FRONT ROUGE organe central du PCR (m.l) n°130 du 31 octobre 1974

Il y a 20 ans, le 1er novembre 1954 éclatait
LA LUTTE DE LIBERATION NATIONALE DU PEUPLE ALGERIEN

Dossier de Monique CHERAN et Grégoire CARRAT

l'essor de la révolution

Depuis le début de l'agression coloniale de l'Algérie par les troupes françaises en 1830, le peuple algérien n'a jamais cessé de lutter contre l'oppression coloniale, contre l'armée d'occupation et les milliers de colons. Plus de 200.000 morts, tel est le prix qu'a payé le colonialisme français sous les coups du peuple algérien qui, bien avant 54, luttait déjà contre l'exploitation féroce et la répression. La volonté du peuple algérien de combattre pour son indépendance nationale s'est scellée dans le sang des massacres comme celui de Sétif, le 8 mai 1945. Ce jour-là, plus de 50.000 paysans, ouvriers et artisans manifestaient pour l'application des promesses de l'impérialisme français qui avait utilisé le peuple algérien comme chair à canon pendant la guerre. Ils réclamaient plus de justice et de démocratie. La répression est sanglante: pendant toute une semaine, l'armée coloniale et les bandes de colons armés massacrent plus de 45.000 Algériens.
Les massacres de Sétif ont prouvé une fois de plus la nature du colonialisme, et permis à de nombreux militants de voir que seule la lutte armée pourrait arracher l'Indépendance. C'était aussi la leçon qu'ils tiraient des combats héroïques du peuple vietnamien contre le même ennemi, de sa victoire de Dien Bien Phu. C'était la seule voie juste pour tous les peuples opprimés par l'impérialisme français.

le déclenchement de l'insurrection armée

Le 1er novembre 1954, à une heure du matin, les attaques armées sont déclenchées en 310 points du territoire algérien: Alger, Oran, Constantinois, Biskra, Batna, Tlemcen... Des casernes, des édifices coloniaux, des voies ferrées, des dépôts d'armes sautent. Une proclamation annonce la création du Front de Libération Nationale et de l'Armée de Libération Nationale. Les maquisards du 1er novembre sont encore peu nombreux, mal équipés. Mais le succès des attaques de guerilla, surtout dans les Aurès et la Kabylie, la persévérance des combattants dans la voie de la lutte armée, amèneront à l'A.L.N. des milliers de patriotes algériens, qui battront finalement à plate couture l'armée coloniale française.
La masse du peuple algérien répond à l'appel du F.L.N. La classe des paysans pauvres, les fellagha, classe la plus nombreuse, rejoindra massivement l'armée: le 25 août 1955, des dizaines de milliers de paysans, armés de pelles, de faux et de serpes marchent sur Philippeville. Le mouvement touche tout le nord-Constantinois. Soustelle, gouverneur général de l'Algérie, dirige la répression sur place, arme les colons. Dans cette seule région, en moins d'une semaine, 12.000Algériens seront assassinés ou portés disparus.
La population des villes entre aussi dans la lutte massivement. Le 1er anniversaire de l'insurrection est marqué par une grève générale largement suivie, et le 1er novembre 56, la grève générale a encore plus d'ampleur. La Kasbah d'Alger, dont la population est faite surtout de chômeurs de petits artisans et commerçants, s'est rapidement transformée en base du F.L.N., qui y délivre les papiers officiels pour les mariages ou les naissances. Le F.L.N. y crée une organisation militaire d'autodéfense pour mettre la population à l'abri des attentats fascistes. Chaque homme assure son tour de garde sur les terrasses des immeubles après le couvre-feu de 20h. Ce sont ces liens vivants avec le peuple algérien, tant à la Kasbah d'Alger qu'à la campagne, qui ont permis au F.L.N. d'échapper longtemps aux quadrillages de l'armée coloniale et de reconstituer très vite ses réseaux après chaque démantèlement.
Les notables algériens, qui, jusqu'en 55, collaboraient ouvertement avec les autorités coloniales en participant aux conseils municipaux, au Parlement et à l'Assemblée Algérienne, sont contraints par la pression de la lutte des masses à démissionner de toutes leurs fonctions et amenés à rejoindre en bloc le F.L.N.

