer les deux époques, disent que sous la direction du Parti-Mao, on peut vaincre les calamités. » (5)
Tibor Mende, correspondant pour de nombreux journaux, qui voyagea longuement à travers la Chine en 1959, rappellent qu’avant la Libération de 1949, la situation était telle que « les animaux de trait étant rares, leur travail était mieux rémunéré que celui des innombrables laboureurs (…) En 1939, un ouvrier agricole gagnait en moyenne 0.58 dollars chinois par journée de travail, sans être nourri ni logé, alors qu’on payait 1.16 dollars chinois pour un animal de trait. » (6)
En 1920-1921, la famine avait une nouvelle fois sévit en Chine du Nord suite à la sécheresse des provinces du Jilin, Shandong, Henan, Shanxi, et Shaanxi :
« Les statistiques partielles d’un comité protestant de secours aux victimes estimaient que dans 317 xian (districts) de ces cinq provinces, 19 millions de paysans sur 48 millions étaient totalement sinistrés (…) On mangeait les feuilles et les écorces des arbres. On mangeait les animaux de trait, on mettait en gage le matériel agricole, on vendait les enfants à la ville pour le travail ou pour le plaisir. » (7)
Dans un livre consacré à la santé en Chine, le médecin argentin Gregorio Bermann saluant « le plus grand mouvement en faveur de l’hygiène et de la santé publique que le monde ait connu » entrepris après la Libération, rappelle qu’en 1927, «le centre de la santé publique de Pékin faisait savoir que dans la capitale 39.4% des habitants mouraient sans que leur soit donné aucun soin médical, 44.3% étaient traités par des médecins pratiquant la médecine traditionnelle, et seulement 16.3% étaient traités par des médecins modernes. Dans une des usines du Nord parmi les mieux équipés, 95% des travailleurs qui y étaient employés souffraient de trachome, et plus de la moitié présentaient des symptômes de malnutrition.(...) Alors que des provinces, surtout les provinces côtières avec 200 habitants et plus au kilomètre carré, n’avaient presque aucun médecin, Shanghai en avait un pour mille habitants (…) En 1949, il y avait pour toute la Chine 90.000 lits d’hôpital pour plus de 500 millions d’habitants (…) Seul un plan de socialisation de la médecine, structuré par l’Etat, embrassant tout le pays, pouvait affronter d’aussi importantes tâches (…)Avant la Libération, 40% seulement des habitants de Pékin disposaient de l’eau courante ; aujourd’hui, 90% l’ont. (…) Depuis la Libération, 240.000 kilomètres de canalisations d’eau ont été construits ou remises en état, à travers tout le pays (…) Au bout de dix ans, il y avait 1.200 hôpitaux d’une capacité totale de 467.000 lits, et environ 200.000 cliniques et centres sanitaires dans les communes rurales (...) Le taux de tuberculose passa dans ce laps de temps de 230 pour mille à 46 pour mille à Pékin (en 1958). Les maladies vénériennes avaient pratiquement disparu. La peste bubonique et le choléra, qui étaient endémiques dans certaines régions, avaient disparu, la variole fut extirpée ; on avait pris la mesure du typhus, des fièvres récurrentes et des autres maladies infectieuses. Le taux de mortalité infantile, qui atteignait 300 pour mille dans certaines régions avaient été réduites au minimum. » (9)
Bermann parle aussi des campagnes de masse pour le diagnostic du cancer et de la lutte contre le paludisme. « En 1957, neufs médecins anglais parcoururent la Chine en tous sens et confirmèrent les déclarations des autorités sur la situation de la santé publique. Une des interventions les plus enthousiastes fut celle du Dr Fox éditeur de la revue Lancet la plus prestigieuse revue de langue anglaise. Il considérait que les Chinois se trouvaient en avance, dans plusieurs domaines, dans leur effort de médecine de masse par rapport au travail de santé publique fait en Angleterre. Ainsi, dans une région de Chine, le taux de mortalité infantile était tombé à 22 cas pour mille naissances, alors qu’il était de 25 pour mille à Londres » (10)
Lors de la Révolution Culturelle dans les années 60 et 70, on alla plus loin encore en établissant des cliniques dans les zones rurales les plus éloignés grâce aux « médecins aux pieds nus », c’est-à-dire des paysans qui étudiaient la médecine préventive et étaient formé pour répondre aux besoins de santé de base.
Mais revenons au Grand Bond en Avant. Le témoignage d’un observateur occidental qui aborde le plus longuement la rumeur propagée par la CIA d’une «grande  famine » est le journaliste américain Edgar Snow, présent en Chine durant cette période.
Dans un livre de 550 pages, il décrit son voyage en 1960 : « pendant 5 mois(…) dans dix-neuf grandes villes et 14 des 22 provinces chinoises, j’avais eu plus de 70 entretiens avec des leaders chinois (…)jusqu’au jeunes cadres et j’avais pu aussi parler librement avec des soldats, des paysans, des ouvriers, des intellectuels, des avocats, des journalistes, des acteurs, des pédiatres, des nomades, des piroguiers, des prêtres, d’anciens propriétaires terriens, etc. » (11)
Répondant aux accusations qui rendent la collectivisation responsable des « années noires », Edgar Snow explique que les inondations, la sécheresse et les insectes nuisibles avaient ravagé près d’un tiers des terres cultivées en 1959. Mao et le gouvernement chinoise s’étaient mobilisés autour des mots d’ordre « que personne ne meure de faim » et « servir le peuple ». 
« Les restrictions alimentaires n’en sont pas moins réelles. Ce n’est pas un fait nouveau. (…)Le fait nouveau est que des millions de gens ne meurent plus de famille, comme c’était le cas pendant les famines chroniques dans les années 20, 30 et 40. Le fait nouveau est qu’un système de rationnement équitable a été imposé pour la première fois en Chine. Il est à peine croyable que le gouvernement chinois (quoique l’histoire puisse au demeurant lui reprocher) ait pu payer en devises des millions de tonnes de céréales dont l’importation avait été rendue nécessaire par le déficit de la récolte de 1960. (…)La restauration de l’agriculture est la préoccupation principale de la Chine depuis 1961. (…) Les gouvernants chinois prennent de nos jours la famine très au sérieux ; pour en être convaincu, il n’est pas nécessaire de prêter à la direction du Parti des intentions humanitaires. Beaucoup d’Occidentaux ne comprennent pas que, pour ne pas se désavouer lui-même, le Parti doit veiller à ce que la population soit alimentée. C’est de sa population que la Chine tire sa force. » (12)
« En général, il faut à la Chine deux années ou davantage de récolte normale pour se relever d’une année comme 1960. Mais 1959 avait déjà été déficitaire et, en 1961, les précipitations sur les terres à blé de la Chine du Nord ne furent guère plus abondantes qu’en 1960 (…) Les récoltes de ces années furent anéanties ou insuffisantes, sur des superficies telles qu’une famine catastrophique eût jadis été inévitable. Or elle fut évitée, pour les raisons suivantes : d’abords parce que le rendement dans quelques provinces favorisées fut exceptionnellement bon ; ensuite le régime de collecte et de distribution des céréales fut tant bien que mal maintenu en dépit des conditions de transport encore très archaïques, par l’exploitation des terres marginales ou par l’affectation de tous terrains privés ou communaux à l’usage de jardins de fortune ; un rationnement strict mais équitable fut imposé par des gens parfaitement conscients du caractère critique de la situation à l’échelon national, pour l’Etat l’application de ces mesures fut facilitée par l’interdépendance et l’entraide mutuelle qui caractérisent toute société collective ou communautaire.» (13)
« Un spécialiste étranger des questions agricoles a fait une étude (…)Des tests effectués dans 586 cantines communales, en 1958 et 1959, révélèrent que des paysans absorbaient une alimentation qui apportait 2 245 calories par individu et par jour au mois d’août, et jusqu’à 3000 et 4000 calories pendant la saison pénible de la moisson. Protéines, graisse, hydrates de carbone, calcium et vitamines furent généralement trouvés à suffisance. La conclusion de l’auteur était que, même en 1961, la nourriture bien que monotone et manquant d’aliments protecteurs, considérés comme essentiels dans la consommation de type occidentale, étaient suffisants pour maintenir la population chinoise en
bonne santé et dans des conditions favorables au travail.(…)Ma propre conclusion basée sur des observations faites sur place et sur des faits indiscutables, est que le minimum de « la ration alimentaire moyenne » d’un Chinois de la ville en 1960-62, variable suivant les saisons, représente environ 1 350 à 1450 calories par jour, sous forme de céréales ou de produits équivalents. Cela signifie que la ration minimale de céréales est tombée pratiquement au niveau de la « mauvaise année » de 1952 (…) La situation s’est graduellement améliorée depuis 1960 et actuellement les disponibilités alimentaires de la Chine sont certainement bien meilleures qu’on le suppose à l’étranger. Le gouvernement a « constitué des réserves fraîches » de grain, ainsi que Mao Tsé-toung l’a précisé ; les rations sont devenues quantitativement plus substantielles que par le passé. » (14)

