L'HUMANITÉ ROUGE n°954- Jeudi 19 octobre 1978
Organe central du Parti communiste marxiste-léniniste

page 8 -rubrique : Reportage

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 1 000km à travers le Kampuchea démocratique (Cambodge) (6)

 
Dans l'usine de latex, le latex sort des fours où il vient d'être fumé. (Photo HR)

Une plantation d'hévéas

    Nous avons visité une plantation d'hévéas, l'arbre qui donne le caoutchouc naturel : c'est celle de Chamcar Andong, située au Nord-ouest de Kom-pong Cham.

LA PLANTATION DE CHAMCAR ANDONG

    Hévéa a été longtemps synonyme de colonalistes français au Kampuchea. Michelin possédait d'immenses plantations qui ont assis sa fortune. Sur les plantations, les ouvriers agricoles khmers, tous atteints du paludisme, férocement exploités et opprimés, vivaient comme de véritables bagnards. Pendant la guerre de résistance antiaméricaine, cette plantation n'a jamais été aux mains des Lonnoliens. Elle a été beaucoup bombardée, surtout la route qui conduit à l'usine de latex (caoutchouc). Elle est défoncée par les mitraillages car c'était une " route du front " pour les FAPLN. On utilisait les camouflages et jamais la route n'a été coupée au plus fort des bombardements. Les patrons de la plantation, des colonialistes français, sont restés sur la plantation jusqu'au début 1972. Quand ils sont partis, ils ont emporté ou détruit toutes les machines de l'usine de latex. Exploiteurs jusqu'au bout ! Pendant la guerre, la production a été arrêtée.
    Aujourd'hui, les plantations d'hévéas ont été remises en état. Ici, il y a 20 000 hectares d'hévéas sur 4 plantations et on plante chaque année 1 000 hectares nouveaux sur cette rive ouest du Mékong. 23 000 ouvriers travaillent sur la plantation, y compris ceux des usines de latex. Mais là aussi, on manque de bras. Deux tiers des arbres seulement sont exploités actuellement en raison du manque de main-d'œuvre disponible. Il faut dire que l'entretien des hévéas et l'exploitation de la sève qui coule de l'écorce entaillée exigent beaucoup d'hommes. Il faut sans cesse débroussailler la base des arbres, prendre soin des hévéas, " des arbres aussi fragiles qu'une personne vivante ". Il faut les entailler une fois tous les deux jours pour recueillir le latex. Chaque ouvrier est responsable de 800 arbres. Il y a deux mois d'arrêt d'exploitation en décembre et en janvier quand les hévéas perdent leur feuilles. La plantation de Chamcar Andong est fort bien tenue, nous traversons sur des kilomètres cette futaie sombre d'arbres, tous munis d'une coupelle qui reçoit le latex blanc. Le sous-bois est impeccable.

L'USINE DE LATEX

    A l'usine de latex, nous sommes attendus, l'accueil des ouvriers et des ouvrières est chaleureux. On est fier de nous montrer le travail réalisé, les premiers résultats. Il a fallu repartir à zéro : plus de machines sur place. Seulement un ouvrier sur cinq est un ancien de l'usine ; il y a beaucoup de femmes oui ont dû apprendre sur le tas. Il y a 700 ouvriers en tout, répartis en 3X8. Mais la capacité de la plantation dépasse la capacité de l'usine. L'usine produit 30 tonnes de caoutchouc par jour ; elle devrait en produire 70 à 80 tonnes ; le reste est traité à Phnom Penh. Par contre, la qualité s'est sensiblement améliorée. Il y a trois ans, à la Libération, les premiers produits étaient de deuxième, troisième et quatrième qualité ; aujourd'hui l'essentiel de la production est de première et seconde qualité. Le caoutchouc peut ainsi être exporté dans des pays du Sud-Est asiatique et à Madagascar.
    Nous suivons le processus de fabrication du caoutchouc. Ici, on fait de la crêpe et des lamelles de caoutchouc. Il y a les bains avec différentes acides, le " laminage " et enfin " le fumage " qui donne la couleur brune au caoutchouc. Ici aussi, on comprend les difficultés qu'affronté le peuple du Kampuchea. Il faut faire avec rien, pour séparer le latex en feuilles dans certains bains, il faudrait des plaques de métal mais on utilise du bois. Plusieurs machines ont été bricolées par les ouvriers eux-mêmes. Dans l'usine, le tonus est élevé, nous parlons de Michelin en France, de la victoire qu'eux, ouvriers du Kampuchea, ont remporté sur ce colonialiste, ce capitaliste. Nous leur parlons de nos camarades qui se battent contre Michelin à Clermont. L'émotion est grande, de part et d'autre, quand le camarade responsable de la plantation nous dit :
    " Vous avez fait un détour pour nous rencontrer, c'est un grand encouragement pour tous les ouvriers de l'usine. Cela nous touche. Je transmettrai ce que vous avez dit à tous les ouvriers. Votre venue resserrera les liens entre nos deux peuples et nos deux partis. "
    Nous serions bien restés davantage, mais il a fallu se séparer et poursuivre la route.

