FRONT ROUGE n°155 -08 mai 1975- hebdomadaire
organe central du
Parti Communiste Révolutionnaire (m.l.)
---

-page 12-

ç

l'enjeu de la bataille PS-P"C" au portugal :
une nouvelle répartition des forces au sein du gouvernement

      Une semaine après les élections au Portugal, l'aiguisement des contradictions prévisible entre le PS et le P-C-P s'est effectivement produit. En effet, au lendemain de la tentative manquée du coup réactionnaire du 11 mars, les révisionnistes avaient mis la situation à profit pour s'imposer aux militaires du MFA, désormais isolés sur leur droite, et accaparer de nombreux postes dans le gouvernement et l'appareil d'Etat. Dans le même temps, le PS, vraisemblablement compromis de près ou de loin dans la préparation du putsch, s'était trouvé réduit à une position plus faible dans le gouvernement. La victoire du PS, qui a remporté aux dernières élections trois fois plus de voix que le P " C " P, était l'occasion pour les sociaux-démocrates de remettre cette situation en cause.

      Dès le lendemain des élections, le PS affirmait ses nouvelles ambitions par une manifestation organisée dans le centre de Lisbonne. Le caractère hétéroclite de la manifestation, où se distinguait un cortège de 1 000 ouvriers et cortège de voitures plus ou moins de luxe, rendait bien compte de la nature de ce parti bourgeois qui parvient, dans le cadre de l'antifascisme, à tromper encore une masse importante de travailleurs.

      Mais c'est le 1er mai, à l'occasion de la manifestation organisée par l'Intersyndicale, que les contradictions sont apparues au grand jour. D'une part, le PS tentait de s'affirmer comme une force autonome, conviant à rejoindre le meeting central par une manifestation séparée. D'autre part, le P " C " P mettait cette manœuvre à profit pour isoler le PS, contraignant en fin de compte Mario Soares à quitter le meeting.

      L'instrument des révisionnistes dans cette opération a été la direction de la centrale syndicale unique, officiellement légalisée par le MFA le jour même du premier mai. D'un côté, fidèles à leur vieille tactique de division de la classe ouvrière, les sociaux-démocrates se sont toujours opposés à l'unicité syndicale. De l'autre côté, les révisionnistes ont poussé dans ce sens, pour se doter d'un instrument de contrôle de la classe ouvrière, et d'un moyen de pression dans la lutte pour le pouvoir entre partis bourgeois. Le P " C " P contrôle en effet largement la direction de cette " intersyndicale " : d'une part, parce qu'ils avaient déjà conquis des postes de direction dans les syndicats à l'époque fasciste, d'autre part, parce qu'ils ont pris, après le 25 avril, l'initiative de chasser les cadres fascistes en place dans les anciens syndicats pour s'imposer bureaucratiquement à leur place. Ils utilisent en la dévoyant, dans cette bataille, la juste aspiration de la classe ouvrière portugaise à l'unité syndicale.


La lutte PS-P"C"P pour le contrôle de l'appareil d'Etat bourgeois. Sur la banderole " l'appareil d'Etat au service du peuple (?!) cellule du PCP-Palais Sao Bento (siège de l'assemblée )"

      Après les " incidents " du premier mai. le PS s'empressait de convoquer pour le lendemain soir une manifestation importante à Lisbonne, afin de réclamer sa part du gâteau gouvernemental, sur le mot d'ordre principal : " il faut respecter la volonté populaire ", autrement dit : " il faut donner plus de places au PS au gouvernement ".

      Cependant, le sens de la manifestation était encore appuyé par les discussions engagées en même temps par Soares avec le président de la République, Costa Gomes, le premier ministre, Vasco Gonçalves. et le secrétaire du P " C " P. Cunhal. Sortant de ces entretiens, Soares déclarait : " Nous sommes avec le MFA, car son projet de construire un socialisme portugais et en liberté ne peut se faire sans nous " et : " Nous sommes partisans de l'union de toutes les forces progressistes, mais sans une hégémonie, que rien aujourd'hui ne justifie ". Il indiquait clairement par là que l'enjeu essentiel de la querelle qui l'oppose aujourd'hui aux révisionnistes, est l'influence prépondérante dans le MFA et les autres organes du pouvoir, qui lui sont subordonnés.

