LE QUOTIDIEN DU PEUPLE n°668 -vendredi 31 mars 1978-

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w LA MARÉE NOIRE DE L'AMOCO CADIZ
LES OPÉRATIONS DE NETTOYAGE ONT COMMENCÉ
w Pour protéger les côtes, la gamme des mesures adoptées est incomplète
w La "promotion" de la Bretagne vue par d'Ornanoil
w COMMUNIQUÉ DE MARINE EN LUTTE
w Pétition contre les pavillons de complaisance
w LES SOLDATS REFUSENT DE PAYER LES POTS CASSÉS

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LA MARÉE NOIRE DE L'AMOCO CADIZ
LES OPÉRATIONS DE NETTOYAGE ONT COMMENCÉ
 
    Des super-frelons de la Marine nationale ont procédé mercredi au lancement de plusieurs grenades sur l'épave de l'Amoco Cadiz afin de créer des brèches suffisamment importantes pour que l'écoulement complet du pétrole resté dans les cuves (environ 15 000 tonnes) soit assuré. Mercredi soir il s'est avéré que le "grenadage" n'avait pas suffi â libérer tout le pétrole. De nouvelles grenades doivent être lancées ce jeudi.

    Depuis mardi cependant le nettoyage des côtes a pu commencer aux endroits que la mer, après la fin de la grande marée du week-end, ne pourra plus venir recouvrir. Enorme travail qui, selon les estimations, va nécessiter l'activité de 10 000 personnes pendant deux mois. Venus de toute la France, les groupes de bénévoles affluent dans la région sinistrée, tandis que des tonnes de matériel de nettoiement attendent d'être utilisées. A la caserne de Keralou à Brest on peut voir ainsi un amoncellement incroyable de poubelles et de pelles. Bien que dans les PC Polmar on s'agite beaucoup comme à l'ordinaire, les autorités paraissent débordées par ces manifestations de solidarité populaire avec la Bretagne. Au point que bien des bénévoles ont l'impression que leur présence "encombre", ce qui est tout de même un comble quand on songe à l'ampleur de la tâche qui attend les nettoyeurs.

ET LA SHELL ?

    Si la solidarité populaire joue a fond on n'en dira pas autant de l'attitude des compagnies pétrolières qui restent d'une remarquable discrétion à l'heure où il s'agit de rassembler le maximum de matériel de nettoiement et pas seulement des seaux et des pelles. Il est pratiquement certain pourtant que les compagnies pétrolières disposent d'un matériel spécialisé qui ferait sans doute bien l'affaire dans la lutte contre les effets de la marée noire. Jusqu'ici elles ne l'ont pas proposé, alors qu'il ne faut pas l'oublier, la Shell porte une responsabilité écrasante dans cette catastrophe. N'y aurait il pas "quelque chose à faire" monsieur Pierre Bellemare de ce côté-là ?

    Les tonnes à lisier des agriculteurs se sont révélées les mieux adaptées à la nature du pétrole à pomper. Des centaines de paysans bretons se sont mobilisés depuis le début, et ont pris les choses en main sans se laisser rebuter par une certaine lourdeur bureaucratique manifestée par les multiples "responsables" des opérations. On ne compte pas les cas en effet où aux paysans venus avec leur matériel, on a demandé d'attendre pendant des heures qu'un ordre venu d'en haut leur assigne un point d'intervention. Avec l'aide parfois des appelés du contingent, les paysans ont creusé des fosses dans les champs, où dans des bâches, ils ont stocké au fur et à mesure le pétrole recueilli en attendant que des camions-citernes viennent l'emporter.

UN "OUBLI" DU PLAN POLMAR

    On remarquera enfin que cette aide précieuse des agriculteurs bretons n'avait comme tant d'autres choses, pas été prévue dans le plan Polmar : ce n'est qu'en cours de route que les PC Polmar ont demandé aux maires des communes de la côte et de l'intérieur de s'occuper du recensement des agriculteurs pourvus de tonnes à lisier. Ce matériel ne faisant bien sûr pas partie du parc d'engins de la Marine nationale, des pompiers ou des services de voiries, on n'avait pas songé en haut lieu à son utilisation. Mais comme aiment à dire les "responsables" entre deux coups de téléphone "on ne saurait penser a tout !".

