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L'HUMANITÉ ROUGE n°872- Jeudi 20 avril 1978
Quotidien des communistes marxistes-léninistes de France-

page 7 - rubrique : Dossier

l Kampuchea démocratique

Trois ans après, une société
socialiste en marche

Interview du camarade Pol Pot (3) 

        Après avoir expliqué que l'évacuation de la population des villes vers la campagne avait été le seul moyen d'assurer son ravitaillement en vivres grâce à l'organisation des coopératives agricoles et avait permis en même temps de mettre en échec le plan des impérialistes américains de créer des difficultés à Phnom Penh dans l'espoir de reprendre le pouvoir, Pol Pot répond sur les autres points.

    - Q : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez aboli le rôle de la monnaie, le réseau de commerce ? Serait-ce une orientation de passage dans la transformation sociale et révolutionnaire de votre société ou un modèle de société sur lequel vous allez insister à long terme ?

R : En ce qui concerne le rôle de la monnaie, le système des salaires et le commerce, je voudrais vous dire ceci :
    En 1970-1971, nous avions déjà libéré 75 à 80% de notre pays. A ce moment-là, nous avions le pouvoir politique et le pouvoir militaire, mais nous n'avions pas le pouvoir économique : l'économie était entre les mains des propriétaires fonciers et des capitalistes. Aussi, ces derniers amassaient toute la production parce qu'ils avaient de l'argent (...)
    Quant à nous, nous n'avions rien. La population avait beaucoup de difficultés sur le plan des vivres. Notre armée également. Ces difficultés se répercutaient sur la guerre de Libération nationale. Après avoir bien étudié cette situation, nous avons décidé de créer des coopératives afin qu'elles tiennent en main l'économie, la production agricole à la campagne, s'occupent de la gestion, de la distribution, du ravitaillement et des échanges, d'une part entre coopératives, et d'autre part entre les coopératives et l'État. C'est ainsi que nous avons pu tenir en main la production agricole, résoudre les problèmes des conditions de vie du peuple. Le peuple en a été enthousiasmé et a envoyé ses enfants dans l'armée pour combattre l'ennemi. Lorsque les coopératives se sont entraidées et ont développé entre elles les échanges de produits, le rôle de la monnaie a progressivement diminué. En 1974, il a diminué de 80%. Avant la Libération, seul l'État utilisait la monnaie. Il l'utilisait pour acheter divers produits dans la zone non encore libérée pour les besoins de la zone libérée placée sous son contrôle. Après ces expériences, nous avons consulté le peuple qui a estimé que la monnaie n'a aucune utilité parce que les coopératives ont déjà pu procéder à des échanges entre elles sans y avoir recours. Ainsi, à ce moment-là, dans la zone libérée qui s'étendait sur plus de 90 % du pays avec près de six millions d'habitants, nous avions déjà résolu ce problème. Lorsque la population des villes a été transférée à la campagne, elle a été prise entièrement en charge par les coopératives. Cette pratique nous a conduits à ne pas faire usage de la monnaie jusqu'à présent. Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Cela dépend du peuple. Si le peuple estime qu'il faut utiliser à nouveau la monnaie, nous l'utiliserons. Mais s'il pense que cela n'est pas nécessaire, il décidera en conséquence (...).

LE SYSTEME DES SALAIRES

    En ce qui concerne le système des salaires, il y a aussi des habitudes acquises dans le passé, dans le mouvement révolutionnaire, surtout pendant la guerre de Libération nationale, que ce soit pour les cadres ou dans l'armée, il n'y avait pas de salaire. Quant aux habitants, ils n'avaient pas non plus de salaire. Avant la Libération, dans la zone libérée, les cadres, l'armée, la population, soit près de six millions de personnes, se sont déjà habitués à vivre sans salaire. Nous avons remarqué que, auparavant, la majorité de notre peuple n'avait pas de salaire. Seuls les fonctionnaires avaient des salaires. Ainsi, avec ces habitudes acquises, la population des villes s'est incorporée dans les coopérative. Les cadres civils, les cadres, combattants et combattantes de l'armée et les ouvriers ont continué à vivre suivant le régime de ravitaillement en vigueur pendant la guerre. Nous estimons que cela évite qu'un lourd fardeau ne pèse sur le peuple et permet de réserver l'argent principalement pour la défense et l'édification nationales. Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Cela dépend de la situation concrète et du peuple.


Malgré les difficultés, on assiste à un développement industriel.

 

LE RÉSEAU DE COMMERCE

    En ce qui concerne le réseau de commerce, l'Etat et les coopératives coopèrent pour l'organiser. L'État rassemble les productions dès coopératives pour les distribuer dans tout le pays ou les exporter à l'étranger. L'État importe des produits de l'étranger pour les distribuer dans tout le pays.

    - Q : Si nous avons bien compris, le Kampuchea démocratique a des problèmes et des difficultés de tous genres avec les pays voisins. Que pensez-vous, comment pouvez-vous résoudre ces problèmes et surmonter les difficultés actuelles ?

