La Gauche Prolétarienne
I. -ORIGINE...
..... Nous n'allons pas
réécrire l'histoire de l'U.J.C. (m.-l.), qui
nous conduirait à réécrire celle de
l'U.E.C. On sait déjà quelles furent les
erreurs capitales de la jeune organisation issue du Cercle
des étudiants de l'Ecole normale de la rue d'Ulm,
lors de sa confrontation avec les événements
de mai-juin 1968. L'U.J.C. (m.-l.) ne survécut pas
longtemps au printemps révolutionnaire, elle explosa
en plusieurs tendances après avoir balayé
d'une "grande critique " les minoritaires
restés fidèles à ses dirigeants (18
à 20 % des militants). Or, ce sont
précisément ces derniers qui assument
aujourd'hui la continuité historique du courant
auto-proclamé " maoïste " fin 1966, non
sans que sa survie n'ait exigé de nombreuses
autocritiques et rectifications de ligne sur tous les plans.
Ce qui n'est nullement condamnable en soi, bien
entendu.
..... Des militants
de l'U.J.C.. (m.-l.) s'associèrent, non sans
péripéties diverses, aux actions du Mouvement
du 22 Mars à la faculté de Nanterre avant
même la première explosion de mai 1968. Il y
eut même de sévères controverses entre
étudiants des deux tendances sur les questions de la
place et de la fonction du mouvement étudiant dans le
processus de la révolution prolétarienne.
Finalement, le M-22 fut à la tête de la "
Commune étudiante " dont l'U.J.C. (m.-l.) fut
pratiquement absente. Mais cette première rencontre
entre les activistes du M-22 et ceux de l'U.J.C. n'est pas
sans signification historique, comme nous allons le
constater. Vers cette période, l'U.J.C. créa
le " Mouvement de soutien aux luttes du peuple "
(.M.S.L.P .), destiné à permettre aux
étudiants de " servir le peuple ". Les "
établis ", c'est-à- dire les
étudiants entrés dans les usines en
qualité d'ouvriers en constituèrent
l'ossature. Leur organe prit pour titre La Cause du
Peuple.
.....
L'activité de ces militants resta d'autant
plus difficile que leur organisation subissait non sans
difficultés l'épreuve des
événements en cours. En fait, les clivages se
discernaient déjà qui allaient
déboucher sur la désintégration
idéologique, politique et organisationnelle de
l'U.J..C. (m.-I.).Mais la ligne " ouvriériste
",voire " populiste ", des étudiants du
M.S.L.P. ne manquait ni de sincérité, ni
d'enthousiasme, ni de courage. Aussi ses partisans se
retrouvèrent-ils aux côtés des ouvriers
en grève à l'usine Renault de Flins, quand se
produisit l'intervention répressive des forces dites
"de l'ordre ". Pendant quatre jours, de durs
affrontements opposèrent grévistes, paysans et
étudiants aux C.R.S. et autres gardes mobiles ou "
républicains ". La violence de ces
journées est attestée par l'assassinat de
Gilles Tautin, noyé dans la Seine le 10 juin 1968,
à la suite d'une charge policière.
..... A l'occasion
de ces événements, les militants du M.S.L.P.,
auxquels s'étaient joints sans tambours ni trompettes
quelques adhérents ouvriers et étudiants du
P.C.M.L.F., se retrouvèrent avec les manifestants du
M-22 organisés et dirigés par Alain Geismar,
enseignant scientifique du cycle supérieur.
..... La future
Gauche Prolétarienne était là.
Elle naquit organisationnellement au printemps 1969,
après le temps du repli et de la réflexion
imposé par la contre-offensive fascisante du 12 juin
1968. En collaboration avec des dirigeants de l'U.J. dont la
caractéristique réside dans le fait qu'ils
sont toujours restés dans l'ombre (dont nous tairons
les noms par conséquent, mais dont nous pouvons
assurer au moins pour l'un d'eux qu'il est passé par
l'école trotskyste), Geismar avait publié,
entre-temps son ouvrage à prétention
stratégique: Vers la guerre civile.
..... La " Gauche
Prolétarienne " n'assura pas à sa
naissance la liaison entre étudiants, intellectuels
et classe ouvrière, mais manifesta
concrètement la jonction organisationnelle entre
d'anciens militants du Mouvement du 22 Mars (faculté
de Nanterre) et d'anciens militants de l'U.J.C. (m.-l.), la
plupart ayant appartenu au Mouvement de soutien aux luttes
du peuple. La Cause du Peuple, alors Journal
communiste révolutionnaire prolétarien,
n'avait connu qu'une brève interruption, sa parution
ayant repris dès avant la fin de 1968, avec la
mention " nouvelle série ".