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De la Mongolie à la province du Shaanxi


Au cours de son voyage, Edgar Snow visite le Nord-Ouest de la Chine en particulier Baotou en Mongolie, gravement atteinte par la sécheresse. «Le rationnement existait évidemment dans le pays
comme partout ailleurs, mais je ne vis ni mendiants, ni gens mourant d’inanition, ni marmots déguenillés. Du reste, les ouvriers d’aciéries et des industries lourdes, comme les mineurs, bénéficient, d’un bout à l’autre de la Chine, de rations prioritaires. » (15)
Il visite aussi le Shaanxi. « Vers la mi-septembre 1960, la presse américaine commença à faire état de nouvelles, venant de Hong Kong, sur la famine saisonnière en Chine. J’ai déjà dépeint la situation d’une région gravement atteinte par la sécheresse : Baotou. Hongkong disait que l’autre zone affectée était le Shaanxi : le bruit courait que les gens y vivaient de deux repas par jours de « riz à l’eau ». Par ailleurs, quelque impressionnante que puisse être l’industrialisation de la Mandchourie, on pouvait mieux juger, comme je l’ai déjà dit, de l’impact du nouveau régime dans des régions que la vie moderne avait auparavant peu touchées. Et peu avaient été aussi retardataires que l’arrière-Shaanxi et, dans la vallée du fleuve Jaune les terres qui bordent les parties droites de son cours moyen. J’avais fait de longues expéditions dans toute cette province au temps où la guerre faisait les jours véritablement austères, et ces terrifiantes vieilles collines de lœss exerçaient encore sur moi un attrait sentimental.» (16)
Ce que voit le journaliste américain n’a rien avoir avec la campagne de désinformation américaine. « La Chine du Nord-Ouest est géographiquement plus vaste que l’Inde et possédait autrefois moins du dixième de la population de ce pays mais le nouveau régime a donné au développement de cette région une priorité numéro 1. (…) Dans la vallée du fleuve Wei, les récoltes étaient particulièrement luxuriantes et abondantes. Nous n’étions plus dans une région de pure économie agricole. Où je me gardais en mémoire que des villages et agglomérations urbaines, disséminés le long du fleuve, s’étendaient maintenant des forêts de cheminées d’usines, des dédales d’embranchements ferroviaires et d’importantes villes industrielles.» (17)
Dans le Nord de la province, « les résultats obtenus étaient maintenant déjà suffisamment impressionnants (…)Des milliers de mètres carrées avaient été construits en terrasses en profil, et parsemés de pins, de vastes verges et vignobles. On vint à bout de pentes très raides et des ravins, et les rus et les ravines furent hermétiquement arrêtés par des barrages de contrôle, des bassins de captation des eaux, et des digues en terre, entre des centaines de corniches en palier qui retenaient et enrichissaient fortement le sol utile. Ce que les Suisses ont fait avec leurs terrasses en moellon (édifiée au cours des siècles) autour du Lac Léman pour garantir leurs précieux vignobles, se reproduit ici aujourd’hui sur une large échelle dans des digues de boue et de terres hautes de deux mètres environ, et larges de trente à soixante centimètres. Des systèmes très étudiés de drainage et de contrôle retiennent et dirigent le limon ; la productivité des champs anciens a été doublée ou triplée, des terres neuves ont été gagnées, les dangers d’inondation grandement réduits et des réservoirs d’eau propre prévus pour les besoins des hommes, et pour l’irrigation et l’énergie dans les vallées. » (18)

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Des grands travaux hydrauliques pour servir le peuple

Une des raisons qui empêchèrent que les mauvaises récoltes ne deviennent une catastrophe humanitaire se sont les barrages et les réservoirs hydrauliques construits durant cette période. Dans La Chine et son ombre, Tibor Mende explique pourquoi « ces ouvrages ne servent pas seulement à préserver les récoltes des inondations, à contrebattre les effets de la sécheresse, ils gardent les eaux en réserve pour l’irrigation, et favorisent l’extension des moissons bi-annuelles (…) Les 16 millions d’hectares déjà irrigués se sont élevé à 70 millions au cours de la dernière décade : un sixième des terres cultivées en 1949, les deux tiers en douze ans (…) En 1958, la surface des terres cultivées s’élevait à 1 617 millions de mu (le mu égalant 0.06 hectares). La surface irriguée en 1952 était de 320 millions de mus, qui passa en 1958 à 1.000 millions de mus. On y ajouta 70 millions de mus en 1959 et 60 millions supplémentaires sont prévus pour 1960. Ainsi, à la fin de 1960, la totalité des terres irriguées doit être de 1.130 millions de mus environ (…) L’effort des hommes a encore fait merveille dans le domaine du reboisement. Les campagnes chinoises ont changé de visage parce qu’on y voit maintenant des arbres. Sauvagement dépouillées de leurs forêts, les montagnes dénudées ont été les principales responsables des calamités naturelles qui ont si souvent dévasté le pays. Pendant ces dernières années, des centaines de kilomètres de rideaux végétaux ont été plantés, et les collines qui bordent les rivières commencent à reverdir. De chaque côté des routes poussiéreuses, s’alignent des peupliers et des acacias. Des sapins, rangés par quatre, montent la garde le long des voies de chemin de fer. Ces millions d’arbres fraîchement plantés retiendront le sol et les eaux, préviendront les inondations et la sécheresse, et fourniront plus tard le bois de charpente dont on a tant besoin. Depuis 1962, les surfaces reboisées sont passées d’un million de demi d’hectare à presque 60 millions d’hectares, et l’on espère qu’en dix ans, les espaces forestiers auront doublé. » (19)
Dans la province d’Anhui, se déroule aussi un projet d’irrigation gigantesque, dont la construction a demandé neuf ans. Rejoignant trois rivières par de nombreux canaux creusés parmi montagnes et collines, il irrigue environ 350.000 hectares, fournissant un réseau de navigation intérieure, des viviers à poissons et de l’énergie.  (20)
Edgar Snow visite «les barrages-réservoirs de Kuanting et de Miyun(Hubei) et celui de Sanmen (qui) représentaient trois de la douzaine des
nouveaux grands travaux de retenue des eaux qui avaient été terminés dans le cadre d’un programme national prévoyant plus de quatre cent barrages principaux, alors à des stades divers de construction ou de préparation » (21) «Le barrage de Sanmen était en 1960, le troisième lac de retenue du monde, assurait l’irrigation et protégeait de l’inondation 2.700.000 hectares (…) Il y a des années, des spécialistes américains des problèmes de la famine, parmi eux l’éminent O.J. Todd, avaient partiellement entrevu la solution radicale exigée pour la domestication du fleuve Jaune (Yang tsé). Pourtant pas un gouvernement chinois n’a entrepris ce travail gigantesque avant 1954, date à laquelle le gouvernement de Pékin institua la Commission de planification du fleuve Jaune. La question fut très largement étudiée et un plan à fins multiples fut prêt en 1955. Les travaux commencèrent réellement en 1956 (…) En novembre 1960, la Chine à juste titre avec un an d’avance sur le programme, pouvait prétendre avoir « radicalement » rossé le Dragon-dieu du Fleuve, que les paysans superstitieux s’étaient attachés depuis des siècles à se rendre favorables. » (22)
Autre région visitée par Snow, durement touchées par les inondations et victime « d’une grande famine » selon la presse réactionnaire : le Hunan, en particulier les villes de Lo-Yang et Chen Tcheou.
« J’ai visité en dehors de Lo-Yang, une importante brigade de production rurale, appelée Kouei-tcheou, composée de 2000 membres répartis en cinquante équipes (…) Selon les renseignements que me fournirent les cadres, il n’avait plu dans le Hunan que 14 jours sur les 300 qui venaient de s’écouler, avec une précipitation totale inférieure à 4 centimètres. C’était la pire sécheresse que la province ait connue depuis 50 ans, et pourtant disaient-ils, le Hunan aurait une récolte suffisante pour se nourrir. Dix millions de mou étaient maintenant irrigués par un système de canaux et de puits. (Des millions de paysans ne furent pas moins pris dans des zones sans eau suffisante. Mais au lieu de rester dans le désert à attendre la famine comme autrefois, ils ont pu, grâce à l’organisation des Communes populaires, se déplacer momentanément vers des exploitations plus heureuses où, pour leur nourriture, ils travaillaient à l’amélioration du sol, à des travaux de construction, en ateliers ou à d’autres tâches.) Kouei-tcheou, elle, avait une récolte superbe. Un large canal à débit rapide, amené depuis le fleuve Yi, traversait le village (...) et depuis 1957, 9 petits groupes hydroélectricités ont été construits par la municipalité. » (23)
Discutant avec un vieux paysan, Edgar Snow lui demande s’il a reçu de la terre dans le partage des terres fait à la Libération. « Nous avons reçu six mous pour nos familles, répondit-il (…) Maintenant c’est une partie des terres de la tui (brigade). Est-ce que la récolte y est maintenu plus grosse que du temps où vous cultiviez en famille ? demande alors Snow. « Quatre fois plus. Nous n’avions pas de canal à l’époque et qui pouvait acheter de l’engrais, des tracteurs, qui pouvait avoir de « l’énergie » ? (…) Sans le canal, nous serions morts de faim une année comme celle-ci». (24)
Snow évoque aussi le deuxième barrage, par la taille, sur le fleuve Jaune à Lanzhou dans le Gansu. Il devait produire autant d’énergie qu’à Sanmen.
« Trois autres grands barrages et bassins de retenues, 41 moins importants, dont certains sont déjà construits, parachèveront un système de réservoirs dont la capacité totale dépassera le volume d’eaux que déverse le fleuve Jaune en une année (…) Cette puissance installée représente quatre fois celle de la Chine avant la guerre, et dépassent de 40% la capacité de l’Inde en 1960 ».(25)

