L'HUMANITÉ ROUGE n°952- Mardi 17 octobre 1978
Organe central du Parti communiste marxiste-léniniste

page 8 -rubrique : Dossier

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 1 000km à travers
le Kampuchea démocratique
(Cambodge) (4)

A travers
les campagnes du Kampuchea
   


Dans la campagne du Kampuchea une nouvelle maison. L'objectif pour 1978 est une maison neuve pour chaque famille. Celles-ci sont construites en bois et recouvertes de tuiles rouges.

    A notre retour, des amis ou des camarades qui ont vu ici le film " Kampuchea démocratique " nous ont souvent demandé : " Le Kampuchea, c'est aussi beau que dans le film ? ". Eh bien oui, le film n'est pas trompeur, les couleurs sont aussi lumineuses, la nature est aussi abondante, aussi généreuse qu'il y parait dans le film.

LES EMPREINTES DE LA GUERRE 

    Tellement généreuse même que l'oeil peu exercé y discerne mal les empreintes de la guerre. Et pourtant, elles sont partout obstinément présentes, véritable handicap pour la construction du pays.

    Bien sûr, il y a les routes cahoteuses, endommagées par les obus, les ponts détruits, remplacés par des ponts de bateaux, ou en reconstruction. Cela gêne encore les transports d'une coopérative à l'autre, ralentit les échanges. Pour nous, c'est un ennui tout à fait secondaire, largement compensé par un plaisir non dissimulé: nous voyageons dans l'ancienne " dodge " de l'ambassade américaine de Phnom Penh !
    II y a aussi les palmiers à sucre décapités par les obus, ou bien ceux touchés par les éclats de bombes que signalent les longues traces noires le long de leur tronc. Peu à peu, on reconnaît sous la végétation luxuriante les trous des bombes des B 52, les restes des maisons détruites.
Derrière les arbustes et les légumes grimpants, on distingue les pilotis des maisons abattues ou brûlées, les restes noircis d'un enclos.
Depuis trois années, les paysans du Kampuchea ont fourni un effort gigantesque pour remettre en état, nettoyer, réparer. Dans bien des zones, la végétation et le travail des hommes ont tout effacé. Autour des villes, par contre, dans les zones de combat, la guerre semble encore proche, au nord de Phnom Penh, la forêt a été terriblement touchée, noircie par les bombardements, à Siem Reap, il ne reste que quelques bâtiments au centre de la ville. Tous les abords le long des routes No 6 et No 7, ont été impitoyablement détruits par l'agression américaine : plus de maisons, plus d'écoles, des ruines, il a fallu recommencer à zéro !
    Tout au long du voyage, les camarades qui nous accompagnent évoquent l'âpreté des combats et les victoires durement conquises contre des agresseurs puissants et impitoyables. Nous passons en train à Romea, c'était un nœud stratégique pour la défense et le ravitaillement de Phnom Penh ; dès le coup d'Etat du 18 mars 1970, les patriotes ont coupé les voies ferrées : aussi les Américains et les Lonnoliens tenaient-ils à cette position. Il y a eu plusieurs batailles à Romea : peut-être certains amis du peuple cambodgien se souviennent-ils de ce nom ? Lon Nol a envoyé des paras en renforts, avant que la place ne tombe il y a eu un régiment ennemi entier protègé par les système de défense habituel : réseau de barbelés, minés et grenades piégées, levée de terre avec des nids de mitrailleuses. Là, comme ailleurs, les combattants ont fixé l'ennemi jusqu'à épuisement et ont libéré la place fin 1973 : ce fut l'une des premières localités libérées dans la province de Kompong Chang.
    Du train, nous apercevons la chaîne des Cardomones au Sud-ouest, où s'organisèrent les premières forces armées révolutionnaires avant 1970 ; l'un de nos accompagnateurs y a combattu. Dans la région de Kompong Thom, restent des traces de " l'opération Chenla II ". Qu'on se souvienne, ce fut la dernière tentative d'offensive lancée par Washington en 1972 ; " l'offensive " s'est enlisée lamentablement : on a conservé deux véhicules blindés de l'armée de Lon Nol, comme " témoins " ; il a fallu en expliquer les raisons aux paysans de la région qui voulaient tout nettoyer !