Le Congrès de la Soummam, en août 1956, consacre l'unité nationale du peuple algérien rassemblé dans le F.L.N. Cette unité nationale s'est forgé progressivement, dans la lutte. Mais dès cette époque, la classe ouvrière algérienne n'a pu exercer sa direction, car elle n'avait pas de parti communiste. Le seul parti qui s'affublait du titre de parti marxiste-léniniste, c'était le P"C"A, officine locale du P"C"F qui avait pris ouvertement fait et cause pour l'impérialisme français, défendant depuis le début toutes les solutions de type néo-colonial, qui avait ouvertement condamné l'insurrection du 1er novembre 1954 et les "nationalistes". Ce parti a servi de repoussoir au communisme, il n'a fait que dégoûter de nombreux militants du marxisme-léninisme. En France, les travailleurs algériens immigrés voyaient chaque jour la trahison du P"C"F, le sabotage du soutien qu'il organisait consciemment. Le chauvinisme du P"C"F et la ligne de collaboration du P"C"A sont grandement responsables de l'absence d'un parti véritablement marxiste-léniniste qui aurait empêché les couches non prolétariennes d'usurper la direction du Front. Les militant du P"C"A qui voudront mener réellement la lutte seront amenés à quitter le P"C"A, comme Fernand Yveton, fusillé plus tard sur l'ordre du "socialiste" Mitterrand. Non content de collaborer, le P"C"A fournira un contingent important de membres de l'OAS. Les travailleurs algériens tourneront aussi le dos à la CGT qui n'organisera plus que des pieds noirs, et s'organiseront massivement dans l'UGTA, syndicat clandestin. C'est l'UGTA qui mènera les luttes des mineurs et des dockers. En France, rejetant les " mises en garde" des révisionnistes, les ouvriers algériens s'organiseront dans le F.L.N., organiseront des manifestations contre la terreur policière et pour l' indépendance, s'acquitteront régulièrement de leurs cotisations, entreront dans les rangs de l'Armée de Libération Nationale. Ils organiseront au coeur même de la métropole impérialiste des opérations de sabotage comme à Maurepiane, où des réserves de pétrole seront incendiées.

la défaite de l'impérialisme français

L'échec de la pacification En 1956, face au développement de la lutte armée, Guy Mollet, "socialiste", demande les pleins pouvoirs. Les députés révisionnistes du P"C"F lui accordent leurs voix, et Guy Mollet obtient carte blanche pour envoyer 600.000 hommes en Algérie à la disposition du gouverneur "socialiste" Lacoste et du tortionnaire Massu.
L'objectif, c'est de briser le moral du peuple algérien afin d'isoler le F.L.N. et de le détruire. L'impérialisme français inaugure les méthodes des yankees au Vietnam: villages détruits, hommes fusillés, populations parquées dans des camps de concentration, bombardement au napalm dans les Aurès... A Alger, Massu et ses acolytes ont recours à la torture systématique. Mais cette répression barbare obtient le résultat inverse du but poursuivi. La haine de l'occupant ne fait que renforcer la détermination du peuple algérien, la lutte armée prend encore plus d'ampleur et en 58, l'A.L.N. rassemble 130.000 hommes en Algérie. Ces combattants, connaissant parfaitement le terrain et se déplaçant sans cesse, attaquent l'ennemi à l'improviste: à la bataille de Bouze Gzeb, trois compagnies de l'A.L.N. anéantissent complètement une forte unité de légionnaires, à seulement 50 km d'Alger. En juin 1959, l'A.L.N. qui utilise l'artillerie pour la première fois, occupe la région d'Annaba (anc. Bône).