..... En avril 1969
parut, complémentairement, le premier numéro
des " Cahiers de la gauche prolétarienne ".
Nous y découvrions confirmation de ce que nous avions
ressenti lors de nos entretiens de 1967 avec les
représentants du Bureau politique de l'U.J.C. (m.-l.)
dont les positions restaient relativement ambiguës sur
la question de la rupture organisationnelle complète
avec les organisations révisionnistes (ils
critiquaient alors comme inopportun un Appel de nos
militants à quitter l'U.E.C. et en exigeaient
l'autocritique !). Ils présentaient enfin dans ce
numéro 1 des " Cahiers de la G.P. "
l'autocritique d'avoir espéré une "
scission de masse " dans les organisations
ouvrières contrôlées par les
révisionnistes.
..... Mais
allaient-ils pour autant comprendre la forme tactique et le
contenu stratégique de notre mot d'ordre: "
Arracher la classe ouvrière à l'influence
du révisionnisme moderne " ?
..... Ce n'est pas
du tout sûr. D'ailleurs ces militants, qui se
réclamaient toujours très bruyamment de la
pensée-maotsétoung, réagissaient de
façon petite bourgeoise, en termes de "
concurrence ", du fait qu'une masse importante de
leurs anciens camarades rejoignaient alors nos propres
rangs. Nous avions tenté de rencontrer la direction
de l'U.J. dès la fin juin 1968, alors que nous
ignorions la tempête mortelle qui secouait cette
organisation. Malheureusement, nous n'avions établi
le contact qu'avec des individualités et avec les
deux tendances dites" de Lyon " et " de Toulouse
" dont l'idéologie restait
particulièrement éloignée de celle du
prolétariat.
..... Nous savons
depuis lors que le ralliement de ces éléments
à nos rangs dissimulait leur intention d'y prendre le
pouvoir et d'imposer une direction intellectualiste petite
bourgeoise aux ouvriers et aux authentiques communistes
marxistes-léninistes. Ainsi le groupe " Front
rouge " de Lyon a-t il pour principaux dirigeants
d'anciens militants de l'U.J.C. (m.-l.).
..... La salutaire
crise d'octobre 1970 (non point celle de février qui
correspond à toute autre chose) nous a permis de
rejeter définitivement cette entreprise dangereuse.
Les anciens adhérents de l'U.J.C. (m.-l.), dont nous
nous sommes alors séparés, se sont
éparpillés par la suite dans différents
groupes comme " Vive la Révolution ! ", "
Ligne Rouge -Le Prolétaire ", " Front
Rouge ", mais très peu d'entre eux ont rejoint la
" Gauche Prolétarienne ".
..... Il semble bien
qu'après le 12 juin 1968 une importante divergence
nous sépara des actuels responsables de la G.P. dans
l'analyse de la situation. Pour eux, l'essor
révolutionnaire se poursuivait. Pour nous, il y avait
reflux temporaire, même si ce phénomène
faisait partie intégrante d'une période
historique dont l'aspect principal était et restait
la tendance à la révolution.
..... L'analyse de
la G.P. ne pouvait qu'avoir des conséquences "
gauchistes " et conduire ses militants à de
graves revers. Prenons un exemple: dans une édition
spéciale de mai 1969, "La Cause du Peuple"
publiait un " Appel des rebelles révolutionnaires
du lycée Louis-le- Grand " avec pour
énorme sous-titre " l'insurrection lycéenne
", A Louis-le-Grand c'était " le temps des
brasiers " ! Le moment était enfin venu de faire
" feu sur l'Université (pour) écraser
l'infamie " !
