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           LE POINT SUR LA
         LUTTE 
         
               En lutte depuis deux
         semaines, les aciéristes ont été
         rejoint le lundi 5 mai, par les travailleurs des autres
         secteurs à la suite de l'intervention des CRS.
         Aujourd'hui c'est l'ensemble des ouvriers d'Usinor qui se
         bat pour : 
         
           
            -
         Non au chômage 
         
           
            -
         Paiement à 100% des jours chômés 
         
           
            -
         Planification de la production 
         
           
            -
         250 F. uniformes pour tous. 
         
           
            En
         luttant principalement contre le chômage partiel, les
         travailleurs d'Usinor refusent de faire les frais de la
         crise de la sidérurgie. Ils refusent la politique
         d'Usinor : faire chômer certaines équipes (5
         jours en mai) pendant que d'autres sont surchargés de
         travail ; 24 coulées au lieu de 16 en moyenne
         auparavant. En luttant pour une planification de la
         production, ils remettent en cause l'organisation
         capitaliste du travail car " planifier la production " cela
         veut dire supprimer le chômage, diminuer les cadences,
         répartir équitablement le travail entre
         tous. 
         
           
            Face
         à la détermination des grévistes qui
         n'avaient pas hésité à bloquer les
         mélangeurs, qui aujourd'hui occupent les grands
         bureaux et maintiennent les piquets de grève, la
         direction, après avoir mis à pied pour quinze
         jours quatre aciéristes dont trois
         délégués, décidait aujourd'hui
         de poursuivre devant les tribunaux 17 travailleurs. Aussi,
         est-il plus que jamais nécessaire d'élargir le
         soutien, de populariser et de renforcer la lutte. 
         
           
           
         Déjà, partout où nous sommes
         allés, que ce soit sur le marché, dans les
         blocs, les cafés de Grande Synthe, nous avons pu
         constater la solidarité qui entoure la lutte des
         travailleurs d'Usinor. Contrairement aux affirmations des
         directions syndicales qui expliquent la relativement faible
         participation aux piquets de grève, par un
         prétendu désintérêt des
         travailleurs pour la lutte, les nombreux ouvriers que nous
         avons interviewé nous ont tous témoigné
         leur accord avec la lutte. 
         
           
            Ce
         que les directions syndicales " oublient " c'est que la
         manière dont ils ont mené la grève de
         l'an passé, au HF.4, pour la sécurité a
         entamé sérieusement la confiance des
         travailleurs dans la capacité de leurs dirigeants
         syndicaux à défendre leurs véritables
         revendications. Nombreux sont ceux qui n'ont pas
         accepté de monnayer leur vie pour des primes comme
         l'avaient négocié les syndicats. Ce manque de
         confiance explique pourquoi certains travailleurs, tout en
         soutenant la grève, n'y prennent pas toute leur part.
         D'autre part, la mobilisation des travailleurs qui en grand
         nombre habitent à plusieurs dizaines de
         kilomètres de Dunkerque n'est absolument pas prise en
         mains par les dirigeants syndicaux. Quant aux initiatives
         des travailleurs : popularisation sur les marchés,
         collectes, mobilisation des femmes... elles sont
         systématiquement freinées par les syndicats
         bien qu'elles rencontrent le soutien des travailleurs. Aussi
         la question du renforcement de la lutte, qui ne pourra se
         résoudre qu'en menant la lutte à
         l'intérieur des syndicats contre la ligne
         révisionniste et réformiste, est celle que de
         nombreux travailleurs se posent. 
         
              
         RENFORCER LA LUTTE 
         
           
           
         l consolider les
         piquets de grève en y associant le maximum de
         travailleurs. Pour cela il faut se donner les moyens d'une
         réelle animation. Les discussions engagées
         lors du pique-nique de l'Ascension
         (voir article) montrent combien il
         serait possible à l'aide de films, de diapos, de
         chants... de poursuivre ces débats
         politiques. 
         
           
           
         l associer
         à la lutte le plus grand nombre de travailleurs en
         mobilisant tous ceux que l'éloignement empêche
         de venir chaque jour, notamment par des réunions dans
         les villages où ils habitent. 
         