-l'échec des manoeuvres

Dans cette situation catastrophique pour l'armée impérialiste française, de Gaulle est amené au pouvoir par le coup d'Etat du 13 mai 58. Le but est toujours de trouver la solution la moins dommageable aux intérêts de l'impérialisme français, et de Gaulle pourrait être le personnage capable de sortir "la France" de cette mauvaise posture. Malgré la propagande bourgeoise qui tente de faire croire que de Gaulle après "la liquidation de l'A.L.N. par l'armée coloniale aurait octroyé l'indépendance", dans un accès de générosité. En fait, quand il arrive au pouvoir, de Gaulle continue à clamer "vive l'Algérie française" (discours du 7 juin 58 à Mostaganem) après avoir déclaré trois jours avant à Alger: "Je déclare qu'à partir d'aujourd'hui, la France considère que dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants. Il n'y a que des Français à part entière. Des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs". Il n'est donc pas question d'indépendance, mais de poursuivre la tentative de "pacification" avec, fait nouveau, l'utilisation massive de l'aviation. C'est le plan "Challe".
L'échec de cette dernière tentative l'amène à une première modification de tactique: il reconnaît le droit à l'autodétermination du peuple algérien en septembre 59, et accepte de négocier avec le F.L.N. en juin 1960. Il n'est toujours pas question d'indépendance, mais d'une vague autonomie préservant l'intégralité de la possession française sur les richesses de l'Algérie. Cette manoeuvre suscite la riposte immédiate de dizaines de milliers d'Algériens qui, à l'appel du F.L.N., réclament l'ouverture de véritables négociations avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne et arborent sans crainte le drapeau national. Les paras, une fois de plus, tirent sur la foule.
Après l'échec de cette manoeuvre, de Gaulle tente une autre solution au début de 1961, la "partition" de l'Algérie, laissant à la France le Sahara et donc le pétrole, les villes et les plaines de la Mitidja, très fertile. Les Algériens devaient se contenter de plateaux arides. Nouvelle riposte foudroyante du F.L.N. : le 5 juillet 61, journée nationale de manifestations à son appel, massivement suivie en Algérie. En France, des dizaines de milliers d'Algériens manifestent le 17 octobre à Paris, malgré la féroce répression: plus de 25.000 arrestations, des centaines de tués jetés à la Seine. C'est quand l'indépendance de l'Algérie devient l'issue inévitable de la guerre, que l'OAS, dont un grand nombre de membres étaient d'anciens, gaullistes comme Soustelle, entre en contradiction violente avec le gouvernement français, car ils ne sont pas résignés à abandonner les avantages énormes de la colonisation. Les attentats odieux auxquels ils se livrent soulèvent la colère des peuples algériens et français.
Cette fois, la défaite est consommée, l'impérialisme français doit accepter un compromis qui accorde l'indépendance: les accords d'Evian sont signés en mars 62. L'Algérie proclame son indépendance le 5 juillet 1962.

TÉMOIGNAGE D'UN ANCIEN MILITANT DU P"C"F

COMMENT LE P"C"F A-T -I L EXPLIQUE LE VOTE DES POUVOIRS SPÉCIAUX ?
En 56, il y a eu la "grande victoire électorale". La gauche avait déjà plus de 11 millions de voix. Le P"C"F en avait plus de 5 millions 600.000. En Algérie, après le soulèvement des Aurès, la lutte armée prenait une très grande ampleur. Guy Mollet demandait les pouvoirs spéciaux qui entraînaient l'envoi du contingent en Algérie. La position du P"C"F c'était qu'il fallait un gouvernement de "gauche" et qu'on ne pouvait le faire qu'avec les socialistes; puisque Mollet demandait les pouvoirs spéciaux on devait les voter, sinon ce serait rompre le Front Républicain, l'alliance avec les socialistes et faire le jeu de la droite, en causant un renversement du gouvernement Mollet, ce qui annulerait la victoire électorale, en permettant le retour d'un gouvernement de droite. Si on ne votait pas les pouvoirs spéciaux, le contingent partirait quand même, et le Front Républicain serait rompu. C'est pourquoi le P"C"F a permis d'envoyer le contingent en Algérie alors qu'il s'y était toujours fermement opposé pour l'Indochine.

QUELLE RÉACTION A SUSCITÉ CETTE POSITION ? Le comité de section a été chaud. Il a failli y avoir de la bagarre. Les JC disaient: "c'est ce que vous faites de notre peau". Le secrétaire fédérale a dit: "écoutez camarades, 500.000 hommes en Algérie en comparaison de l'alliance avec les socialistes, ce n'est pas l'essentiel".