      A l'issue de ces journées, une chose apparaît clairement : aussi bien les révisionnistes que les sociaux-démocrates ne considèrent aujourd'hui les masses du Portugal que comme un instrument de pression dans la querelle qui les oppose pour le pouvoir, et dans laquelle aucun des deux ne dispose pour l'instant des forces nécessaires pour éliminer l'autre. Quand on sait que derrière chacun de ces deux partis s'agite une des deux super-puissances qui luttent pour l'hégémonie mondiale, on comprend que le peuple portugais a tout intérêt à rejeter ces partis qui prétendent le représenter.

le 4/5/75

Jean Lermet

 

libérez les

militants

emprisonnés

      La veille des élections du 25 avril, vers 10 heures du matin, beaucoup de gens se sont regroupés autour du siège du MRPP d'Olhao. Dans la nuit, après un meeting, une trentaine de ses membres et sympathisants ont été arrêtés, pour avoir fait de la propagande contre " la farce électorale ". Le siège a été fermé aussitôt, gardé par la police. Dans l'après-midi, l'armée embarque tout : tables, machines à écrire, journaux, tout y passe. Quelques militants sont même arrêtés dans la journée, sur leur lieu de travail. Un avion militaire les emmène à la prison militaire de Santarem.

      Cette trentaine d'emprisonnements vient après des dizaines d'autres. Ils sont aujourd'hui plus de 200, arrêtés dans toutes les régions du Portugal, le plus souvent lors de collages d'affiches ou de diffusion de leur journal. Dans de très nombreux cas, ce sont les révisionnistes qui font le plus gros travail : rondes armées, provocation des militants ; le Copcon ou la police militaire intervient ensuite, et arrête les révolutionnaires. La nuit même précédant les élections, la police a arrêté dans un barrage, le responsable du MRPP. Dans les différentes prisons, Alco Entre, Tires... les prisonniers ont subi des coups ; il n'y a pas d'hygiène, une nourriture infecte. A la prison pour femmes de Tires, les médecins ont refusé de soigner des militantes blessées. Pour séparer les hommes des femmes, la police n'a pas hésité à utiliser des gaz lacrymogènes dans les cellules.

      La chute du fascisme a donné au peuple portugais une liberté qu'il n'avait pas connue pendant 50 ans. Mais dés que les révolutionnaires ont commencé à dénoncer cette démocratie comme la nouvelle forme du pouvoir bourgeois, la répression s'est abattue sur certains d entre eux.

Libération des militants emprisonnés !

 

Reportage à olhao, ville du sud…

Olhao. c'est une petite ville du Sud, dans l'Algarve. au bord de la mer. Beaucoup de ses habitants vivent de la mer : c'est un port de pêche mais aussi un centre important de conserves de poissons, avec plusieurs usines très anciennes. Tout autour, une campagne très sèche, avec des chemins de sable bordés de cactus énormes.

Nous avons rencontré des pécheurs, des ouvrières des usines de conserves, des salariés agricoles. Tous nous ont raconté leurs dures conditions de travail, la précarité de leur emploi, l'insécurité dans laquelle ils vivent.

Une ouvrière des conserves nous explique " Notre travail est particulièrement sale. Nous faisons tout à la main et aux ciseaux. Quand il n'y a pas de poisson frais, nous travaillons sur des poissons congelés, et nous avons toutes des rhumatismes dans les mains. Les patrons nous menacent sans cesse de chômage. Ils nous disent que ces conserves se vendent moins bien qu'avant, parce que le procédé d'ouverture des boites est ancien et nécessite une clé, et que le poisson congelé est jauni et ne se conserve pas toujours très bien. Ils ont fermé une douzaine d'usines récemment ". Pas de sanitaire, alors qu'en été elles doivent se laver et changer de vêtement tous les jours, tant l'odeur est forte. C'est un fait que même en avril sous le soleil déjà très chaud, les abords des conserveries dégagent une odeur affreuse. Il y a peu de temps, elles n'avaient aucune sécurité de travail, c'étaient des jours entiers sans salaire. Aujourd'hui après une lutte de plusieurs semaines, elles ont obtenu la garantie de 24 heures de travail, par semaine, payées.

Les pêcheurs ont à peu près les mêmes problèmes. Pour la plupart ils ne possèdent pas de bateau, mais travaillent sur ceux d'armateurs liés à l'industrie de la conserve. Ils partent chaque soir pour pêcher toute la nuit. C'est le risque d'accidents permanent. Un fils de pêcheur nous raconte qu'un camarade de son père a eu la tête écrasée entre le gros bateau et un des petits bateaux sur lesquels on décharge le poisson, que plusieurs ont eu un bras ou une jambe prise dans les cordes pendant que la machine les enroulait. On peut facilement reconnaître les pêcheurs à leurs visages brûlés, leurs mains craquelées, blessées, détrempées au bout des doigts. L'un d'eux nous explique qu'ils n'ont pas de salaire fixe : ce qu'ils touchent, c'est un infime pourcentage sur le poisson qu'ils ramènent. C'est un travail à la tâche qui entretient une sorte de guerre entre les équipages des différents bateaux ; quand un bateau a repéré des poissons, c'est la ruée sur cet endroit.