           
           
         l populariser le
         plus largement possible la lutte sur les marchés sur
         les quartiers, auprès des autres usines... Organiser
         des collectes, trouver des formes de lutte pour repousser
         les échéances des traites et des
         loyers... 
         
           
           
         l appeler les
         travailleurs des autres usines de la sidérurgie
         à rejoindre leur lutte sur leurs propres
         revendications. 
         
         Lundi 12 mai 75
          
         
         
           
         
         
         5000 chômeurs dans la
         région de Dunkerque
         
               Usinor, le port, les
         chantiers navals..... depuis des années, Dunkerque
         était un pôle d'attraction pour tous ceux qui
         cherchaient un emploi. Aujourd'hui, avec 5000
         chômeurs, dont 60% de femmes : (un des pourcentages
         les plus élevés en France) la région
         dunkerquoise est loin d'être épargnée
         par le chômage. 
         
           
            Les
         fermetures d'usines se multiplient : Isorel, Tissages de
         Comines, Réveillon, Moulins de Bourbourg... marne les
         dockers sont touchés avec 600 emplois
         supprimés en quelques années. Le tableau des
         licenciements collectifs est éloquent : 
         
           
            -
         121 licenciements à l'usine textile de Watten 
         
           
            - 52
         à la Somafer 
         
           
            - 53
         à la N.B.R.N. 
         
           
            - 52
         à Flandre voiles... et cela uniquement pour les
         licenciements collectifs de plus de 50
         salariés. 
         
           
           Le chômage partiel touche de plus
         en plus d'établissements : le textile, notamment
         où la plupart des entreprises tourne autour de 32 h
         le bâtiment, la chimie avec Lesieur, la SFBP,... et
         bien sûr Usinor pour la sidérurgie. 
         
           
            De
         nombreuses entreprises d'intérim ferment leurs
         portes, comme la Sopresi où le patron, après
         avoir mis la clé sous la porte, est parti sans payer
         ses employés : seule l'occupation des locaux de
         l'agence a permis aux intérimaires de percevoir leur
         dû. 
         
           
           
         Aussi tous les travailleurs de Dunkerque ont-ils les
         yeux tournés vers la lutte des travailleurs d'Usinor,
         la première lutte d'ampleur contre le chômage
         partiel ; les nombreux débrayages de soutien en
         témoignent. 
         
         
           
         
         
         Ce qu'en pensent les
         travailleurs...
         
           
         
         Les femmes des grévistes ne sont pas
         restées en dehors de la lutte,elles apportent un
         soutien actif à leur mari…
         
               Jeudi 8 mai, un jour
         férié... ils sont rares à Usinor : avec
         les feux continus, il n'y a plus de Noël ou de
         Pâques et rarement plus d'un dimanche par mois. Aussi,
         " pour marquer le coup ", de nombreux travailleurs avaient
         tenu à profiter de ce " congé " pour venir
         pique niquer en famille sur les pelouses entre les grands
         bureaux et le piquet de grève. L'initiative en
         revenait à un groupe de femmes de grévistes
         qui avait ainsi tenu à manifester leur soutien
         à la lutte de leur mari. 
         
           
            "
         C'est Usinor qui nous fait vivre nous aussi ; quand il
         nous enlèvent 300 F. sur la paye, on est les
         premières à s'en apercevoir. Et puis Usinor
         nous exploite tout autant que nos maris, pas directement
         mais c'est bien à cause d'Usinor, à cause des
         feux continus qu'on ne peut pas travailler... Remarque que
         même si on pouvait, je vois pas où on irait
         travailler, il n'y a pas d'emploi pour les femmes dans la
         région… " 
         
           
            La
         trentaine, deux enfants, Maryse participe pleinement
         à la lutte ; le lendemain nous la verrons au piquet
         de grève. Dans les discussions qui s'engagent,
         souvent à bâtons rompus, tous les sujets sont
         abordés : la lutte bien sûr, mais aussi le
         rôle des syndicats, la crise, l'union de la gauche, le
         rôle de la maîtrise, le Vietnam... 
         