..... La
phraséologie des proclamations
révolutionnaires de ce numéro très
spécial (en effet) se rattachait nettement au langage
des gardes rouges engagés dans la " Grande
Révolution Culturelle Prolétarienne " en
Chine. Les lycéens et étudiants
français, qui mimaient alors des
événements spécifiquement chinois,
oubliaient simplement que ceux-ci s'étaient
développés dans le cadre d'une dictature du
prolétariat et à l'Appel du président
Mao Tsé toung lui-même. Ils faisaient preuve
d'un dogmatisme infantile en ne retenant de la
Révolution Culturelle chinoise qu'un seul de ses
aspects, isolé de tous les autres et mutilé
dans son contenu: la révolte "
anti-autoritaire " qui n'était autre, en
Chine, qu'une révolte " anti-révisionniste
". " Nous appelons à la mobilisation
générale des masses lycéennes
anti-autoritaires ", clamaient-ils. " Lorsque les
lycéens parisiens ne seront plus que ruines
idéologiques, la gauche ,des lycéens ira
partout, dans les C.E.T. et les lycées des
régions ouvrières, allumer la flamme de la
révolte idéologique anti-autoritaire ",
écrivaient-ils et, conservant toute leur
sincérité (!), ils traçaient ainsi leur
ligne du moment :
..... " A
Louis-le-Grand, plusieurs dizaines d'entre nous,
armés de la pensée-maotsétoung,
mènent les différentes batailles dans le but
de renforcer l'avant-garde tactique qu'est le mouvement
lycéen, de développer sa fonction essentielle:
travailler à la formation d'une force autonome
prolétarienne dans les usines ".
..... Bien entendu,
la presse bourgeoise et les révisionnistes ne
manquaient pas d'utiliser ces proclamations juvéniles
en leur conférant la qualité de "
maoïstes ", trompant à la fois l'opinion
publique et les étudiants eux-mêmes qui en
arrivaient à se prendre pour d'authentiques
révolutionnaires: " Vivent les longues marches des
lycéens et des étudiants dans les
régions ouvrières! Vivent les bataillons de la
jeunesse au premier rang des luttes populaires !
"
..... Marchais et
Séguy avaient alors beau jeu, tout en sachant
parfaitement à quoi s'en tenir, de dire aux
travailleurs ainsi qu'aux militant de base du P."C."F. et de
la C.G.T. : " Voyez, regardez, voici les " maoïstes
" ! Voici les partisans de Mao Tsé toung dans notre
pays ! "
..... Et peu
à peu les militants de la G.P ., après avoir
bénéficié du qualificatif de " Mao
spontex ", devinrent pour tout le monde en France " les Maos
". C'est là évidemment une imposture que
l'Histoire ne manquera pas de détruire. La situation.
était alors identique à la faculté de
Vincennes où quelques centaines d'étudiants
impulsés par la G.P. affrontaient violemment
l'Administration et ses défenseurs
révisionnistes. Le fondement théorique et
tactique de toutes ces activités consistait à
faire fusionner la " révolution idéologique
" de " forme anti-autoritaire "
déclenchée par les " luttes
étudiantes, avant garde tactique du mouvement
révolutionnaire " avec " la révolution
prolétarienne ". Il fallait édifier la "
force révolutionnaire autonome " dont la
conception n'était pas différente de celle de
Cohn-Bendit et Geismar durant les événements
de Mai-Juin 68 : " seule la liaison avec cette force
prolétarienne peut garantir l'indépendance
complète par rapport aux forces réactionnaires
et aux groupuscules. Aujourd'hui, cette force est en
constitution, cela veut dire que la gauche
révolutionnaire dans les facultés doit
être partie prenante du processus de constitution de
cette force prolétarienne, du Parti communiste
révolutionnaire prolétarien " ( " Cause du
Peuple " n° 6 du 19 avril 19,69 - page 13).
Précisons que par " forces
réactionnaires ", il faut entendre le pouvoir
bourgeois et ses serviteurs révisionnistes et que par
" groupuscules " il faut entendre toute formation
organisationnelle structurée se différenciant,
par sa seule existence, du courant spontané des
masses.
..... Nous allons
nous rendre compte que l'idéologie et la pratique
ultérieure de la " Gauche Prolétarienne
" découlent exclusivement de cette conception
spontanéiste et anti-autoritaire, qui n'a rien
à voir en réalité avec l'authentique
pensée-maotsétoung, pas plus qu'avec le
marxisme et le léninisme.
..... Mais les
prétendues " insurrections " lycéennes
et étudiantes de 1969 permirent surtout à la
nouvelle formation un appréciable recrutement dans le
milieu social dont elle était elle-même issue,
bientôt suivi d'une relance de "
l'établissement " en
usine.
" L'établissement "
..... Ici nous devons nous
arrêter quelque peu, pour apprécier la pratique
des jeunes intellectuels s'embauchant comme "
ouvriers " et nous pouvons le faire d'autant plus
sérieusement que plusieurs d'entre eux sont
aujourd'hui dans nos rangs.