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De Hankou au Sichuan

Dans le centre de la Chine, Snow visita Hankou qui fait partie de Wuhan (Hubei) où fut construit le complexe industriel probablement le plus vaste de tous ceux qui furent projetés et réalisés à l’époque avec l’aide des Soviétiques.
Au Sichuan, explique le journaliste américain, « je n’avais guère mieux à faire qu’à noter les transformations observables à Chungking même et dans ses environs. Les Américains qui ont résidé ici pendant la guerre auront quelque peine à croire que la ville soit devenue presque propre. Des rues pavées ont remplacé les allées boueuses, 400 Km d’égouts, et les efforts des équipes sanitaires de blocs ont détrôné et presque éliminé les rats (…) Sans conteste, c’est le changement le plus spectaculaire observable à Chungking et dans le reste du Sichuan, par la mise en service de moyens de communications modernes. Dans le Sichuan de jadis les transports s’effectuaient à dos d’homme, qu’il s’agisse de charbon, de porcs, ou de pèlerins en route vers les monts sacrés de Omeï Shan. Cela coûtait moins cher d’user des hommes que d’entretenir des routes (…) Sous le nouveau régime, le chemin de fer Chungking-Chengtu (480 Km) fut construit en deux ans et l’exploitation commença en 1953. En 1956, la section Chengtu-Paochi, plus longue (650 Km) et d’un tracé plus tourmenté, fut ouverte à la circulation (…) et relie le Sichuan au Nord-Ouest et à tous les points de la Chine du Nord. D’autres voies ferrées sont en cours de réalisation en direction du Sud (…) La ligne Chungking-Hankéou dont un tiers seulement est terminé joindra le Sichuan à la moyenne vallée du Yang-tsé.» (26)
«La longueur des routes construite en 1949 (8000 km) a été triplée en 1960. Particulièrement impressionnante est à cet égard la nouvelle route qui relie, sur 2250 Km, Yen-An, près de Chengtu et Lhassa, constituant l’une des trois grandes routes construites depuis 1949 pour aller de Chine au Tibet. Sur cette route furent transportés les générateurs géants, construits à Chungking, et destinés à la Centrale électrique de Lhassa(…) Le Sichuan s’est rapidement industrialisée de façon à produire tout ce qui contribue à créer des moyens de transports modernes »(28). Finalement, « la région a une production alimentaire excédentaire (…) et a lui seul serait en mesure d’expédier vers d’autres régions suffisamment de denrées alimentaires pour atténuer les effets des ruptures de stock chroniques constatées dans les zones orientales et méridionales, balayées par les typhons ou victimes de la sécheresse. (…)les mesures sanitaires et le contrôle de la santé publique ont donné dans le Sichuan des résultats qui n’ont rien à envier à ceux des autres régions de l’intérieur ». (27)
Au terme de son voyage, Edgar Snow pouvait constater : « Je n’ai pas observé de communes qui aient été des « échecs » flagrants. Tant dans le Hunan qu’à Baotou, j’ai vu un pays peu gâté par la nature et d’une façon générale, j’ai choisi librement mon itinéraire. J’ai décrit aussi fidèlement que possible ce que j’ai vu et appris dans des fermes où les conditions étaient loin d’être idéales, ou même simplement approchant de la prospérité occidentale. Et pourtant ce que j’ai vu et entendu c’est moins qu’un éminent journaliste américain n’en avait appris sur la Chine, lors d’une visite qu’il avait faîte à Macao, un an auparavant. En arrivant à Sian à mon retour de Yenan, je trouvai quelques lettres qu’on m' avait fait suivre. Dans l’une d’elles, il y avait des coupures de presse dépeignant les conditions de vie en Chine en novembre 1959. L’auteur en était Joseph Alsop. Examinant la situation de la colonie portugaise, Mr. Alsop écrivait « qu’ une famine dévorante, aggravée par les conditions de vie en Chine sont celles de forçats, régnait désormais dans toute la campagne chinoise ». Il affirmait ensuite que les « graisses et les protéines… n’étaient plus dans les communes que des rêves du passé. » Dans « beaucoup » d’entre elles, il fallait travailler « seize heures par jour pendant au moins la moitié de chaque mois ». Il avait aussi appris, toujours à Macao où les communistes font de la propagande, mais le Kuomingtang aussi qu’on signalait de « nombreux cas de gens mangeant de l’herbe (…)et des feuilles » en Chine, et que « des paysans étaient forcés de travailler debout, 24 heures par jours pendant deux à quatre jours. » J’ai une certaine expérience personnelle de la manière de déceler la privation parmi les réfugiés de guerre. Dans les zones de famine des temps passées, j’ai vu des centaines de chinois se nourrir réellement d’écorces, de feuilles et même de boue. Ils ne travaillaient pas seize ou vingt-quatre heures par jour ; ils étaient en train de mourir. Après une rapide visite à Hongkong et un autre coup d’œil à travers le rideau de bambou au début de 1961, M. Alsop battit ses confrères du lieu avec un ‘scoop’ encore plus sensationnel. Il télégraphia à son journal que les Chinois en étaient réduits à se nourrir de placenta humain. Le très célèbre éditorialiste du Herald Tribune prétendait tenir cette information « d’une infirmière qualifiée de la Chine du Nord dont l’équilibre personnel ne faisait aucun doute. » (29)

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La démocratie populaire dans les Communes