FORMER DES TECHNICIENS NATIONAUX

    Dans son entretien avec notre délégation, le camarade Pol Pot, secrétaire du Parti communiste du Kampuchea nous a expliqué les objectifs fixés pour l'édification du pays :
    " Transformer le Kampuchea d'un pays arriéré en un pays agricole moderne en 15 à 20 ans et en un pays doté des industries de base en 20 à 25 ans. "
    II a souligné les difficultés rencontrées, les insuffisances du Parti qui manque d'expérience dans le domaine économique, notamment de l'industrie. Les cadres se sont forgés au combat, dans la guerre du peuple. Il faut apprendre de multiples autres choses aujourd'hui. Quelques usines ont été réparées et remises en marche dans les villes. L'industrie doit être au service du développement agricole : on fait en priorité des vannes pour les canaux d'irrigation, des instruments aratoires. On prépare maintenant des usines textiles, la mise en service d'usines moyennes, des cimenteries, des usines de machines-outils, de petits moteurs Diesel. Déjà une usine textile de 800 ouvriers agricoles fonctionne à Kompong Cham.
    Un des points sur lesquels le secrétaire Pol Pot a insisté, c'est la formation des techniciens nationaux, il faut former et vite, des cadres de l'économie :
    " Si notre révolution n'avançait pas, le Vietnam pourrait nous écraser, nous éliminer et nous abattre. Aussi, l'ennemi nous oblige-t-il à aller vite. Nous devons faire vite. C'est pourquoi nous formons nos techniciens suivant le principe d'allier la théorie à la pratique. Nous pensons que ce n'est pas contraire à la théorie marxiste-léniniste ! "
    II a poursuivi :
    " Un exemple : avant, pour avoir le niveau mathématique du baccalauréat, il fallait douze années d'études. En trois ans ici, des élèves ont atteint le niveau de la première et les autres celui de la troisième. C'est une méthode rapide, très positive. C'est ainsi que nous la jugeons , comme hommes politiques. Les camarades enseignants s'en félicitent également. Celui qui est arrivé à cette conclusion est docteur es sciences et ancien élève de Polytechnique ! Il trouve que ses élèves savent réfléchir et raisonnent bien en mathématiques ".
    Quant à nous, nous avons visité l'Ecole nationale d'électricité de Phnom Penh. Elle a déjà formé deux promotions de quelques 150 à 200 jeunes dans les différentes techniques de l'électricité : installations électriques dans les maisons, pose des fils et montage des pylônes, montage de moteurs pour réfrigérateurs, etc. Nous avons vu la troisième promotion au travail, ils ont de 12 à 17 ans, garçons et filles. Il y a environ une fille pour deux garçons. Ces jeunes viennent de tout le pays, ils habitent collectivement dans une cité de villas près de l'Ecole, y cultivent leurs légumes, y élèvent des poissons et de la volaille. Surtout, ils étudient, alliant les cours théoriques aux travaux pratiques et à des séjours dans des entreprises de la capitale. Nous allons d'une salle à l'autre. Les circuits électriques qu'ils dessinent ou qu'ils montent semblent fort compliqués à nos yeux d'ignorants en électricité ! Et quelle attention, quelle soif d'apprendre, de participer à l'effort de transformer le Kampuchea. Cela n'a pas manqué de nous impressionner.

Camille GRANOT
Demain : la santé.

La troisième promotion de l'École nationale d'électricité au travail. On allie dans cette école les cours théoriques aux travaux pratiques et a des séjours dans les entreprises. (Photo HR)

 

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suite du reportage -partie 7- (HR 955)è

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