.....
L'établissement en usine a été
innové à l'Appel du président Mao au
cours de la révolution chinoise. Il a connu un nouvel
essor en Chine pendant et depuis la Grande Révolution
Culturelle prolétarienne. Il a pour objet de
transformer profondément l'idéologie
bourgeoise des étudiants et travailleurs
intellectuels en les soumettant aux conditions
concrètes de la vie des ouvriers et des paysans.
Ainsi les étudiants sont
rééduqués par les travailleurs manuels
et par le travail manuel lui-même. Il s'agit
fondamentalement d'un moyen de rééducation
sous l'autorité de l'idéologie
prolétarienne. C'est le Parti Communiste Chinois qui
décida et organisa, en temps choisi par lui, et par
lui seul au nom du prolétariat, d'envoyer à la
production certains étudiants.
..... L'U.J,C.
(m.-l.) et, par la suite, la " Gauche
Prolétarienne " ont-elles vraiment
assimilé cette conception et l'ont-elles
appliqué de manière juste et vivante aux
conditions spécifiques de notre société
? Il est permis d'en douter, encore que certains "
établis" aient, individuellement, parfaitement
compris qu'ils s'installaient dans la classe ouvrière
pour apprendre d'elle, et non pour éduquer les
travailleurs, leur donner des leçons et les
diriger.
..... Nous
connaissons en effet plusieurs exemples où les
établis se réclamant de la G.P. ont agi de
telle sorte qu'ils ont totalement échoué, se
sont isolés des travailleurs, n'ont eu finalement
aucune autre issue que de renoncer à leur
objectif.
..... A notre avis,
l'établissement, pour mériter d'être
considéré comme répondant à la
pensée-maotsétoung, exige une extrême
modestie et une persévérance de longue
durée dont peu d'étudiants ont
été capables jusqu'ici.
.....
L'impétuosité révolutionnaire,
ce que Mao Tsé toung nomme le " prurit
révolutionnaire ", ne va pas du tout dans le sens
de la profonde transformation idéologique
indispensable, pour que les " établis " se
soumettent consciemment et efficacement à
l'idéologie du prolétariat.
..... Mais sans
doute cette question mériterait-elle un examen plus
approfondi et fondé sur la connaissance
détaillée et statistique des nombreuses
expériences réalisées. Plusieurs de nos
militants, d'ailleurs issus de l'U.J., sont aujourd'hui
ouvriers et jouent un rôle appréciable
dans les luttes syndicales et politiques de leurs camarades
au sein de l'entreprise. Signalons simplement comme premiers
éléments d'appréciation que ces
travailleurs occupent leur place depuis quelquefois cinq et
six années et que par ailleurs la majorité
d'entre eux, même s'ils ont été
étudiants ou simplement lycéens pendant
quelque temps, sont issus de familles ouvrières, ont
grandi au sein du prolétariat. Ajoutons que tous ont
compris depuis longtemps l'attachement profond des ouvriers
au principe même du syndicalisme, même si les
syndicats sont dirigés par des réformistes ou
des révisionnistes, qui entravent leur fonction dans
le domaine revendicatif. Ces " établis " sont
devenus eux-mêmes des militants syndicalistes, certes
en lutte avec les bonzes, mais souvent reconnus et soutenu
par la masse de leurs compagnons de travail.
..... Ceci dit,
revenons-en à la " 'Gauche Prolétarienne ".
Son implantation s'effectua essentiellement, au cours de la
seconde partie de 1969, dans des usines du Nord et du
Nord-Ouest de la France, de l'Est sidérurgique et,
dans une moindre mesure, dans la région parisienne,
par exemple à la Régie Nationale des usines
Renault de Boulogne-Billancourt. Ses tentatives
d'établissement dans le Midi -Marseille notamment
(usine Coder)- devaient rapidement échouer par suite
de la double répression du patronat et des
révisionnistes, trop heureux d'exploiter des
pratiques " ultra-gauchistes " leur permettant
d'isoler rapidement de la masse des travailleurs les "
établis " facilement
repérés.
..... Quelle fut
concrètement la pratique des militants de la G.P. "
établis " en usines ? Il suffit de feuilleter
la collection de " la Cause du Peuple " ou de lire
quelques brochures ou volumes consacrés à son
activité pour s'en faire une idée assez
précise.