           
           
                 
           
         LE ROLE DE LA
         MAITRISE 
         
           
            "
         La maîtrise, ils s'assimilent avec la direction...
         ils ont l'illusion qu'ils ont quelque chose de plus que
         nous. Au niveau de la production on pourrait très
         bien s'en passer. Seulement pour certains gars c'est un peu
         la carotte, la promotion, c'est pas pour rien que ça
         existe... Ce qui est terrible c'est qu'on trouve du point de
         vue bourgeois chez certains ouvriers, alors ça c'est
         la mort du petit cheval. Et c'est la maîtrise qui est
         là pour faire germer ça... Le patron s'il
         crée tous ces postes de cheffaillons, c'est pas
         uniquement pour leur faire brasser de l'air... " 
         
           
           
                 
           
         LA CRISE 
         
           
            "
         Avec le chômage, on essaye de tenir les gars : "
         C'est peut-être pas le moment de faire
         grève "... Ici cela n'a pas marché,
         faut dire que les CRS, ça a été une
         grosse boulette. Aucun gars ne peut admettre de travailler
         avec un CRS dans le dos, on n'a jamais vu ça. Mais de
         toutes façons on n'a pas à regarder à
         la conjoncture quand on fait grève. Dellaleau (Le
         72° ouvrier à avoir payé de sa vie les
         records de productivité d'Usinor-NDLR), lui il a
         pas choisi quand il est mort, cette année c'est
         pareil. " 
         
           
            "
         De toutes façons c'est jamais le moment pour faire
         grève, on n'a jamais d'argent " intervient avec
         ironie sa femme. "Usinor ça n'a jamais
         tourné comme il faut, c'est un truc gigantesque que
         les patrons n'arriveront jamais à contrôler...
         Il n'y a qu'à voir, on a notre grève tous les
         ans. Et puis vois le HF4, le plus grand, le plus moderne...
         il ne tourne même plus... La crise, c'est qu'ils ne
         sont plus capable de rien diriger, de nous faire avaler le
         baratin habituel... ça ne prend plus, l'ouvrier il
         devient de plus en plus conscient, les bras sans tête,
         c'est fini… " 
         
           
            "
         On a fait l'année de la femme pour la
         bourgeoisie... il faut distraire l'opinion, amuser les
         gens... "  
         
           
           
                 
           
         L'UNION DE LA
         GAUCHE 
         
           
           
         Lorsqu'il s'agit du Programme commun, de Mitterrand,
         la discussion se fait plus calme, plus
         réfléchie, c'est que même si les
         interventions ne sont pas toujours claires, même si un
         certain nombre d'illusions restent, notamment sur la
         possibilité de mener la lutte au sein du P"C"F, les
         travailleurs se posent des questions. C'est un militant
         C.G.T. délégué au CHS qui intervient le
         premier : 
         
           
            "
         Si on était passé avec Mitterrand, on
         aurait peut-être vu de nouvelles têtes, remarque
         Mitterrand, Mollet et Cie, c'est pas tout neuf non plus...
         Mais ça aurait sûrement calmé les
         esprits, on aurait eu un peu de " paix sociale ", comme ils
         disent... On aurait eu l'illusion que la
         société aurait changé mais dans les
         bases propres, le niveau de vie tout ça... ce serait
         resté pareil. Ce qu'il faudrait c'est que ce soient
         les ouvriers qui prennent le pouvoir, le peuple, comme au...
         Portugal... (hésitation) Non, au Portugal c'est les
         socialos... au Vietnam. Au Vietnam, c'est le peuple qui a le
         pouvoir. Tu a vu les américains, la plus grande
         armée du monde, avec les B52 et tout leur arsenal,
         comment qu'ils ont plié bagages... " 
         
           
            "
         Non, les élections c'est pas le bon moyen... Le
         bon moyen ce serait une révolution, pas comme 68, en
         pire... le système il va à sa destruction,
         faudra bien lui donner un coup de pouce ". 
         