L’enquête du sociologue suédois Jan Myrdal est un autre témoignage capital sur la période du Grand Bond en Avant. Il retrace la vie quotidienne en 1962 de Lieou Lin, un village de la province du Shaanxi qui avait perdu une bonne partie de ces récoltes pendant les années 1959-1960 à cause des mauvaises conditions climatiques.
Jan Myrdal explique qu’il vécut avec des amis dans le village tout le temps de l’enquête et qu’il a pu librement parler avec les villageois, qu’ils n’étaient « en aucune sorte des invités du gouvernement chinois et ce voyage a pu être effectué par nos propres moyens ».(30)
Les villageois expliquent eux-mêmes comment ils se sont organisés collectivement. Interrogé, Tsin Tchong-ying de l’équipe de culture maraîchère retrace l’histoire de la formation des communes populaires : « En 1955, on a transformé la coopérative agricole de Lieou-lin en coopérative agricole avancé «L’Orient est rouge »( …) Depuis 1955 la vie s’est améliorée. Il n’y a pas eu de changements spectaculaires mais la vie est devenue meilleure peu à peu, d’année en année. Avec la transformation de la commune populaire en 1958.(…) Nous décidons nous-mêmes notre méthode de travail et ce que nous allons cultiver. La direction est collective, car nous discutons toutes les questions jusqu’au moment où tout le monde est d’accord. » (31)
Ma hai-hiu, un autre membre de l’équipe maraîchère, raconte ses réticences au début de la collectivisation et comment il les dépassa. « J’ai trouvé que notre terre était bonne et qu’elle était meilleure que celle des autres dans la montagne et j’ai pensé que je ne voulais pas entrer dans une coopérative agricole : il était suffisant d’être membre de l’équipe de production pour l’aide mutuelle. Après de longues discussions et plusieurs réunions et beaucoup de propagande, j’y suis tout de même entré en novembre ou décembre 1953 (…)En 1954, les autres villageois se sont également joints à la coopérative agricole. Ils voyaient que tout marchait mieux pour nous qui en faisions partie (…)en 1955,nous avons eu une récolte moyenne. A peu près comme d’ordinaire. Après cette récolte, nous avons discuté pendant un mois pour savoir s’il fallait fonder une coopérative agricole avancée. J’étais pour. Il y avait une majorité pour. Ca va mieux quand il y a davantage de gens. Mais il ne pouvait y avoir de répartition de terre tant qu’une minorité était contre. Ils disaient : « Ce n’est pas la liberté. Nous n’avons plus le droit de décider ce qu’on va cultiver sur nos terres. Nous ne voulons pas que d’autres décident de nous. ». Mais la plupart trouvaient que la coopérative agricole avancée était juste, parce qu’on pourrait mieux exploiter la terre. C’était plus rentable de faire des plans prévoyant plus de gens, plus de terres et plus de ressources. Le travail en devenait meilleur et tout le monde vivrait mieux. Finalement nous nous sommes tombés d’accord pour et nous avons fondé la coopérative agricole avancée avec quelques autres villages de la région». (32)
Il aborde alors la venue des mauvaises récoltes. « L’automne après la fondation de la commune populaire, j’ai travaillé dans le village de Wang-kia-kou pour le canal. Nous étions 200 à y travailler, nous habitions nos propres grottes et nous allions tous les jours à Wang Kiakou. En 1959, je me suis aussi occupé du réglage des eaux (…)C’était une année moyenne comme d’habitude. 1960 a été mauvais et sec. 1961 passable. Un peu mieux que la moyenne (…)1962 a l’air de devenir une mauvaise année : la récolte sera sans doute mauvaise. Pourtant, la vie est meilleure que jadis.»  (33)

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« Sans la commune populaire, nous n’aurions pas pu supporter la sécheresse. »

Le président de la brigade de production, Fong Tchang-ye, explique que de son côté : « la fondation de la commune populaire comportait une transformation du système d’assistance sociale (…) nous avons pu augmenter considérablement ces allocations. Nous pouvons désormais verser une aide non seulement à ceux qui sont malades mais aussi aux familles qui, pour une raison ou une autre, ont éprouvé de difficultés. Il peut s’agir de familles nombreuses où il n’y a que peu de membres en mesure de travailler, il peut s’agir d’une aide fournie à des gens venus de l’extérieur et qui désirent s’établit dans la commune ou de jeunes gens qui veulent fonder un ménage. Mais le principe est le même qu’auparavant. Les équipe de production décident la part de récolte qui sera affectée à çà et, ensuite, le comité d’administration de la brigade de production dispose des allocations pour chaque famille, sur la proposition des équipes de production (…)
Le travail est la seule base. On ne peut pas demander l’aide sociale au ciel. Il faut que ceux qui travaillent soient eux-mêmes d’accord pour décider de l’importance de la part qu’ils sont disposés à donner à leurs voisins qui ont des difficultés. C’est une question de responsabilité et de solidarité sociale. On ne peut pas résoudre cette question en enlevant aux travailleurs la possibilité de décider eux-mêmes. Sinon, on diminue la conscience sociale et la solidarité cesse. Il n’y a donc pas de différence non plus en ce qui concerne ceux qui ont le droit de décider : la décision incombe toujours aux membres des équipes de production et à leur assemblée générale. Ca aussi c’est nécessaire dans une société démocratique. Il faut que ceux qui travaillent prennent eux-mêmes la responsabilité. La différence réside en ceci qu’avec l’introduction de la commune populaire et à la suite des campagnes de propagande que nous avons faites, la conscience sociale des membres s’est accrue et leur sentiment de responsabilité s’est affirmé au point qu’il a été possible d’introduire un système d’assistance social rationnel (…)
La responsabilité mutuelle des membres est aussi l’un des points essentiels de notre travail de propagande. En même temps, il faut veiller à ce que les allocations sociales ne prennent pas une extension telle que l’assistance sociale devienne plus importante que le revenu des travailleurs. Il ne faut pas saper la valeur du travail. Mais il faut veiller à ce que tous les hommes même ceux qui pour différentes raisons traversent des difficultés, puissent vivre une vie convenable.(…) La maladie, la mort et les accidents ne sont plus des catastrophes. Les citoyens vivent maintenant en sécurité. Si toute la brigade de production était frappée par quelques catastrophes naturelles, il y aurait la possibilité de demander de l’assistance par l’intermédiaire de l’administration du hien. La commune populaire comporte une garantie de sécurité pour ses membres. C’est ce désir de sécurité qui, en grande partie, se trouve à l’origine des communes populaires. Même la coopérative agricole avancée était trop petite pour offrir de véritables garanties. » (34)
Au début du Grand Bond en Avant, des petits hauts fourneaux, décriés par les spécialistes occidentaux, furent construits localement. « De septembre 1958 à février 1959, nous avons essayé d’exploiter le fer selon les méthodes locales. Dans nos montagnes nous avons aussi bien le charbon que le fer. Nous avons construit un bas fourneau et j’étais responsable des travaux. Il y avait 70 personnes qui y travaillaient et qui recevaient des points de travail comme pour tout autre travail. Mais c’était un cas unique. Je ne me souviens pas des chiffres exacts, mais, autant que je me souvienne, ce n’était pas rentable. Il vaut mieux que tu te renseignes auprès des bureaux de la commune (…)Cependant ce n’était pas une question de rentabilité. Nous avons appris la technique et c’est bon de la connaître au cas où quelque chose arriverait », explique le président de la brigade de production, Fong Tchang-ye. (35)
De son côté, Lieou Sin-min, 32 ans, cadre du Parti, revient sur cette période : « En 1958-1959, nous avons fabriqué du fer selon les vieilles méthodes. Nous exploitions notre propre minerai et pendant 4 mois, d’octobre 1958 à janvier 1959, 67 ouvriers étaient occupés à cela (mais) chaque tonne de fer que nous produisions équivalait à la perte de près de dix journées de travail. Nous avons donc décidé de ne pas continuer cette expérience. Cependant, il faut dire que nos ouvriers ont appris cette technique et de plus, l’expérience était d’un certain intérêt puisqu’en 1958-59, au moment du « Grand Bond », il était difficile d’acheter du fer. Au cours de la réunion où nous avons discuté de la question après cette expérience, nous avons trouvé que l’essentiel était cependant le fait que nous pouvions de nouveau acheté du fer et qu’à partir de ce moment-là nous avions aussi la possibilité d’utiliser notre main d’œuvre dans l’agriculture où nous en avions plus besoin. » (36)
Li Kouei-ying, une des femmes pionnière de la Commune raconte à son tour la situation pendant les mauvaises récoltes: « L’hiver 1958-1959, nous avons accompli de grands travaux d’irrigation. Nous avons construit des champs en terrasses et ceci nous avons pu le faire à l’intérieur de la commune populaire car nous avions arrangé un échange de travail entre les brigades. La sécheresse a été dure en 1959. Nous avons dû mener un dur combat contre la nature. Mais la récolte de 1959 n’a pas été mauvaise du tout et cela a confirmé les membres dans leur pensée que la commune populaire était la bonne formule. Sans la commune populaire, nous n’aurions pas pu supporter la sécheresse. » (37). A côté, « nous nous sommes tout le temps appliqué à enseigner l’hygiène et les soins aux malades mais surtout depuis 1958, lorsque nous avons fondé la commune populaire. Le travail d’hygiène a été mieux organisé à ce moment-là. »(38)

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Le gouvernement chinois a-t-il mal réagi?