..... S'abandonnant
volontiers à une certaine ivresse du langage et des
métaphores, ils entreprirent d'organiser la "
Nouvelle Résistance " " pour construire la
France populaire ". Pour cela, il leur fallait "
former des partisans ". Aussi
décrétèrent-ils en mars 1970 : "
Patrons, c'est la guerre ! ". Et d'emblée ils
précisaient " ce qu'ils voulaient : TOUT !
c'est-à-dire l'usine aux ouvriers " et ce qu'ils
ne voulaient plus: " les cadences qui tuent, les petits
chefs qui humilient, la hiérarchie des salaires qui
nous divise, développe l'égoïsme et par
là-même ne sert que le patron ".
.....
N'hésitant pas à s'appuyer sur la "
riche " expérience qu'ils avaient accumulée...
depuis quelques mois, ils exposaient sans sourciller leur
solution miracle: " Ce que nous avons compris, c'est que
sur le chemin de notre révolte nous devons briser le
syndicat ", à quoi ils ajoutaient: " Se passer
des syndicats, s'organiser à notre façon ?
Oui, cela est possible, c'est même le seul moyen. Nous
devons nous organiser dans chaque atelier, nous tous, les
ouvriers, et de façon permanente. Ainsi seulement on
peut frapper le patron, avec des formes de lutte à
nous, le frapper dans sa personne ou dans ses biens :
occupation, séquestration, nous sommes tous des
délégués... " ( "Cause du Peuple "
n°18 du 13 mars 1970). S'il y avait dans ces intentions
et dans ces pratiques certaines formes susceptibles de
correspondre efficacement à la nécessaire
violence de classe prolétarienne, il n'en restait pas
moins évident que l'idée de détruire le
syndicat pour le remplacer par une organisation
spontanée de conception encore très diffuse,
n'émanait en rien de travailleurs ayant une tradition
et une expérience solides de luttes de la classe
ouvrière. Le moindre responsable syndicaliste,
réformiste ou révisionniste, pouvait
démonter, sans grands efforts, la puérile
tactique de ces nouveaux venus dans l'usine et dans la
production.
Les sabotages
..... Nous avons suivi de
près l'expérience réalisée en
1969-1970 à l'usine Coder de Marseille, où
deux adhérents de la G.P .avaient réussi
à se faire embaucher. Rapidement l'un des deux fut
licencié. Le second entreprit une activité qui
gagna, au début, quelques travailleurs
mécontents de l'inactivité et de
l'inefficacité syndicales. Mais bientôt les
pires erreurs furent accomplies (provocation patronale ou
gestes effectifs des " maoïstes " ?). Une trentaine de
camions furent sabotés (sable dans les boîtes
de vitesse). Personne ne s'avisa dès lors de prendre
la défense résolue d'un groupe de trente
ouvriers licenciés, non sans que les bonzes C.G.T. ne
s'en réjouissent. Cet exemple nous conduit à
préciser que la G.P. considérait -et sans
doute continue à considérer- que le sabotage
des outils, des machines, des produits d'une usine constitue
une forme de lutte efficace pour combattre le
patronat.
..... Pour riposter
à des accidents du travail, ses militants se
livrèrent aux A.D.N. (Aciéries du Nord),
à Dunkerque, à toute une série de
sabotages successifs. Et nous ne l'écrivons que parce
qu'ils l'ont eux-mêmes proclamé
publiquement.
..... Etait-ce
là une juste application de la
pensée-maotsétoung ou tout simplement la
résurgence de pratiques anarchistes plus que
centenaires et révolues, dénoncées en
leur temps par tous les révolutionnaires
conséquents, de Marx et Engels à
Lénine, Staline et Mao Tsé toung ? La
réponse ne saurait être équivoque. Le
sabotage, oeuvre d'une minorité agissante
coupée des larges masses de la classe
ouvrière, n'a jamais été reconnu comme
utile à la révolution prolétarienne ni
conforme aux caractéristiques fondamentales de
l'idéologie du
prolétariat.
La répression
..... Naturellement vint la
répression, à laquelle riposta la " Gauche
Prolétarienne ", non sans courage. Ces "
maoïstes " croyaient-ils à
l'efficacité du fameux tryptique de Che Guevara : "
Provocation - répression -révolution "
? Ce n'est pas impossible. D'ailleurs, dans leur ouvrage "
Vers la guerre civile ", Geismar et ses co-auteurs
avaient consacré de larges passages à "
l'utilisation révolutionnaire de la
répression " et à " la dialectique de
la répression " que n'eut certainement pas
désavoués feu le " révolutionnaire "
sud-américain. Certains prétendent en outre
que le leader de la G.P. se serait rendu à Cuba
aussitôt après le printemps
révolutionnaire de 68, mais on peut se demander quel
fut l'accueil reçu là-bas lorsqu'on
connaît le jugement négatif et totalement
erroné de Fidel Castro sur les luttes qui venaient
d'ébranler le capitalisme français, jugement
comparable à celui des Soviétiques.