UN VISAGE NOUVEAU DES CAMPAGNES 

    Le visage nouveau des campagnes du Kampuchea, c'est incontestablement dans les régions anciennement libérées qu'il se découvre le mieux ; là, les empreintes visibles de la guerre ont disparu, les transformations sont plus sensibles. Ainsi, à mi-chemin entre Siem Reap et Kompong Thom, nous pénétrons dans une région tôt libérée. La campagne est plus soignée, les rizières sont abondantes : il y a partout deux récoltes par an. Il y a même quelques tracteurs ici.
Nous nous arrêtons dans la campagne : des enfants chassent les moineaux en poussant des cris de temps à autres car la récolte de riz est proche. Pour éviter qu'ils n'attrapent des coups de chaleur, on leur a aménagé des abris de feuillages dans les champs. Ils ont bonne mine et savourent ce droit si inhabituel de pousser des cris à tout vent ! Toujours dans cette région, l'eau vient d'un réservoir de 22 millions de m3, construit en cinq mois par 10 000 personnes. On y voit côte à côte toutes' les étapes de la croissance du riz : ici, semences serrées les unes contre les autres, là, jeunes plants tout récemment repiques, plus loin, c'est bientôt la moisson, tout à côté, on laboure. Les potentialités de la terre cambodgienne apparaissent bien là dans la gamme variée des multiples couleurs vertes du riz avant qu'il n'arrive à maturité. On pourrait même faire trois récoltes si on avait assez de bras.
    Des bras, il en manque cruellement. Il y a les hommes tombés pendant la Résistance, disparus ou aujourd'hui invalides, il y a ceux qui sont mobilisés sur le front de l'Est et du Sud-Est pour faire front à une nouvelle agression vietnamienne. Aussi, y a-t-il beaucoup de femmes dans les champs. Elles participent à tous les travaux : labours, repiquages, transports des semences, on les voit aller ensemble dans les rizières, faire la pause de midi et manger rassemblées à l'ombre de quelques arbres, par petits groupes de vingt à trente-femmes où domine le noir qui est la couleur de la tenue traditionnelle des paysans khmers.
    Pourquoi le cacher ? Les paysans et les paysannes du Kampuchea travaillent dur. Le lever est matinal, mais la nuit tombée, nous avons souvent vu des jeunes gens et des jeunes filles transporter du bois ou des semences le long des routes. Ils travaillent dur car il faut faire vite : assurer l'alimentation de tout le peuple mais aussi accumuler les richesses pour édifier la société socialiste et tenir bon face à une nouvelle invasion. Ils travaillent dur car ils manquent de moyens, d'instruments pour produire davantage, les outils aratoires sont rudimentaires, les moyens de transport souvent réduits aux anciennes charrettes au profil antique ; le féodalisme et le colonialisme ont tout pris au peuple khmer. Les colonialistes français comme les impérialistes américains n'ont rien laissé des prétendus " bienfaits de la civilisation ". Le Kampuchea démocratique est pauvre, très pauvre, non pas en raison de son sol, ni de son climat : ce sont les forces féodales et coloniales qui l'ont maintenu en cet état. Aussi les choses qui ont changé, les signes des progrès accomplis en trois ans sont-ils difficiles à distinguer par des yeux d'occidentaux. Un regard superficiel pourrait s'en tenir aux enfants qui courent pieds nus devant les maisons pour nous regarder, à ceux qui se baignent tous nus dans les canaux d'irrigation ou y pèchent des grenouilles ou du poisson, au dur labeur des hommes et des femmes qui les pieds dans la boue, repiquent le riz ou poussent une charrue archaïque. C'est vrai, le Kampuchea comme bien d'autres pays du tiers monde est très pauvre, mais il met les bouchées doubles pour s'en sortir. 

LES NOUVEAUX VILLAGES 

    Les nouveaux villages témoignent bien de ce gigantesque effort . Ils sont alignés le long des routes et enfouis sous les cultures grimpantes, les légumes, les arbres fruitiers et les palmiers. Cela aussi a une histoire. La première année après la Libération, l'objectif a été de nourrir chacun : 312 kg de riz en moyenne par habitant dans l'année. La question des vivres a été ainsi résolue ; l'année suivante, l'effort s'est diversifié, on a multiplié les cultures de légumes, on a commencé l'élevage en grand des cochons, l'alimentation s'est diversifiée, on a soufflé un peu et on a pu se préoccuper quelque peu du logement de chaque famille paysanne : une maison neuve par famille, c'est l'objectif en passe d'être réalisé en 1978. La guerre avait aussi détruit les maisons : les paysans vivaient et vivent encore dans des abris sur des pilotis dont la carcasse de bois est recouverte de feuilles de palmiers ou de bananiers séchées : c'est très sommaire. Aujourd'hui, des maisons nouvelles se sont écloses le long des routes : toujours sur pilotis, faite de bois travaillé, elles ont les toits rouges en tuile. C'est coquet et bien plus spacieux. L'effort collectif est sérieux. Dans de nombreux villages, on distingue le dôme rougeâtre du four à brique, l'entassement de bois de petites scieries en plein air : là encore le matériel est très rudimentaire. Nous nous sommes arrêtés près de l'une d'elles, avons salué les menuisiers - c'est l'heure de la pause - et avons visité l'une de ces maisons nouvelles. Un autre bâtiment au toit rouge éclatant de nouveauté : la cantine ou l'école, parfois aussi le bâtiment où la coopérative traite les plantes pour en faire des médicaments usuels.

Camille GRANOT
(Demain : la question de l'eau)


Nous sommes partis de Phnom Penh en train jusqu'à Sisophon, puis nous avons pris la route de Siem Reap, près des temples d'Angkor Wat. Toujours par route, nous avons rejoint Kompon Cham, tout en faisant plusieurs tours au sud de Kompon Thom. Nous avons rejoint Phnom Penh par le Mékong. Autrement dit : près de 1 000 km en trois jours et demi de voyage.

 

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suite du reportage -partie 5- (HR 953)è

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