Un des grands enjeux du gouvernement chinois et des maoïstes pendant cette période fut de planifié un système qui nourrisse à l’avenir une population en pleine explosion démographique. Le critère social était « Faire la révolution, promouvoir la production », slogan finalement résumé au cours de la révolution culturelle.
René Dumont qui se rendit dans le Guangxi et le district de Hsin Houeï près de Hongkong visita des réseaux hydrauliques (pompes, digues, réservoirs d’eau) et de petites usines pour les cultures. 
A Hsin Houeï, « on a construit 389 km de lignes électriques à haute tension et 300 stations de pompage, soit 10 000 kW de puissance installée, assurant la maîtrise de l’eau sur 90% des terres. Elles suffisent à l’irrigation, même avec une sécheresse du type de 1963 ; et elles assurent le drainage , même avec des inondations comparables à celles de 1959-1961» (39)
Les anticommunistes présentent l’attitude du Président Mao et du gouvernement chinois devant les difficultés que connurent la Chine comme irresponsable et utopique. En réalité, c’est exactement le contraire qui s’est passé: les mesures énergiques prises par le gouvernement chinois empêchèrent la Chine de connaître « une grande famine » comme par le passé lorsque les gens mourraient de faim, errant sur les routes et vendant leurs enfants.
Devant l’ampleur des catastrophes climatiques, l’approvisionnement alimentaire de toutes les provinces devint la priorité pour le gouvernement. Celui-ci décida d’importer des céréales pour maintenir une réserve alimentaire.
De décembre 1960, lorsque s’effectuent les premières livraisons de céréales jusqu’à fin 1963, environ 16 millions de tonnes de céréales (blé, farine de blé, orge et maïs) furent livrées. Le Canada, l’Australie étaient les principaux fournisseurs mais aussi l’Allemagne fédérale et la France. Le 14 juillet 1959, un arrêté d’urgence pris conjointement par le Comité Central et le Conseil d’Etat fut pris à propos des calamités naturelles.
L’Armée Populaire de Libération fut largement mobilisé. Selon l’agence Xinhua, en 1960, « les officiers et les soldats de l’APL ont fourni plus de 46 millions de journées de travail productif, dont plus de 70% ont été consacrées à aider les communes populaires pour les travaux hydrauliques et pour les semailles et les récoltes. L’automne dernier, les hommes de l’APL ont aidé aux récoltes sur une surface de 6.55 millions de mus.» (40)
Mao insista pour que les régions sinistrées ne soient soumises à aucun prélèvement de grain ou d’autres aliments de base. Les paysans consommèrent sur place tout ce qu’ils produisirent et les villes subirent un rationnement très strict. « On n’a jamais évalué à sa juste valeur l’exploit réalisé par le Gouvernement chinois, qui réussit à maintenir la stabilité des prix et assurer le ravitaillement de plus de 600 millions d’individus. Cela représente une organisation incroyable. En 3 ans, le pays retrouva son équilibre, et en 1964 on commençait d’enregistrer de petits excédents de viande, d’œufs et de légumes.» (41)
Il ne s’agit pas d’avoir une vision angélique car le gouvernement fit des erreurs comme au début du Grand Bond en surestimant les chiffres de production en 1958 mais il s’agit de comprendre comme on l’a vu que ce fut une situation agricole très dure et avant tout une intense période de lutte de classes et de bataille pour la production. N’oublions pas que lorsqu’ils parlent avec horreur d’échec ou de désorganisation, c’est précisément de cela dont font référence les anti-communistes.
Très vite, les communistes chinois adaptèrent leur politique économique de planification qui consista en une direction centralisée et en une gestion décentralisée. Dans la pratique, les paysans regroupés collectivement dans les communes disposaient comme toujours de leurs moyens de production, mais organisaient aussi leur travail, contrôlaient la production et la distribution de celle-ci tout en adhérant à la politique économique centrale, élaborée sous la direction de la classe ouvrière et du Parti Communiste pour éviter une logique de compétition et de différentiation d’intérêts entre régions et unités de production comme en Yougoslavie.
Utsa Patnaïk explique comment les estimations chiffrées de la formation du capital collectif de 1955 à 1977 comme les grands travaux ont été sous-estimés car les universitaires étrangers ont ignoré dans leurs études l’investissement en travail non-monétaire. Ainsi, dans les zones rurales, la formation du capital, n’était pas mesurable et a souvent été exprimé non en terme de valeur mais en terme de volumes, comme le volume de terres déblayées par les grands travaux, les terres conquises et les terrassements, le nombre de barrages hydrauliques construits, ou encore le nombre de canaux assainis, etc.
De même, dans une société égalitaire, la qualité de la vie ne se résume pas au pouvoir d’achat. Avec les Communes, il y a « un certain nombre de services qu’on ne peut pas évaluer en termes monétaires : services de santé, écoles, routes, moyens de communications, et parfois même courant électrique. Tout ceci ajouté à d’autres satisfactions telle que la protection contre les fléaux naturels, la diffusion de l’enseignement qui favorise l’avenir des enfants, et le recul de la maladie, compense peut-être l’austérité du régime alimentaire des paysans. » (42)
L’éducation est aussi un secteur qui ne peut pas simplement se mesurer en termes comptables.«La construction d’écoles et la formation de maîtres ont fait passer les effectifs des écoles primaires de 51 millions en 1952 à 90 millions en 1959, et l’on prévoit qu’ils atteindront 110 millions à la fin de 1960. Le nombre d’élèves des établissements d’enseignement secondaire qui dépassait légèrement 3 millions en 1952, était monté à 13 millions en 1959 et pourrait dépasser sans doute 14 millions à la fin de 1960 (…) Autrefois les étudiants chinois qui entraient dans les universités appartenaient presque exclusivement aux classes des commerçants et des intellectuels, comme c’est d’ailleurs le cas dans maints pays d’Occident ; on y rencontrait très rarement des fils d’ouvriers et de paysans. Chaque fois qu’il m’a été donné de visiter une université chinoise, on m’a toujours fait remarquer que les choses avaient radicalement changé. Entre 1952 et 1958, d’après les chiffres officiels, le nombre des étudiants d’origine ouvrière ou paysanne aurait augmenté de 30 à 50 pour cent (...) Les femmes –il faut le signaler également- sont de plus en plus nombreuses dans les écoles chinoises. Dans les Instituts d’Enseignement supérieur, la proportion de leur nombre est passée de 18% à 23% entre 1949 et 1958 ; de 20 à 31% dans les écoles d’enseignement technique ; et d’un quart à un tiers dans les écoles primaires. » (43)
Cette nouvelle génération éduquée de jeunes issue de la classe ouvrière et paysanne fera parler d’elle quelques années après pendant la révolution culturelle dans sa lutte contre les vieilles idées, les méthodes conservatrices et le danger de restauration capitaliste.

