l Kampuchea démocratique
Trois ans après, une
société
socialiste en marche
Interview du
camarade Pol Pot (3)
Après avoir expliqué que
l'évacuation de la population des villes vers la
campagne avait été le seul moyen d'assurer son
ravitaillement en vivres grâce à l'organisation
des coopératives agricoles et avait permis en
même temps de mettre en échec le plan des
impérialistes américains de créer des
difficultés à Phnom Penh dans l'espoir de
reprendre le pouvoir, Pol Pot répond sur les autres
points.
- Q : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi
vous avez aboli le rôle de la monnaie, le
réseau de commerce ? Serait-ce une orientation de
passage dans la transformation sociale et
révolutionnaire de votre société ou un
modèle de société sur lequel vous allez
insister à long terme ?
R : En ce qui concerne le rôle de la monnaie, le
système des salaires et le commerce, je voudrais vous
dire ceci :
En 1970-1971, nous avions
déjà libéré 75 à 80% de
notre pays. A ce moment-là, nous avions le pouvoir
politique et le pouvoir militaire, mais nous n'avions pas le
pouvoir économique : l'économie était
entre les mains des propriétaires fonciers et des
capitalistes. Aussi, ces derniers amassaient toute la
production parce qu'ils avaient de l'argent (...)
Quant à nous, nous n'avions
rien. La population avait beaucoup de difficultés sur
le plan des vivres. Notre armée également. Ces
difficultés se répercutaient sur la guerre de
Libération nationale. Après avoir bien
étudié cette situation, nous avons
décidé de créer des coopératives
afin qu'elles tiennent en main l'économie, la
production agricole à la campagne, s'occupent de la
gestion, de la distribution, du ravitaillement et des
échanges, d'une part entre coopératives, et
d'autre part entre les coopératives et l'État.
C'est ainsi que nous avons pu tenir en main la production
agricole, résoudre les problèmes des
conditions de vie du peuple. Le peuple en a
été enthousiasmé et a envoyé ses
enfants dans l'armée pour combattre l'ennemi. Lorsque
les coopératives se sont entraidées et ont
développé entre elles les échanges de
produits, le rôle de la monnaie a progressivement
diminué. En 1974, il a diminué de 80%. Avant
la Libération, seul l'État utilisait la
monnaie. Il l'utilisait pour acheter divers produits dans la
zone non encore libérée pour les besoins de la
zone libérée placée sous son
contrôle. Après ces expériences, nous
avons consulté le peuple qui a estimé que la
monnaie n'a aucune utilité parce que les
coopératives ont déjà pu
procéder à des échanges entre elles
sans y avoir recours. Ainsi, à ce moment-là,
dans la zone libérée qui s'étendait sur
plus de 90 % du pays avec près de six millions
d'habitants, nous avions déjà résolu ce
problème. Lorsque la population des villes a
été transférée à la
campagne, elle a été prise entièrement
en charge par les coopératives. Cette pratique nous a
conduits à ne pas faire usage de la monnaie
jusqu'à présent. Qu'en sera-t-il à
l'avenir ? Cela dépend du peuple. Si le peuple estime
qu'il faut utiliser à nouveau la monnaie, nous
l'utiliserons. Mais s'il pense que cela n'est pas
nécessaire, il décidera en conséquence
(...).
LE SYSTEME DES SALAIRES
En ce qui concerne le système des
salaires, il y a aussi des habitudes acquises dans le
passé, dans le mouvement révolutionnaire,
surtout pendant la guerre de Libération nationale,
que ce soit pour les cadres ou dans l'armée, il n'y
avait pas de salaire. Quant aux habitants, ils n'avaient pas
non plus de salaire. Avant la Libération, dans la
zone libérée, les cadres, l'armée, la
population, soit près de six millions de personnes,
se sont déjà habitués à vivre
sans salaire. Nous avons remarqué que, auparavant, la
majorité de notre peuple n'avait pas de salaire.
Seuls les fonctionnaires avaient des salaires. Ainsi, avec
ces habitudes acquises, la population des villes s'est
incorporée dans les coopérative. Les cadres
civils, les cadres, combattants et combattantes de
l'armée et les ouvriers ont continué à
vivre suivant le régime de ravitaillement en vigueur
pendant la guerre. Nous estimons que cela évite qu'un
lourd fardeau ne pèse sur le peuple et permet de
réserver l'argent principalement pour la
défense et l'édification nationales. Qu'en
sera-t-il à l'avenir ? Cela dépend de la
situation concrète et du peuple.

Malgré les difficultés, on assiste
à un développement industriel.
LE RÉSEAU DE COMMERCE
En ce qui concerne le réseau de
commerce, l'Etat et les coopératives coopèrent
pour l'organiser. L'État rassemble les productions
dès coopératives pour les distribuer dans tout
le pays ou les exporter à l'étranger.
L'État importe des produits de l'étranger pour
les distribuer dans tout le pays.
- Q : Si nous avons bien compris, le
Kampuchea démocratique a des problèmes et des
difficultés de tous genres avec les pays voisins. Que
pensez-vous, comment pouvez-vous résoudre ces
problèmes et surmonter les difficultés
actuelles ?