    R : (...) La principale difficulté provient du fait que nous nous en tenons à la position d'indépendance, de souveraineté, de compter sur ses propres forces, de décider soi-même de sa propre destinée. Cette position contrarie certains pays, les expansionnistes et les impérialistes. Mais nous estimons qu'en nous en tenant à cette position d'indépendance, de souveraineté, de compter sur ses propres forces, nos difficultés sont bien moins graves que celles que nous rencontrerions si la nation et le peuple du Kampuchea étaient subjugués ou disparaissaient...
    (...) Comment résoudre ces difficultés ? Ce problème dépend des facteurs qui relèvent à la fois de notre côté et du côté adverse. Successivement, nous avons cherché à résoudre ce problème par des rencontres et des négociations. Tout de suite après la Libération, au mois de juin 1975, moi-méme et d'autres camarades dirigeants, nous avons été à Hanoï. Nous avons décidé d'y aller et avons manifesté notre bonne volonté dans la recherche d'une solution aux problèmes, mais il y en a un, celui des frontières, que nous devions discuter. Nous avons dit que le Kampuchea ne demande qu'à vivre en paix, et, qu'afin de préserver, développer et renforcer l'amitié entre les deux pays et les deux peuples, il considère les frontières actuelles que le Vietnam a solennellement reconnues en 1966-1967 et s'est engagé à respecter, comme frontières d'État entre les deux pays.
    Nous n'avons pas non plus réclamé un pouce de territoire. Les Vietnamiens ont dédaigné de nous répondre parce qu'ils nourrissaient des ambitions plus grandes : s'emparer du Kampuchea tout entier sous la forme de " Fédération indochinoise " en envoyant, chaque année, plusieurs centaines de milliers et des millions de Vietnamiens s'y installer. Au bout de trente ans et plus, le peuple du Kampuchea deviendrait une minorité nationale. Ceci est très clair.
    Au mois de mai 1976, nous avons invité les Vietnamiens à venir négocier à Phnom Penh. Au début, ils ne voulaient pas venir. Quand ils sont arrivés, ils nous ont dit qu'ils sont venus parce que nous avons insisté. Au cours des négociations, le Vietnam a rejeté les frontières qu'il a reconnues en 1966-1967 et qu'il s'est engagé à respecter. Il nous a dit qu'en 1966, il était d'accord avec le Kampuchea parce qu'en ce temps-là, il avait à combattre les impérialistes américains. Ainsi, c'est une duperie.
    Bien plus, il a proposé un nouveau tracé de frontières amputant une grande partie de nos eaux maritimes. Pour nous, c'est de l'expansionnisme et de l'annexionnisme. Ce n'est pas de l'amitié. Parce que nous sommes petits, il exerce des pressions sur nous. Mais nous n'avons pas accepté. Aussi, les négociations n'ont-elles pas abouti à aucun résultat.

    Parallèlement à ces négociations, les Vietnamiens continuaient à nous attaquer le long de la frontière pour nous contraindre à nous soumettre. Mais nous n'avons pas cédé.

Après avoir durement lutté contre les impérialistes et leurs valets, nous ne pouvons pas accepter d'être esclaves du Vietnam. Notre peuple, ni notre armée, ne peuvent accepter cela.
    Maintenant, comment résoudre ce problème ? Nous le résoudrons suivant la situation concrète. Si le Vietnam respecte réellement notre indépendance et notre souveraineté, s'il nourrit une véritable amitié pour nous, il n'y aura pas de difficultés à résoudre le problème. On pourra le faire tout de suite. Mais si le Vietnam persiste à vouloir s'emparer du Kampuchea, nous devons défendre notre indépendance, notre souveraineté et notre intégrité territoriale. Nous estimons que nos difficultés évolueront et pourront être résolues progressivement.

    - Q : Dans le monde, on écrit beaucoup, avec ou sans raison, que votre pays est très fermé. Auriez-vous l'intention de vous ouvrir davantage vers le monde entier, sur quels principes et dans quel sens ?

    R : Depuis la Libération, nous avons reçu des amis au fur et à mesure. Après la Libération, nous avions beaucoup de problèmes à résoudre, nous avions à organiser le pays, à résoudre les problèmes posés par les conditions de vie du peuple, c'est-à-dire, nous avions à aménager notre pays, notre demeure. Nous sommes convaincus, qu'à l'avenir, des amis viendront encore plus nombreux.

    (...) Nous ouvrons notre pays aux amis. Nous inviterons et accueillerons de plus en plus d'amis dans notre demeure, dans notre pays et nous développerons et renforcerons notre amitié avec tous les peuples et pays amis.

    Quant aux personnalités et diverses organisations qui ont manifesté leur amitié et leur esprit de justice envers le Kampuchea, nous les avons invitées à visiter notre pays et nous en inviterons encore d'autres. Nous sommes convaincus que des amis de plus en plus nombreux viendront visiter notre pays. Mais nous devons également aménager et embellir notre demeure pour recevoir nos invités.

 

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