L'HUMANITÉ ROUGE n°951- Samedi 14 et Dimanche 15 octobre 1978
Organe central du Parti communiste marxiste-léniniste

page 8 -rubrique : Dossier

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 1 000km à travers le Kampuchea démocratique (Cambodge) (3)

 Phnom Penh trois ans après

    C'est le 17 avril 1975, à 9 h 30 le matin, que les Forces armées populaires de libération pénètrent dans l'état-major de Lon Nol, au cœur de la capitale. L'état-major de Lon Nol est resté intact, tel que les patriotes l'ont investi, sans coup de fusil, le 17 avril au matin. Nous sommes restés plusieurs heures à l'intérieur.

    Nous pénétrons dans un bunker en béton à toit plat. C'est le bunker de Sosthène Fernandez, chef des Forces armées fantoches. A son arrivée en France, après la victoire des patriotes, Sosthène Fernandez a fait le fier à bras et craché sur la résistance cambodgienne. La vérité, c'est qu'il s'est sauvé comme un lapin : le toit plat de son bunker était prévu pour l'hélicoptère de la fuite ; Sosthène Fernandez avait peur : il s'est fait spécialement construire cette forteresse !

    Tout est resté en l'état : les cartes militaires qui tapissent les murs désignant les forces patriotiques sous le nom " forces ennemies " ; les tableaux comparés des performances des pièces d'artillerie surestiment les capacités des patriotes : ceux-ci n'ont jamais reçu de grosses pièces de la part des Vietnamiens pendant la guerre et les ont récupérées sur l'ennemi américain.

    Un combattant qui a participé à l'offensive sur Phnom Penh et à la libération de la ville nous explique la tactique suivie : comment ils ont tenu le Mékong, clé du ravitaillement et donc de la libération de la ville, comment la base navale de Meak Luong a été encerclée par les patriotes, comment elle est tombée, comment ils ont fait diversion sur la rive-est du Mékong pour attaquer à l'ouest et au sud, comment les officiers subalternes et les soldats de Lon Nol ont hissé le drapeau blanc sur les casernes et les véhicules militaires... Le 1er avril, Lon Nol s'est enfui, le 12... ce sont les Américains... Il faut l'avouer, nous savourons un plaisir sans mélange de reconnaître là, au cœur de l'appareil de guerre et de destruction ennemi, la supériorité éclatante de la guerre du peuple. Le combattant " sorti des forêts " nous fait un cours de théorie militaire. Les agresseurs n'ont qu'à bien se tenir ; et encore aujourd'hui, ceux qui massent leurs divisions à la frontière du Kampuchea !


Dans le bunker un combattant explique à la délégation du PCML la tactique qui a permis la libération de Phnom Penh.


Le bunker de Sosthène Fernandez, chef des forces armées fantoches, du temps de Lon-nol.

    Incontestablement, la libération du Kampuchea, c'est une preuve manifeste de la toute-puissance de la guerre populaire, de la guerre d'un peuple uni, dirigé par une ligne politique et militaire juste, dirigé par un parti communiste. Dans l'état-major de Lon Nol, on comprend la hargne des officiels américains, des Mac Govern et autres aujourd'hui. Le Kampuchea libre de 1978, c'est une gifle retentissante pour eux, car ils ont mis le paquet. Au premier étage, il y a le War Room, centre de direction US de la guerre qui double point par point le bunker de Fernandez : mêmes cartes, mêmes chiffres. C'est même plus complet ici : le détail des unités des Forces armées fantoches est mis sur les fiches, les données de logistique, les forces aériennes sont précisées. C'est là que Fernandez venait rendre ses comptes et recevoir les ordres. Un peut mesurer aisément la débandade des derniers jours : sur les vastes tableaux, la situation de l'armée de l'air est arrêtée les 10/11 avril, celle de l'armée de terre les 14/15 avril.

    Nous pourrions entrer plus dans le détail de la tactique de la prise de Phnom Penh. Aujourd'hui, c'est une leçon de grande portée : la détermination farouche du peuple et des communistes du Kampuchea, leurs efforts extraordinaires pour apprendre à faire la guerre contre un ennemi puissamment armé et équipé, leur résolution de ne céder à aucune pression, de ne faire aucun compromis quand il s'agit de la liberté et de l'indépendance, ont payé. Après les accords de Paris de 1973, le peuple du Kampuchea a continué à se battre seul. Le sol cambodgien a été alors criblé de bombardements sans précédent ; le peuple et les communistes ont tenu bon. Et pourtant, les pressions n'ont pas manqué. Celle des B52, du sang, de la mort, mais aussi les pressions des prétendus " amis ". Les dirigeants du Vietnam ne croyaient pas aux capacités des communistes cambodgiens : " Vous ne pouvez pas libérer Phnom Penh, c'est au-dessus de vos forces ! ". Ils sont allés même jusqu'à faire une curieuse proposition : " Laissez-nous faire, nous viendrons avec nos chars de Saïgon, on mettra des chapeaux cambodgiens pour dire que vous avez libéré Phnom Penh ". Les résistants du Kampuchea n'ont jamais accepté un tel marché ; ils ont gagné seuls leur libération. La politique d'indépendance d'un peuple et d'un parti communiste est un bien très précieux ; l'expérience du Parti communiste du Kampuchea l'a prouvé une fois encore.