..... Toujours
est-il que, sans hésiter à entrer en
contradiction avec ce qu'avait aussi publié ce livre
à propos de " l'attitude de la petite bourgeoisie
", face à la répression, la " Gauche
Prolétarienne " engagea de grandes luttes contre la
violence de la classe qui frappait ses militants. Geismar
fit le 25 mai 1970 une déclaration tonitruante, lors
d'un meeting tenu dans la salle de la Mutualité. Un
mois plus tard, il était arrêté et,
poursuivi par la Cour de Sûreté de l'Etat, se
retrouvait à la prison de La Santé, avec
quelque soixante autres militants de la G.P. Le 20 octobre
suivant, il était condamné à dix-huit
mois de prison.
..... Une
grève de la faim soutenue par 29 des
emprisonnés de la G.P., ne manquant certes pas de
résolution, leur permit d'obtenir un régime
pénitentiaire amélioré. Le jour de la
comparution de Geismar devant la Cour de Sûreté
de l'Etat, environ trois milliers de manifestants
lycéens et étudiants affrontèrent la
police et lancèrent quelques cocktails Molotov, mais
la classe ouvrière, en tant que telle, resta
massivement indifférente. Nous ignorons quel bilan
objectif ont dressé de ces événements
les militants responsables de la " Gauche
Prolétarienne ".
..... Pour notre
part nous ne pensons pas que les interventions des "
gauchistes prolétariens " pour éveiller et
impulser le mouvement ouvrier révolutionnaire aient
exercé quelque influence profonde et durable.
Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la valeur et la
nature virtuelles de certaines formes de violence de classe
qu'ils ont mises à l'épreuve. La
séquestration des patrons, les luttes
anti-hiérarchiques, (que nous-mêmes
préconisions également), la démocratie
prolétarienne directe réapparue à
travers de larges assemblées ouvrières dictant
leur volonté aux responsables syndicaux, constituent
des expériences concrètes dont
l'efficacité viendra s'ajouter en temps voulu aux
vieilles formes des luttes de classe qui constituent le
patrimoine traditionnel plus ancien du prolétariat:
piquets de grève, autodéfense des mouvements,
occupation des usines, organisation de la solidarité,
etc.
..... L'aspect
négatif de l'activité des établis de la
G.,P. découle évidemment de leurs conceptions
spontanéistes : de manière
générale, après la flambée des
luttes, il ne reste absolument rien; l'organisation
révolutionnaire des travailleurs se dissipe aussi
rapidement qu'elle s'était
cristallisée.
..... Aujourd'hui,
par exemple, à l'intérieur de l'usine Coder
à Marseille, il n'y a plus un seul militant de la
G.P. Chez Renault à Boulogne-Billancourt,
après l'assassinat de Pierre Overney et les
licenciements de tous les ouvriers soupçonnés
d'être des militants de la G.P., que reste-t-il ?
Rien.
..... Est-ce en
déplaçant continuellement le point
d'application de leurs efforts, de leur combat, que ces "
maoïstes " croient remporter des succès et faire
avancer la révolution ? Si tel est le cas, nous ne
croyons pas à l'efficacité de leur tactique.
Le problème capital qui reste posé, pour eux
comme pour nous, n'est pas de gagner et entraîner les
couches intellectuelles qu'incarnent des
personnalités aussi marquantes que Jean-Paul Sartre
ou Maurice Clavel, ou même Jacques Debu-Bridel
(même s'il convient d'attacher de l'importance au
soutien que l'intelligentsia peut apporter au
prolétariat révolutionnaire). Le
problème-clé, sans la solution duquel ne
pourra s'ouvrir la voie de la préparation
concrète de la révolution
prolétarienne, c'est de soustraire au
révisionnisme non seulement l'avant-garde, mais aussi
la masse de la classe ouvrière. Et cela ne se
réalisera jamais par une incitation artificielle
venue de l'extérieur, mais seulement à
l'initiative, sous l'impulsion et sous la direction d'un
Parti révolutionnaire prolétarien, constituant
cette avant-garde ouvrière, reconnu par la masse
elle-même des travailleurs.