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Une période de conflits sociaux et de lutte entre 2 lignes


Le Grand Bond en Avant fut une période de luttes sociales dans les campagnes pour décider de l’avenir du socialisme, un large mouvement populaire de socialisation et d’autosuffisance ‘venue d’en bas’ entrepris par les paysans les plus avancé. Ce mouvement fut soutenu et généralisé par Mao et la gauche du Parti et devint une lutte entre 2 lignes au sein du Parti Communiste Chinois et dans l’ensemble de la société. La question de savoir si la Chine allait suivre la voie capitaliste ou la voie socialiste était loin d’être résolu.
Selon la perspective socialiste, la réforme agraire n’est en soi qu’une mesure bourgeoise même si elle constitue la condition nécessaire pour que tout autres changements soient possibles. Ainsi que l’explique Mao, « la nouvelle démocratie est une révolution bourgeoise démocratique sous la direction du prolétariat. Elle ne touche que les propriétaires fonciers et la bourgeoisie compradore, elle ne touche pas du tout la bourgeoisie nationale. Distribuer la terre aux paysans, c’est transformer la propriété des féodaux en propriété individuelle des paysans et cela reste dans les limites de la révolution bourgeoisie. Distribuer la terre n’a rien de remarquable. Mac Arthur l’a fait au Japon. Napoléon l’a fait aussi. La réforme agraire ne saurait abolir le capitalisme pas plus qu’elle ne saurait mener au socialisme » (44)
En 1950, pendant la première vague de collectivisation, la lutte des classes avait été vive dans les villages. Les paysans riches refusaient de vendre à l’Etat le grain, le coton et l’huile à prix fixe. Ils concluaient directement des contrats avec les organisations urbaines conformément au projet de « marché libre ». Han Suyin raconte dans Le premier jour du monde que le revenu de certains paysans riches augmentait plus rapidement que « le revenu global du village auquel ils appartiennent». (45)
En 1954-55, certains paysans moyens « créent des troubles. Ils soutiennent tantôt secrètement, tantôt ouvertement, les propriétaires fonciers exclus et les paysans riches. Ils travaillent contre les coopératives (…) en 1954, la droite du parti ordonne subitement la suppression des coopératives de la province du Zhejiang : 15.000 coopératives sur 53.000 sont liquidées. » (46)
Un mouvement d’insatisfaction se développe chez les paysans pauvres, alors que se renforcent les paysans moyens souvent liés à certains cadres du Parti.
Les paysans aisés disposaient de main-d’œuvre familiale plus active, d’outils, de semences, d’animaux et avaient tiré parti de l’extension du marché libre (jusqu’en août 1957) et de l’extension du lopin privé (10% de la surface arable par tête). Les paysans pauvres, chargés d’enfants et sans capitaux ni réserves, ne pouvaient que souhaiter une collectivisation plus poussée. Les mêmes clivages ont durci le débat sur le salariat, dont les paysans aisés refusaient la suppression. 
Dans les usines, les ouvriers les plus conscients et les plus actifs contestaient la direction gestionnaire.
Le mouvement qui allait aboutir à l’établissement des communes populaires commença spontanément par la fusion de certaines coopératives dans le Hunan, dix-huit mois avant que l’organisation des communes ne devint, en 1958, un programme officiel. Un projet d’irrigation de 80.000 hectares de plaines sèche fut mis à exécution devant amener l’eau à travers les montagnes du Taihang. Informé, Mao alla visiter la Commune de Tsiliying en avril qui avait souffert de sécheresse depuis de nombreuses années. D’autres coopératives décidèrent de fusionner en communes populaires.
La droite du Parti dénonça aussitôt les distributions publiques comme un appel à la paresse. Peng Dehuai, ministre de la Défense ou Bo Yibo, vice- ministre du gouvernement et président de la Commission économique d’Etat dénoncèrent comme passéistes les références aux acquis de Yanan, la base rouge pendant la guerre populaire, ou à la Commune de Paris.
La gauche du Parti soutint le mouvement des paysans pauvres en suivant la formule « partir des masses et retourner aux masses » et « la politique au poste de commandement ». Visitant la province du Shantung en juin 1958, Mao déclara que les communes populaires étaient «une nouvelle création des masses ». L’exemple se généralisa et s’institutionnalisa sur la base du volontariat. En août 1958, le mouvement suivi par la majorité des paysans pauvres mais aussi des paysans moyen fut très rapide : un mois à peine après l’adoption de la résolution qui généralisait la commune, 98% des familles paysannes s’étaient regroupées en communes. En 6 mois, 26.000 communes furent instituées. (En 1962, ces 26.000 communes trop vastes fut fractionnées en un total de 74.000).
A l’été 1959, lors de la Conférence de Lushan, la lutte des classes continue et Peng Dehuai, ministre de la Défense s’opposa à une armée modelée selon les préceptes de Mao sur la guerre populaire. Il considérait qu’il fallait en finir avec les soldats utilisés comme ouvriers agricoles auxiliaires et avec le peuple armé organisé en milice.
Les révisionnistes comptaient sur l’appui de l’Union Soviétique qui avait pris la voie capitaliste avec Khrouchtchev. Peng Dehuai échoua mais l’URSS chercha a saboté l’économie chinoise en rappelant ses conseillers. Le grand projet de Sanmen dut être abandonné par suite du départ des Russes. Le Grand Bond en Avant étaient à leurs yeux une déviation du premier devoir du peuple : c’est-à-dire travailler au lieu de s’occuper des affaires de l’Etat et de poursuivre la révolution.
Vingt ans après, malheureusement, la ligne de Deng Xiaoping qui triompha après la mort de Mao en 1976 fut là même que celle de ses amis de l’époque : Liu Shaoqi et Peng Dehuai.
Les articles économiques de Utsa Patnaïk sur le Grand Bond en Avant montrent à travers de nombreux exemples que le virage économique à droite de Deng Xiaoping pendant la période de 1976-1978 a été en fait une restauration du capitalisme, liquidant tous les acquis du Grand Bond en Avant et de la Révolution Culturelle, en reprenant purement et simplement la formule de Liu Shaoqi, qualifiant la collectivisation de « Grand Bond en Arrière ». Peng Dehuai fut de son côté réhabilité. Pour tromper et acheter les paysans, Deng utilisa les énormes excédents de céréales de l’Etat, produits en particulier pendant la Révolution Culturelle.
En même temps, les maoïstes furent emprisonnés ou tués et le nouveau gouvernement s’acharna à discréditer et salir l’époque maoïste ce dont on l’a vue, est largement utilisé par les anti-communistes.

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« Ce que peut faire un homme, une femme le peut aussi »


Le Grand Bond en Avant fut aussi un profond changement dans les traditions familiales et de travail. Les activités ménagères comme la cuisine et la garde des enfants étaient socialisées avec la mise en place de cuisines collectives et de crèches pour libérer les femmes et permettre qu’elles participent aux grands travaux.
Une offensive massive contre les superstitions et les préjugés envers les femmes fut lancée. Dans beaucoup de villages, des femmes avaient symboliquement jeté leurs casseroles par les fenêtres à l’annonce de la création des cantines. Beaucoup d’hommes, aussi parmi les paysans pauvres, supportèrent très mal l’entrée massive des femmes dans la production et leur « abandon » des tâches domestiques traditionnelles.
Dans Un village en Chine populaire, la pionnière Li Kouei-ying raconte comment la lutte contre les traditions s’est déroulé dans son village dans le Shaanxi:
« Nous nous sommes tout le temps appliqué à enseigner l’hygiène et les soins aux malades, mais surtout depuis 1958, lorsque nous avons fondé la commune populaire. Le travail d’hygiène a été mieux organisé à ce moment-là. Nous allons voir les femmes enceintes et nous leur disons comment se soigner. Nous leur apprenons la nouvelle méthode d’accouchement et nous leur racontons comment elles doivent s’occuper des nourrissons. Autrefois, il fallait que la femme reste assise toute droite sur son k’iang trois jours et trois nuits après la naissance. Et tu peux t’imaginer comment elle se sentait. Maintenant, nous leur disons : « Ce ne sont que des bêtises et des superstitions ». Nous leur enseignons le contrôle des naissances et la technique des moyens contraceptifs. Les femmes suivent nos conseils, car elles ont vu qu’avec l’ancienne méthode beaucoup d’enfants mourraient, mais qu’avec nos nouvelles méthodes scientifiques la mère et l’enfant survivaient. (…) Les vieilles femmes ont du mal à comprendre que les femmes rient et plaisantent maintenant avec les hommes. Elles grondent leurs filles et leurs brus et leurs petites-filles parce qu’elles ne se conduisent pas comme il faut. Alors il faut parler aux vieilles femmes de l’égalité des sexes. Nous disons que maintenant la femme doit être l’égale de l’homme, dans la famille et dans la société. Elle ne s’occupe pas seulement de la maison, elle travaille aussi aux champs. Elle choisit et elle peut être choisie. Alors il est évident qu’elle parle aux hommes et qu’elle plaisante avec eux comme un camarade. Nous rappelons aux vieilles combien leur propre jeunesse a été amère et nous disons tout le temps que, du moment que la femme est maintenant l’égale de l’homme, elle a aussi le droit de parler et de plaisanter. » (47)