Dans la campagne alentour, de petites propriétés où l'on fait un peu de tout voisinent avec des grandes propriétés souvent abandonnées aux oliviers et aux chênes. Mais commencent à se développer sur des terres de plus de 200 hectares des cultures de pointe. Près d'Olhao, nous avons vu une de ces grandes " fermes ", où le propriétaire, dont beaucoup ne connaissent même pas le nom, a lancé des cultures de primeurs : fraises sur plastique, tomates et piments sous grandes serres, sur des dizaines d'hectares. Irrigation en permanence. On utilise abondamment engrais et insecticides.

Nous avons discuté avec les ouvrières agricoles qui cueillaient les fraises, les mettaient sur place dans des barquettes. Une tonne par jour en ce moment. Elles sont près de 100 sur la propriété, courbées tout le jour sous un soleil torride. Elles travaillent sous les ordres d'un ingénieur et de chefs d'équipes. Pour elles, la situation a peu changé. Elles vivent dans la crainte de tomber malades, car alors il n'y a plus de salaire. Presque toutes viennent aussi le samedi pour joindre les deux bouts, car elles n'ont pas encore vu la couleur du salaire minimum. L'an dernier, elles avaient fait grève en pleine saison, mais en vain. Elles sont encore mobilisées sur ces questions. Pour elles, l'orientation prise par les capitalistes à la campagne, cela signifiera à court terme le chômage : l'ingénieur (électeur PS) n'y va pas par quatre chemins. " Pour le moment ici. on a beaucoup trop de main-d'œuvre, on ne peut pas la payer, ils réclament des salaires trop élevés. Il faut mécaniser parce que les machines, une fois qu'on les a achetées, c'est fini. Le gouvernement actuel favorise les investissements : on peut avoir des crédits de l'Etat sur 20 ans avec un très faible intérêt. L'amortissement est rapide, parce qu'on supprime une grande partie de la main-d'œuvre. On ne les renverra pas, ils pourront aller travailler dans d'autres propriétés à Potimao ou ailleurs... " C'est des gens comme cet ingénieur qui sont ici le plus content des possibilités ouvertes par le 25 avril : possibilité de développer la production. Il parle en termes d'investissements, de rentabilité, d'exportations qui permettront des cours élevés. " En ce moment, des conseillers français du Midi viennent tous les mois nous aider. Il faut qu'on arrive à faire comme en France ". Ces ingénieurs savent bien où ils veulent aller. Si beaucoup de petits paysans sont sceptiques sur la réforme agraire telle qu'on l'annonce assez vaguement pour l'instant, les promoteurs les plus convaincus des " coopératives " se trouvent parmi ces ingénieurs de la campagne.


Manifestation des ouvriers de la conserverie de poissons de Olhao.

" Nous pensons que le mieux, c'est de grouper autour de nous les petits paysans pour faire une coopérative. Nous leur expliquons que nous avons déjà ici un système de commercialisation dont ils pourraient profiter, qu'ils seraient sûrs de vendre leur production. Dans le coin, j'ai déjà l'accord d'une trentaine de petits paysans ". Mais nous savons par des ouvriers agricoles que bien des paysans pauvres sont réticents parce qu'ils se demandent quel pouvoir ils auront dans ces " coopératives " montées par les gros propriétaires.

Quand on discute avec les gens d'ici, ce dont ils parlent le plus volontiers c'est de leurs conditions de vie, de leurs luttes. Les ouvrières des conserves racontent les grèves qu'elles ont menées, avant et après le 25 avril : d'abord des revendications de salaires. Elles ont réduit la production par ouvrière de 18 boites à l'heure à 7 ou 8. Quand elles ont vu que le patron ne cédait pas, elles ont fait la grève totale, malgré la loi anti-grève qui exige normalement un préavis. " Si on lui avait annoncé à l'avance, il en aurait profité pour ne pas s'approvisionner en poissons frais et pour faire sortir les boîtes finies ". Elles ont fait piquets et manifestations. Dans cette grève, elles ont pu faire l'expérience d'une direction syndicale révisionniste qui, mise en place rapidement après le 25 avril, n'a pas tardé à dire : * Pendant 40 ans on n'a rien eu et maintenant vous voulez tout d'un coup ".

Les pêcheurs ont eux aussi mené une dure lutte, pendant deux mois et demi, pour un salaire fixe, entre autres revendications. Là encore ils se sont heurtés à la direction révisionniste du syndicat qui les a fait reprendre sur la promesse que leurs revendications seraient satisfaites. Mais ils n'ont toujours rien pas même de feuille de paie pour savoir où ils en sont, plus de papier; pour les allocations familiales. En pleine campagne électorale, ils parlent d'une nouvelle grève si le délai qu'ils ont donné pour la réalisation des promesses n'est pas respecté

Avril 1975
Monique CHERAN

ç

RETOUR