..... Tous les
échecs de la G.P. ont leur source dans la
méconnaissance, voire le mépris
délibéré de la fonction historique du "
Parti de type léniniste " qui a pourtant
largement fait la preuve de son efficacité, ne
serait-ce qu'en Russie en Octobre 1917, en Chine le 1er
Novembre 1949.
..... Si cette
vérité, sans cesse rappelée par Mao
Tsé toung, n'est pas appliquée
concrètement aux conditions spécifiques de la
révolution en France, les plus remarquables
flambées, comme la puissante manifestation de masse
à laquelle donnèrent lieu les obsèques
du courageux Pierre Overney, continueront à rester
sans lendemain.
II. -STRUCTURES...
..... Y a-t-il des
structures organisationnelles à la " Gauche
Prolétarienne " ? Il ne semble pas. Il y a certes
une direction, il y a des: dirigeants connus et certainement
d'autres dirigeants qui restent dans la
clandestinité, il y a nécessairement un groupe
de rédacteurs et d'administrateurs de " la Cause
du Peuple ". Mais à la base, les conceptions
organisationnelles, si elles existent, nous sont inconnues.
Les militants de la G.P. agissent à travers des "
Comités " lancés dans les masses en
différentes occasions ( exemples: les tribunaux
populaires, le comité de lutte Renault, les
occupations de logements vides, etc.). Pendant une
période donnée les efforts sont
concentrés sur une tâche centrale, et sans
doute est-ce là une application juste des
enseignements de Mao Tsé toung. Mais ont-ils une
tâche principale donnée pour une période
donnée ? On peut en douter. Les effectifs de la G.P.
sont tout aussi difficile à estimer. Si l'on parle de
ses sympathisants, on peut alors assurer qu'ils sont
plusieurs milliers à Paris et nettement moins
nombreux en province, à l'exception de quelques
grandes villes peu nombreuses.
..... Le contenu
social de la G.P. est essentiellement intellectuel et
petit-bourgeois, en dépit du fait qu'elle soit
parvenue à recruter de jeunes ouvriers
français et immigrés.
..... Son
idéologie, nous l'avons constaté, ne
s'apparente pas encore solidement à celle du
prolétariat. Son activisme, ignorant
délibérément la théorie (le
mépris et le rejet de la "théorie" est
explicitement proclamé dans le livre " Les
Maos " ), s'apparente au populisme et au
spontanéisme. La G.P. bénéficie de
l'appui de nombreux intellectuels bourgeois libéraux.
Outre son journal " la Cause du Peuple " dont la
périodicité est irrégulière, et
qui édite de nombreux numéros spéciaux,
elle publie des brochures en nombre relativement
modeste.
III. -POSITIONS...
..... La " Gauche
Prolétarienne " attaque le Parti " Communiste "
Français et la C.G.T. sans faire aucune distinction
entre dirigeants et militants de base. A leur égard,
elle emploie plus souvent l'injure que l'argumentation. Elle
utilise valablement la qualification de "
révisionniste " et, sans jamais
défendre quelque aspect que ce soit de l'oeuvre de
Staline, elle ne met jamais en cause, du moins publiquement,
le " stalinisme ". Toutefois, en privé, nombre
de ses militants, comme par exemple Le Dantec (nous ne le
citons en exemple que parce que nous avons eu écho de
ses propos et non pour faire une critique "
personnelle " ) s'avèrent franchement hostiles
à Staline.
..... La G.P.
s'occupe peu des questions internationales. Lorsqu'elle le
fait, c'est en général en adoptant de justes
positions. Elle dénonce le social-impérialisme
" russe ". Elle soutient la juste politique des
camarades chinois. Elle a publié récemment
deux plaquettes intéressantes sur la
République Populaire de Chine. Elle commet parfois
des erreurs d'appréciation mais jusqu'ici les a
rectifiées rapidement. Enfin, nous ignorons pourquoi
la G..P. ignore totalement le Parti du Travail d'Albanie et
la République Populaire
d'Albanie.
IV. -VOIE…
..... Pour passer du
capitalisme au socialisme, la G.P. récuse sans
équivoque la voie " pacifique " et
électoraliste et proclame
l'inéluctabilité de la voie de la "
violence révolutionnaire armée
".