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Une révolution industrielle différente et l’autonomie ouvrière

La révolution du Grand Bond eu aussi lieu dans les villes et dans le secteur industriel. L’économiste Jean Deleyne qui a longtemps résidé en Chine fait le compte du développement industriel à cette époque :
« Les usines mises en chantier au cours du Premier Plan sont alors entrées en production : 428 des 921 grands projets entrepris sous le Premier Plan quinquennal étaient achevés fin 1957 et produisaient, 109 l’étaient en partie et produisaient partiellement. En 1958, 500 nouveaux projets furent réalisés et beaucoup d’autres entrepris. Le Grand Bond a été la période de naissance de nombreuses usines. ». (48)
Le journaliste K.S Karol qui a visité la Chine en 1964 raconte :« Une chose nous a frappé : c’est que plus de la moitié des usines « lourdes » que nous avons visité ont été construites (et beaucoup d’autres sensiblement agrandies) pendant la période du Grand Bond. » (49)
Le développement industriel maoïste qui accompagna le Grand Bond dans les campagnes fut un projet rationnel pour que le Sud du pays ne dépende pas du Nord pour le charbon, ou que le Nord ne dépende plus du Sud pour sa nourriture ; que les villes ne dépendent pas totalement des campagnes. C’est pourquoi on a évité la spécialisation de la production qui induisait une dépendance pour certains besoins et effritait le sens collectif.
« La première loi de l’industrialisation –tout soumettre aux impératifs du secteur le plus productif et accumuler sur sa base- devenait caduc : dans son projet il assignait des parts égales à tous les secteurs, en particulier l’agriculture. Deuxièmement, l’objet des principaux investissements n’était plus les grandes usines ; toute unité productive tendait à acquérir une dignité égale, l’accent étant mis sur le travail global de 700 millions de Chinois, dans les villes et dans les campagnes, oeuvrant ensemble et essayant d’unifier leur rythme. Troisièmement, tant que les formes d’exploitation capitaliste (le prélèvement de la plus-value) subsisteraient (et l’on ne pouvait y mettre fin avant une longue période, avant le passage au véritable communisme), il faudrait promouvoir des contre-tendances idéologiques égalitaires, à l’usine et hors de l’usine, pour empêcher que tout au moins la hiérarchie de la division technique du travail ne se traduise immédiatement par des différences de statut social au détriment des ouvriers ». (50)
Cette stratégie et la place de l’industrie ne pouvait compter que sur l’initiative et l’autonomie de la classe ouvrière. La Classe participa massivement au Grand Bond en Avant. En 1958, les ouvriers réalisèrent une réforme mettant en question la responsabilité traditionnelle du directeur d’usine
dans le contrôle, l’initiative. Les tâches de comptabilité et de gestion furent le plus souvent transférées aux travailleurs eux-mêmes, aux équipes de travail qui discutaient des objectifs, vérifiaient leur accomplissement avec un pouvoir de décision par rapport aux cadres qui eux aussi devaient participer au travail manuel. Les entreprises suivirent la règle de la Triple Union (travailleurs-techniciens-cadres).
L’institution scolaire devait « servir le peuple » et « aller vers les masses » ouvrières et paysannes contre le monopole des examens et les privilèges des intellectuels diplômés. Certains cadres urbains, par solidarité de privilégiés, s’opposèrent à la promotion d’ouvriers comme cadres et techniciens. La résistance larvée des intellectuels au Bond en Avant, à l’appel au savoir empirique des travailleurs, allait devenir ouverte en 1961 et 1962.
La Chine de Mao était gouverné ainsi par la lutte des classes. L’augmentation de la production et la stabilité économique n’était pas une fin en soi mais était subordonnée à l’amélioration du bien être du peuple qui signifiait d’être maître de ses moyens de production, c’est-à-dire l’autosuffisance, la réduction des inégalités entre régions et entre classes ainsi que la réduction de la loi de la valeur et du « droit bourgeois » (différence de salaires, lutte contre la parcellisation des tâches, etc). L’économie chinoise n’était pas menée avec des préoccupations abstraites comme l’investissement, les exportations et la croissance mais par les principes : « Faire la révolution, promouvoir la production » ou « Se préparer contre la guerre et les calamités naturelles ; servir le peuple », « Ne jamais oublier la lutte des classes »  et « Etre rouge et experts ».
Mais, même en termes de chiffres et selon les normes de l’économie classique, les résultats des presque 30 ans de construction socialiste maoïste furent excellentes.

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La Chine rattrape l’Union Soviétique et dépasse l’Inde

Déjà, à l’époque du Grand Bond, Tibor Mende fut étonné par le développement économique de la Chine.
« En 1949, la base industrielle de la Chine était infiniment plus modeste que celle de la Russie de 1928 ; infiniment plus rare aussi le personnel qualifié. En outre les ressources naturelles de la Russie étaient bien plus considérables que celles dont la Chine pensait disposer en 1949. Et l’Union Soviétique enfin n’avait devant elle aucun problème de population alors que ce problème revêtait en Chine une importance capitale. » (51)
Pourtant après dix ans de construction du socialisme, « ce qui dès aujourd’hui, est clair, c’est que la puissance industrielle qui s’élabore en Chine grandit beaucoup plus vite que dans n’importe quel pays sous-développé. Bien plus vite qu’en Inde, plus vite même qu’en Union Soviétique, à la période correspondante. (…)
A partir de 1958, un grand nombre d’usines et de générateurs commencèrent à produire, une foule de techniciens sortait des nouvelles universités et les nouvelles voies ferrées donnaient accès aux ressources des régions naguère isolées. Sur toutes ces choses, la dépendance absolue de la Chine en matériel d’équipement lourd allait s’atténuant, au fur et à mesure que le pays le construisait lui-même. La croissance industrielle s’accélérait sans cesse. Si la vitesse du développement des deux pays demeure comparable au cours de leurs premiers Plans quinquennaux, la Chine a gagné du terrain entre 1957 et 1960, et le rythme de ses progrès a dépassé de loin ceux de l’URSS d’après 1932. En réalité, la production de la Chine de 1960 a cessé de correspondre au niveau soviétique de 1935 (trois ans après l’achèvement du premier Plan quinquennal russe) ; elle égale plutôt le niveau de l’URSS de 1940, quand l’invasion allemande est venue interrompre son troisième Plan quinquennal. En d’autres termes, après huit années de planning, la production industrielle de la Chine s’est élevée à un niveau comparable à celui de l’Union Soviétique après douze ans de planification. La performance industrielle de la Chine entre 1953 et 1960 ne doit donc plus se comparer à celle de l’Union Soviétique de 1928-1935, mais plutôt aux progrès accomplis par la Russie de 1928 à 1940. Dans ce cadre, la production du fer s’est développée en Chine trois fois plus vite qu’en Russie. Celle de l’acier deux fois plus vite. Celle du charbon un fois et demie plus vite. La cadence a été seulement un peu plus rapide pour le tissu de coton et le ciment, mais par contre,
beaucoup plus lente pour l’électricité et les engrais chimiques. Quant aux quantités réelles, la Chine a produit en 1960, trois fois autant de ciment que l’Union Soviétique en 1940, deux fois et demi la quantité de charbon, près de deux fois autant de fer et de tissu de coton, une fois un quart d’électricité, et elle a égalé le niveau soviétique de 1940 pour la production du pétrole brut, la Chine de 1960 la rejoint à grands pas dans la fabrication des camions, des tracteurs et des locomotives. On ne le dira jamais assez, cette production est destinée à trois fois plus de consommateurs (...)
S’il est instructif de comparer deux pays qu’une même idéologie et de mêmes méthodes ont transformés, peut-être est-il aussi intéressant de confronter les résultats obtenus par la Chine et par l’Inde, avec des principes et des méthodes totalement différentes. La Chine et l’inde sont les deux pays les plus peuplés du monde. Ils ont démarré l’un et l’autre dans la misère presque généralisée. Leurs structures offraient des caractéristiques très voisines. Après avoir trotté d’un pas égal pendant cinq ans sur le terrain de l’agriculture, la Chine a laissé l’Inde loin derrière elle en prenant le galop, puis sur le plan de l’industrie, elle a pris une distance plus grande encore. L’économie libérale de l’Inde favorise peut-être la production de certains biens de consommation. Mais pour l’ensemble de la production industrielle, et de l’industrie lourde en particulier, l’essor chinois a été infiniment plus rapide. Acier, charbon, ciment, engrais, électricité : dans tous ces secteurs décisifs, l’Inde est partie à égalité avec la Chine, parfois même un peu en avant. Aujourd’hui après 10 ans de planning en Inde et huit années en Chine, la production chinoise est de deux à sept fois plus importante dans toutes ces catégories. Si en 1957, l’Inde gardait encore quelque avantage dans la répartition par tête du ciment et des engrais, la Chine l’avait nettement battue dès 1960. » (52)

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Quel est le bilan économique du maoïsme ?