           
           
                 
           
         LES SYNDICATS 
         
           
            "
         La grève de l'an passé, elle nous est quand
         même restée un peu en travers de la gorge.. Il
         y en a beaucoup qui pensent qu'on s'est fait avoir par les
         syndicats... Sur la sécurité c'est pas des
         primes qu'on voulait... On nous disait que la machine
         n'existait pas ; la meilleure preuve qu'elle existe c'est
         qu'ils sont en train de l'essayer au HF3... Dans ce sens on
         n'aura pas fait grève pour rien mais on ne monnaye
         pas sur la sécurité. " 
         
           
            "
         Ici, tu vois, on est à peu près tous
         syndiqué, c'est le seul moyen qu'on a de se
         défendre, mais c'est pas pour ça qu'on dit "
         amen " à tout ce que disent Séguy et
         Maire... " 
         
           
            "
         Dans beaucoup de luttes les syndicats ils sont
         dépassés... Ici, ils n'étaient pas
         très chauds non plus. Pourtant ça fait
         longtemps qu'ils étaient au courant pour le
         chômage : ils auraient dû préparer les
         gars. " 
         
           
            "
         En ce moment rien n'est fait pour animer la lutte,
         heureusement que les femmes, elles ont eu de l'initiative.
         Mars dans les meetings, par exemple il y a des gars qui
         voudraient parler... il va quand même pas sauter sur
         la tribune. Et puis la popularisation c'est pas ça
         non plus... " Son regard se tourne vers les parterres de
         tulipes, face aux bureaux. Depuis hier, l'idée
         d'aller vendre des tulipes de soutien fait son
         chemin. 
         
           
            La
         conclusion, c'est un aciériste qui la formulera : "
         Avec les feux continus on n'a jamais le temps de
         discuter, d'échanger nos idées... la
         grève, c'est la seule occasion qu'on a de
         discuter ".  
         
         
           
          
         
         
         
               " Le boom qui vient de
         s'achever a permis aux sidérurgistes à la fois
         de remplir leurs caisses, de réduire leur endettement
         et d'achever l'essentiel de leurs investissements ",
         pouvait-on lire dans  Expansion de janvier 75... Dans cette
         course aux profits, Usinor, chef de file des
         sidérurgistes français, n'est pas resté
         les bras croisés. Qu'on en Juge : 
         
           
            -
 Bénéfices nets en 1974 : 163 millions de F. 
         
           
            -
  Chiffre d'affaires  :  5,4 milliards  de  F.   (soit  une
         augmentation de 51% entre 1973 et 1974) 
         
               Ces résultats,
         c'est à une exploitation forcenée qu'il les
         doit : en 1950 il fallait 29 heures pour couler une tonne
         d'acier, 11 en 1971, 8 en 1974. 73 travailleurs ont
         payé de leur vie ces " records de productivité
         " ; le taux, de fréquence des accidents qui
         était de 3,8% en 1971 est aujourd'hui de 5,2%. Quant
         aux sa/aires, ils sont loin d'avoir suivi les profits
         puisque la masse salariale qui représentait 22,3% du
         chiffre d'affaires en 1972 n'en représente plus que
         16,3% en 1974. 
         
               Aujourd'hui cette
         expansion tant vantée est remise en cause : la crise
         de la sidérurgie n'épargne pas Usinor. Le
         Haut-Fourneau N° 4, le plus grand de France,
         éteint à la suite d'un incident n'est pas
         remis en marche, les commandes de février sont en
         baisse de 40% sur 1974... alors que le prix des
         matières premières, lui, ne cessait
         d'augmenter... En novembre 74, la Mauritanie nationalisait
         la Miferma qui fournissait 20% du minerai consommé
         par Usinor. 
         
               ... Les tôles minces
         destinées à l'automobile et à
         l'électro-ménager sont les plus
         touchées ainsi que les " ronds à béton
         " qui alimentent le bâtiment. Or la production
         d'Usinor était orientée à 80% vers ces
         produits fins destinés à la production de
         biens de consommation. Aussi aujourd'hui essaie-t-il de se
         reconvertir, de développer la production de
         tôles fortes destinées au secteur des biens
         d'Equipement (Centrales Nucléaires, plates-formes de
         forages pétroliers...) " Au Quarto, ça tourne
         au maximum... ", nous disait un aciériste. Seulement
         ce redéploiement se heurte à la
         rigidité de l'appareil de production. " Nous ne
         pouvons faire ni plus ni moins large, ni plus ni moins
         épais ", disent les patrons de la
         sidérurgie. Aussi Usinor entendait-il faire reposer
         sur les travailleurs ses difficultés actuelles et
         c'est le recours massif au chômage technique,
         l'arrêt de l'embauche, les mutations... Autant de
         mesures contre lesquelles les travailleurs luttent
         aujourd'hui.
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