V. -OBJECTIF...
..... Cependant, la G.P. ne
se prononce pas explicitement pour la " dictature du
prolétariat ". Elle parle de" pouvoir populaire ",
envisage la gestion des entreprises par les travailleurs
eux-mêmes, mais semble en avoir une conception
différente de celle des partisans de l'autogestion
excluant tout pouvoir
centralisé.
VI. -LIGNE...
..... La ligne politique de
la G.P. consiste à opposer
immédiatement, sans préparation
prolongée, la contre-violence de classe du
prolétariat à la violence permanente de la
bourgeoisie. Elle vise à faire la
démonstration constante que la légalité
en vigueur peut être contestée tout de suite et
même battue. C'est là, pour la G.P., un moyen
efficace d'éducation révolutionnaire des
masses. Chacune de ses actions est pensée et
développée comme devant servir d'exemple et de
suggestion.
..... La G.P. agit
en alliance avec tout groupe dit" gauchiste ", mais
s'efforce de préserver son autonomie et son
indépendance dans l'action. Au cours de la
période des manifestations consécutives
à l'assassinat de Pierre Overney, la G.P. a
même fait preuve d'opportunisme de droite en
abandonnant temporairement l'initiative et la direction du
courant petit-bourgeois révolutionnariste à la
" Ligue Communiste ".
..... Les dirigeants
de la G.P. paraissent divisés sur l'attitude à
notre égard. Certains n'éprouvent
qu'indifférence, peut-être même quelque
intérêt à s'unir avec nous en certaines
circonstances. D'autres nous sont franchement hostiles pour
des raisons que nous ne nous expliquons pas, mais qui
appartiennent sans doute au passé et se situent au
niveau de l'idéologie.
..... La G.P.
n'hésite pas à s'unir à des
personnalités en vue, y compris des gaullistes de
gauche notoires comme Maurice Clavel ou Jacques
Debu-Bridel.
..... Enfin, la G.P.
est contre les syndicats par principe; en certains cas
récents, elle a même condamné le recours
à la grève en le qualifiant d'inefficace, lui
préférant des formes d'action violentes comme
la seule séquestration des patrons.
..... On sait aussi dans
quelles circonstances la " Nouvelle Résistance
Populaire ", organisation clandestine, a
procédé à des enlèvements, tels
celui du député U.D.R. de Grailly ou plus
récemment du cadre répressif de la
Régie Renault, Nogrette. Nous en traiterons plus loin
pour dire que s'il s'agit d'actes" ultra-gauchistes
", nous n'avons aucune raison de les tenir
systématiquement pour " manipulés par la
police ". C'est là la position des
révisionnistes, avec laquelle nous n'avons absolument
rien à
voir.
VII. -INTERNATIONALISME...
..... La Gauche
Prolétarienne est attachée au principe de
l'internationalisme, mais elle n'a pas poursuivi
l'initiative positive de l'U.J.C. (m.-l.) qui avait
réussi à développer un grand nombre de
" Comités Vietnam de base " soutenant
activement 1a guerre de résistance du peuple
vietnamien (à l'époque; aujourd'hui, il
s'agirait de tous les peuples indochinois) à
l'agression de l'impérialisme américain et de
ses fantoches. Il semble même que 1a G.P. participe
maintenant aux manifestations organisées sous
l'égide des trotskystes de la " Ligue " par
le" Front Solidarité Indochine ".
..... La
solidarité prolétarienne de la G .P. s'exprime
largement et continuellement vis-à-vis des
travailleurs immigrés, spécialement
vis-à- vis de ceux venus d'Afrique du Nord ou
d'Afrique Noire.
..... A noter que la
G.P. n'hésite pas à s'ingérer dans les
affaires intérieures du peuple algérien en
lançant de vigoureuses attaques contre son
gouvernement, ses représentants diplomatiques et
l'Amicale des Algériens en France. C'est là
une attitude qui ne correspond en rien à l'analyse
réaliste et à la juste attitude de nos
camarades chinois pour qui les pays récemment
débarrassés du colonialisme ont avant tout
à consolider leur
indépendance.
VIII. -ASPECT PRINCIPAL...
..... Sur le plan
idéologique, l'aspect principal de la G.P. reste
qu'il s'agit d'une formation petite-bourgeoise. Sur le plan
politique, sa ligne est " opportuniste de gauche ",
mais dans certains cas débouche sur des pratiques de
droite comme cela arrive souvent pour 1es " ultra-
gauchistes "
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