Comme on le voit, l’idée largement répandue que les réussites obtenues par la Chine sont d’abord le fruit des réformes de marché depuis 1980 est tout simplement fausse.
L’économiste Samir Amin a tracé un bilan socio-économique du maoïsme : «Sans l’infrastructure économique, politique et idéologique construite par les trente ans de maoïsme (1950-1980), on comprendrait mal la nature de l’accélération des quinze dernières années. Car (aujourd’hui) en termes de croissance il ne s’agit que d’accélération. La Chine avait déjà enregistré dans la période 1957-1975 un taux de croissance de 5.3% du PIB, soit 3.3 % du PIB per capita (contre moins de 2% pour le reste du tiers-monde) et avait déjà enregistré des taux de croissance records dans l’industrie légère (11.2%) et lourde (8.3%) dès cette époque. Elle avait déjà mis en place des structures sociales garantissant une répartition du revenu infiniment meilleurs (c’est-à-dire moins inégale) que partout ailleurs, en Inde, en Afrique, ou en Amérique Latine. Sans ces réalisations le « miracle » contemporain eut été impensable. » (53)
Dans L’Avenir du maoïsme (1980), Samir Amin décrit à l’aide des chiffres les progrès réalisés. L’espérance de vie augmenta de moins de 30 ans avant 1949 à 65 ans en 1975. Les grandes épidémies et maladies épidémiques furent vaincus grâce à la production céréalière si bien que la mortalité passa de 22% en 1953 à moins de 10% dans les années 70. Le développement des soins et de l’hygiène s’est généralisée dans tout le pays.
Dans l’agriculture, avant la Libération, seules 26000 hectares étaient irrigués. En 1974, il y en avait plus de 40 millions, le pays étant doté du système d’irrigation le plus étendue au monde. Plus de 70% des cultures de riz et de blé employait des semences de haut rendement. De 1960 à 1975, la production céréalière a augmenté de 3.2% à 4% chaque année, supérieur à la croissance de la population. La production de céréales était passée de 161 millions de tonnes en 1952 à 305 en 1978. Les estimations officielles sont les suivantes : 1949 : 111 ; 1952 : 161 ; 1958 : 206 ; 1961 : 168 ; 1962 : 180 ; 1966 : 215 ; 1970 : 243 ; 1973 :266 ; 1977 : 285. Les résultats de ce développement sont tout à fait remarquables.
Il poursuit : « L’inscription sur un graphique de tous les points concernant les estimations de la production agricole de chaque année –que se soient les estimations officielles, critiques, optimistes ou pessimistes – ne laissent que peu de doute : ‘le nuage’ est croissant autour d’un trend régulier dont la pente (moyenne de toutes les croissances, positives ou négatives, d’une année sur l’autre) se situe toujours entre 3 et 4 %. (…) Mais la réussite la plus remarquable de la Chine est d’être parvenue à absorber dans l’agriculture 100 millions d’actifs en 18 ans (de 1957 à 1975), soit une augmentation de 40%. Cette réussite a été rendue possible par la collectivisation et un progrès rapide de l’industrialisation de ce secteur. La croissance des inputs industriels consommés par l’agriculture a été de 20 à 25% l’an durant une période de 15 à 18 ans (…) la proportion des terres portant plus une récolte par an de 30% en 1949 à 50% en 1978 ; le parc de tracteurs (550.000 tracteurs et 1.300.000 motoculteurs en 1978) assure 40% des labours, tandis que la consommation d’engrais a été multipliée par 14.5 en 20 ans. » (54)
Le niveau de croissance industrielle fut le plus élevé au monde, le taux annuel atteignant 14% de 49 à 1952 et 11% de 1953 à 1976. L’extension des routes fut multiplié par 9 et des provinces comme le Sichuan, le Guangxi et le Fujian rompirent leur isolement. A la fin des années 70, le degré de mécanisation de la Chine atteint celui du Japon dans les années 50.
Pour finir, à travers les larges extraits des témoignages d’observateurs, de témoins de l’époque et du bilan économique global, on peut voir la réalité de ce qu’à été le Grand Bond en Avant, une époque aussi importante que la collectivisation des années 30 sous la direction de Staline en Union Soviétique. Le comprendre, c’est voir ainsi la continuité de la révolution sous le socialisme.

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NOTES
(1) Cf. Great leap distortions uncovered by the MIM à l’adresse web: : www.etext.org/Politics/MIM/mn/text.php?mimfile=mn203Lleap.txt
(2) Cf l’adresse web :http://www.flonnet.com/fl1621/16210150.htm.
(3) Edgar Snow, La Chine en Marche, Robert Laffont, 1966, p.492 et 493.
(4) Tibor Mende, La Chine et son ombre, Le Seuil, 1960, p.197-198.
(5) René Dumont, Chine surpeuplée, Tiers-Monde affamée. Le Seuil, 1965, p.145)
(6) Idem, p.47.
(7) Jean Chesneaux : La Chine. Tome 2. L’illusoire modernité 1885-1921. Hatier, 1976, p190.
(8) G. Bermann, La Santé mentale en Chine, Maspéro, 1973, p.12
(9) Idem, p.12-18.
(10) Idem, p.19.
(11) La Chine en Marche, Robert Laffont, 1966, p.15-26.
(12) Idem, p.492.
(13) Idem, p.493-494.
(14) Idem,p.500.
(15) Idem, p.39.
(16) Idem, p.353.
(17) Idem, p.354-355
(18) Idem, p.362.
(19) Tibor Mende, La Chine et son ombre, Le Seuil, 1960, p.244.
(20) Han Suyin, La Chine en l’an 2001,Stock, 1968, p.77.
(21) La Chine en marche, p.393.
(22) Idem, p.393.
(23) Idem, p.397-398.
(24) Idem, p.409.
(25) Idem, p.398.
(26) Idem, p.462-463.
(27) Idem, p.463.
(28) Idem, p.461 et 466.
(29) Idem, p.385.
(30) Jan Myrdal, Un village de la Chine populaire, Gallimard, 1972, p.14.
(31) Idem, p.153.
(32) Idem, p.168.
(33) Idem, p.169.
(34) Idem, p.182-184.
(35) Idem, p.184-185.
(36) Idem, p.372.
(37) Idem, p.234.
(38) Idem, p.237.
(39) René Dumont, Chine surpeuplée..., p.189.
(40) Mao Zedong, les années noires, Inédits, Chronologie du 27 janvier 1961, Le Sycomore, 1980, p.363.
(41) Han Suyin, La Chine en l’an 2001, p.72.
(42) La Chine et son ombre, p.199-200.
(43) Idem, p.237.
(44) Sur des questions de philosophie, 18 août 1964, in Mao parle au peuple PUF 1977 p.205.
(45) Le premier jour du monde, Le Livre de poche 1975, p.59..
(46) Hans Suyin, Le premier jour du monde, p.63.
(47) Jan Myrdal, Un village en Chine populaire, Gallimard, 1972, p.236-237.
(48) Jean Deleyne L’économie chinoise, Seuil 1971 p.25.
(49) K.S Karol, La Chine de Mao, Robert Laffont, p.245.
(50) K.S Karol, La deuxième révolution chinoise, 1973, p. 97.
(51) La Chine et son ombre, Idem, p.29-30.
(52) Idem, p.255-258.
(53) Samir Amin, Les Défis de la Mondialisation, L’Harmattan, 1996, p.231.
(54) Samir Amin, L’Avenir du maoïsme, Editions de Minuit, 1981, p.46 et 47.-AVRIL 2002-

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