QUELLE ETAIT L'ACTIVITÉ DU PARTI CONTRE LA GUERRE D'ALGÉRIE ?
On en discutait un peu à chaque réunion. Les directives, c'était de faire signer les motions du mouvement de la paix, et une manifestation pour la paix de temps en temps.

AUCUNE AUTRE ACTIVITÉ CONTRE L'ENVOI DES TROUPES, CONTRE LE QUADRILLAGE EN ALGÉRIE ?
Ecoute, lorsque je suis arrivé à Paris en 1959, dans une cellule, il y avait un jeune qui venait d'Algérie.
Il critique le parti "lorsque j'étais en Algérie, j'ai demandé en vain des directives de travail dans l'armée. On a systématiquement refusé de me renseigner". Les camarades ont répondu "Faire du travail dans l'armée, ça ne sert à rien. Ce serait une provocation, De Gaulle est prêt à nous réprimer, il en profiterait". L'essentiel était de lutter pour la "paix en Algérie" et l'autodétermination.
Pire en 1960, j'étais dans le 15e. Cinq jeunes avaient refusé de partir en Algérie. Plusieurs camarades les avaient approuvés. Mais le secrétaire de la section du 15e Javel leur a dit: "Il faut qu'ils aillent en Algérie, pour faire leur devoir de communiste". C'était quoi ? quand on savait que le parti n'avait pas d'activité dans l'armé.

QUEL ETAIT LE SOUTIEN APPORTE AU FNL ?
Aucun, sauf à titre individuel de la part de militants. Le P"C"F n'a jamais soutenu le FNL. Il demandait la paix et l'autodétermination. Tout en critiquant la politique gaulliste, il l'appuyait: pas de travail dans l'armée, refus de réclamer l'indépendance. En 1960, le FNL a fait une série d'attaques en France contre la police, l'armée. Il avait recommandé de ne pas toucher la population et la population n'a pas été touchée. Dans une cellule la plupart condamnèrent: "c'est de l'aventurisme". Une camarade, jeune algérienne, s'est révoltée "Alors le peuple algérien a tort". Ils répondirent "Non, on ne dit pas ça, mais il ne doit pas faire la guerre en France".
La majorité des camarades pensaient d'après la ligne du parti que le FNL n'avait qu'à se battre chez lui, qu'un soulèvement était une mauvaise chose car les fils étaient dans l'armée coloniale, et risquaient de se faire tuer. Que les Algériens se fassent tuer, ce n'était pas gênant. Cette attitude n'avait rien de communiste !

POURTANT IL Y A EU LA MANIFESTATION DE CHARONNE ?
Oui à Charonne il y a eu 5 morts. Mais le P"C"F a fait une véritable mystification, en prétendant que c'était pas les flics qui avaient matraqué que c'était des fascistes déguisés en flics: c'est les CRS qui ont fait ça. La manifestation a été matraquée parce qu'on n'avait pas pris de dispositions nécessaires. C'était juste de faire une manifestation de masse contre l'OAS qui, avait fait plus de 20 plasticages. Mais organiser une manifestation pacifique ne pouvait se faire en cette période (en plein dans la fin de la guerre d'Algérie, quand de Gaulle était décidé à réprimer) que si on s'organisait pour les risques d'affrontement. En refusant par pacifisme d'envisager ces mesures, le P"C"F a envoyé les manifestants à la boucherie.

A QUELLE PRISE DE CONSCIENCE A CONDUIT LA TRAHISON DU PEUPLE ALGERIEN PAR LE P"C"F ?
J'ai pris conscience à cette époque de la trahison du parti. J'ai rendu ma carte en 1961, un peu avant la manifestation du 17 Octobre. D'autres camarades ont compris que lutter à l'intérieur de ce parti n'était plus possible, que ce n'était plus un parti communiste. Ils relevaient peu de temps après le drapeau du marxisme-léninisme en jetant les bases de la construction d'un nouveau Parti Communiste: c'est à cette époque il y a 10 ans, que sont réapparues les premières forces marxistes-léninistes dans notre pays.

 

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