    Notre quotidien a déjà donné les raisons de cette évacuation de la capitale dans les jours qui ont suivi la Libération. Sur place, nous les avons mieux comprises. De fait, l'évacuation de la ville était une nécessité impérieuse pour la survie de la population, pour la survie de la révolution.
    Avant 1970, il y avait 600 000 habitants à Phnom Penh. En 1975, il y en a 3 millions. En avril près de 2,5 millions de personnes entassées dans des camps, dans les rues, dans les parcs, n'étaient pas des habitants de Phnom Penh ; c'étaient des paysans. Même avant la directive d'évacuation, beaucoup sont partis dés le 17 avril, spontanément pour retrouver leur province, leur village. Pourquoi une nécessité impérieuse de partir ? Il fallait manger : 5 jours de vivres d'avance dans la ville, le Mékong encombré d'épaves, les routes coupées : il était impossible de transporter les vivres stockées dans les zones libérées et la saison humide approchait... Il fallait préserver la population des manœuvres ennemies : bombardements et aussi subversion. Quand ils ont fouillé la ville vidée, les patriotes ont retrouvé des caches d'armes ; des réseaux étaient organisés pour créer des troubles. L'évacuation les a démantelés.
    L'évacuation s'est faite sans brutalité, sans violence, sans cris. Bien des journalistes - et encore Jean Lacouture à France Inter mercredi dernier - s'indignent sur " l'horreur sans précédent dans l'histoire de l'évacuation d'une ville comme Phnom Penh ". Mais se sont-ils véritablement renseignés, ont-ils écouté tous les témoins. Deux d'entre eux, Jérôme et Jocelyne Steinbach, coopérants français présents à Phnom Penh lors de sa libération, ont raconté la quinzaine de jours qu'ils ont vécus dans la capitale avant leurs retour en France. C'est un témoignage passionnant qui s'inscrit totalement en faux contre tous les mensonges diffusés en Occident. Leur livre intitulé " Phnom Penh libérée " a été publié au printemps 1976 aux Editions sociales ; il est presque introuvable aujourd'hui et nous sommes tentés d'ajouter : et pour cause ! Nous en publions ci-contre quelques extraits.

Camille Granot
Demain : à travers les campagnes

L'évacuation de Phnom Penh

Deux coopérants
français témoignent

    Bien sûr, la mise en route est rapide, on ne prend pas le temps de s'étendre sur toutes ces raisons, les explications viendront plus tard. S'il reste encore au bout d'une semaine des Phnompenhois qui s'enferment chez eux, alors seulement il faudra leur dire la nécessité de partir ; cette tâche reviendra aux militants de la résistance intérieure, qui connaissent bien la ville et ses habitants.
    Pour l'instant, en ce 18 avril, un groupe de maquisards passe devant la porte et dit : " II faut partir ". Si on ne l'écoute pas, on en voit passer un deuxième qui répète " il faut partir ", puis un troisième... et ainsi de suite toute la journée, toutes les heures, la même phrase. Jusqu'au jour où le quartier doit être totalement vide : alors, prêts ou pas, il faut partir tout de suite. Mais même à ce moment-là, pas une brutalité, pas une vexation. Dans les rues où marchent d'un côté les gens à pied ou ceux qui poussent un véhicule, où roulent de l'autre ceux qui ont encore de l'essence et de la place dans leur automobile, il est difficile de se frayer un chemin. Des jeeps, des camions chargés de maquisards suivent ou croisent lentement, sans bousculer personne, sans même klaxonner.
    Cela ne laisse pas de surprendre dans cette ville où régnaient en maîtres les militaires d'un temps révolu, qui imposaient leur passage tous phares allumés, klaxon bloqué, et même trop souvent à coup de rafales (de mitraillettes), lorsqu'ils n'entraient pas à toute volée dans la circulation, grillant délibérément les feux rouges.
    Cependant, tous ceux qui refusaient de quitter la ville, aux alentours du 23 avril, n'avaient peut-être pas les mêmes motifs. Quelques-uns craignaient simplement un départ dont ils ne connaissaient pas les raisons. Il fallait leur en expliquer la nécessité. Cette tâche fut confiée aux militants de la capitale : des groupes de propagande furent constitués, qui allaient trouver les derniers résidents de Phnom Penh.
    D'autres s'effrayaient du voyage, tels ces quatre vieillards que deux jeunes infirmiers de Terre des hommes ont vu partir. Ils se tenaient au fond de leur appartement bouclé. Des maquisards sont entrés et les ont trouvés :
    " Pourquoi restez-vous ici, alors que tout le monde est hors de Phnom Penh ?
    - Voyez, nous sommes des vieillards, nous marchons difficilement, nous ne saurons même pas faire un kilomètre à pied.
    - Prenez vos affaires, nous allons vous conduire en voiture ".
    De cette façon, tous quatre ont été emmenés en jeep à une quinzaine de kilomètres de chez eux, sur la route N°1 (celle de Saïgon). Il y a là deux pagodes au bord du Mékong. C'est en quelque sorte un centre de regroupement. Les citadins qui sont partis vers le sud de Phnom Penh y parviennent plus ou moins rapidement, chacun à son rythme. Ils se sont arrêtés en route pour manger et se reposer là où ils le désiraient (...)
    De notre côté, nous pourrons voir le gardien, ainsi que d'autres habitants khmers ou vietnamiens du bâtiment revenir chaque matin après leur départ, le 18, pour reprendre diverses choses oubliées, récupérer un vélo, demander des bougies.

(" Phnom Penh libérée " - pages 40-41-44-45)

 

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suite du reportage -partie 4- (HR 952)è

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