R : (...) La principale difficulté
provient du fait que nous nous en tenons à la
position d'indépendance, de souveraineté, de
compter sur ses propres forces, de décider
soi-même de sa propre destinée. Cette position
contrarie certains pays, les expansionnistes et les
impérialistes. Mais nous estimons qu'en nous en
tenant à cette position d'indépendance, de
souveraineté, de compter sur ses propres forces, nos
difficultés sont bien moins graves que celles que
nous rencontrerions si la nation et le peuple du Kampuchea
étaient subjugués ou
disparaissaient...
(...) Comment résoudre ces
difficultés ? Ce problème dépend des
facteurs qui relèvent à la fois de notre
côté et du côté adverse.
Successivement, nous avons cherché à
résoudre ce problème par des rencontres et des
négociations. Tout de suite après la
Libération, au mois de juin 1975, moi-méme et
d'autres camarades dirigeants, nous avons été
à Hanoï. Nous avons décidé d'y
aller et avons manifesté notre bonne volonté
dans la recherche d'une solution aux problèmes, mais
il y en a un, celui des frontières, que nous devions
discuter. Nous avons dit que le Kampuchea ne demande
qu'à vivre en paix, et, qu'afin de préserver,
développer et renforcer l'amitié entre les
deux pays et les deux peuples, il considère les
frontières actuelles que le Vietnam a solennellement
reconnues en 1966-1967 et s'est engagé à
respecter, comme frontières d'État entre les
deux pays.
Nous n'avons pas non plus
réclamé un pouce de territoire. Les
Vietnamiens ont dédaigné de nous
répondre parce qu'ils nourrissaient des ambitions
plus grandes : s'emparer du Kampuchea tout entier sous la
forme de " Fédération indochinoise " en
envoyant, chaque année, plusieurs centaines de
milliers et des millions de Vietnamiens s'y installer. Au
bout de trente ans et plus, le peuple du Kampuchea
deviendrait une minorité nationale. Ceci est
très clair.
Au mois de mai 1976, nous avons
invité les Vietnamiens à venir négocier
à Phnom Penh. Au début, ils ne voulaient pas
venir. Quand ils sont arrivés, ils nous ont dit
qu'ils sont venus parce que nous avons insisté. Au
cours des négociations, le Vietnam a rejeté
les frontières qu'il a reconnues en 1966-1967 et
qu'il s'est engagé à respecter. Il nous a dit
qu'en 1966, il était d'accord avec le Kampuchea parce
qu'en ce temps-là, il avait à combattre les
impérialistes américains. Ainsi, c'est une
duperie.
Bien plus, il a proposé un
nouveau tracé de frontières amputant une
grande partie de nos eaux maritimes. Pour nous, c'est de
l'expansionnisme et de l'annexionnisme. Ce n'est pas de
l'amitié. Parce que nous sommes petits, il exerce des
pressions sur nous. Mais nous n'avons pas accepté.
Aussi, les négociations n'ont-elles pas abouti
à aucun résultat.
Parallèlement à ces
négociations, les Vietnamiens continuaient à
nous attaquer le long de la frontière pour nous
contraindre à nous soumettre. Mais nous n'avons pas
cédé.
Après avoir durement lutté contre les
impérialistes et leurs valets, nous ne pouvons pas
accepter d'être esclaves du Vietnam. Notre peuple, ni
notre armée, ne peuvent accepter cela.
Maintenant, comment résoudre
ce problème ? Nous le résoudrons suivant la
situation concrète. Si le Vietnam respecte
réellement notre indépendance et notre
souveraineté, s'il nourrit une véritable
amitié pour nous, il n'y aura pas de
difficultés à résoudre le
problème. On pourra le faire tout de suite. Mais si
le Vietnam persiste à vouloir s'emparer du Kampuchea,
nous devons défendre notre indépendance, notre
souveraineté et notre intégrité
territoriale. Nous estimons que nos difficultés
évolueront et pourront être résolues
progressivement.
- Q : Dans le monde, on écrit
beaucoup, avec ou sans raison, que votre pays est
très fermé. Auriez-vous l'intention de vous
ouvrir davantage vers le monde entier, sur quels principes
et dans quel sens ?
R : Depuis la Libération, nous avons
reçu des amis au fur et à mesure. Après
la Libération, nous avions beaucoup de
problèmes à résoudre, nous avions
à organiser le pays, à résoudre les
problèmes posés par les conditions de vie du
peuple, c'est-à-dire, nous avions à
aménager notre pays, notre demeure. Nous sommes
convaincus, qu'à l'avenir, des amis viendront encore
plus nombreux.
(...) Nous ouvrons notre pays aux amis.
Nous inviterons et accueillerons de plus en plus d'amis dans
notre demeure, dans notre pays et nous développerons
et renforcerons notre amitié avec tous les peuples et
pays amis.
Quant aux personnalités et diverses
organisations qui ont manifesté leur amitié et
leur esprit de justice envers le Kampuchea, nous les avons
invitées à visiter notre pays et nous en
inviterons encore d'autres. Nous sommes convaincus que des
amis de plus en plus nombreux viendront visiter notre pays.
Mais nous devons également aménager et
embellir notre demeure pour recevoir nos invités.
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