 

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Pour protéger les côtes,
la gamme des mesures adoptées
est incomplète
    Le conseil des ministres de mercredi était pour une bonne part consacré aux mesures à prendre contre l'éventualité d'une nouvelle marée noire. L'ampleur de la manifestation de lundi à Brest n'est pas pour rien dans cet empressement qu'on n'avait pas constaté lors des précédentes pollutions.
Dorénavant, en attendant l'installation d'un radar fixe sur Ouessant, des radars mobiles assureront une surveillance dans une zone de 50 milles marins. Les navires qui pénétreront dans le rail, porté de 3 milles à 10 milles, devront signaler la nature de leur cargaison, la route qu'ils suivent et éventuellement leurs avaries. Par ailleurs seront construits quatre remorqueurs puissants du type Abeille, qui soient capables d'effectuer en haute mer des remorquages de gros bâtiments. Enfin, les promesses d'indemnisation ont été pour l'instant un "crédit d'urgence" de 500 millions d'anciens francs a été versé aux marins-pêcheurs soit environ 1 244 NF par personne pour la première quinzaine de pèche perdue.
Ces mesures ne sont certes pas négligeables. On fera remarquer cependant que si le radar d'Ouessant n'est toujours pas en place, c'est en raison des pressions exercées par la Marine Nationale qui considérait Ouessant comme une zone sous secret militaire. Il a fallu la marée noire pour que ces résistances soient levées. La construction de quatre remorqueurs quant à elle prendra du temps, plusieurs années : pourquoi donc a-t-on laissé la compagnie "l'Abeille" abandonner sa base de Brest au profit de remorqueurs privés, sinon pour des raisons de "rentabilité" ?
La promesse d'indemnisation des sinistrés enfin sera sans doute plus convaincante quand les dossiers en souffrance datant de l'Olympic Bravery et du Bohlen auront été réglés. Il faudra veiller aussi à ce que les indemnisations ne s'arrêtent pas aux conséquences immédiates de la marée noire. Les conséquences sur les stocks de pêche, poissons, crustacés ou goémons se prolongeront sans doute plusieurs années et causeront peut-être des dommages irréparables.
 
    Surtout, il faut bien constater que ce n'est pas par méconnaissance de la cargaison du pétrolier ni de son avarie que la marine nationale n'est pas intervenue. Mais parce qu'elle "n'avait pas à se substituer au remorqueur privé" selon l'expression du préfet maritime ! Il y a là des "règlements maritimes" scandaleux que le conseil des ministres ne s'est pas engagé à faire modifier

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La "promotion" de la Bretagne vue par d'Ornanoil
 
    Après avoir remué beaucoup d'air au lendemain de l'échouage du pétrolier, Michel d'Ornano, chargé en tant que ministre de la Culture et de l'Environnement de superviser la lutte contre la marée noire, n'avait plus tellement fait parler de lui. Il est revenu mardi à Portsall et au PC de Ploudalmezeau pour une visite éclair, l'inévitable conférence de travail et la non moins inévitable conférence de presse. Après avoir prouvé son peu de souci de prévenir une nouvelle marée noire, malgré les nombreux précédents, d'Ornano, dit aussi d'Ornanoil depuis le 16 mars, voudrait maintenant jouer le rôle de commis-voyageur d'une région dont la politique gouvernementale a permis la pollution. Paroles apaisantes : "Avant l'été, la marée noire ne sera plus qu'un mauvais souvenir". Comme si les conséquences de la marée noire se limitaient à la souillure des plages ! Emplâtres sur une jambe de bois : un crédit supplémentaire d'un million cent cinquante mille francs pour la sauvegarde des oiseaux. Alors que des espèces sont irrémédiablement condamnées. Campagne de "promotion" de la Bretagne comme on ferait d'une marque de lessive : " Il faut savoir que toute la Bretagne n'est pas touchée. Dès que le nettoyage d'une zone sera achevé il conviendra d'en rendre compte à l'opinion publique". Des comptes, certes il faudra bien en rendre. Qui ne se limiteront pas au problème du tourisme qui semble pour d'Ornano le fin mot de la Bretagne.
 

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COMMUNIQUÉ
DE MARINE EN LUTTE
 
    Les marins, officiers et sédentaires des entreprises de navigations regroupés dans l'Association Marine en Lutte tiennent à faire savoir aux travailleurs et à la population que les causes de la catastrophe provoquée par le naufrage du pétrolier libérien Amoco Cadiz sur les côtes bretonnes, et qui aura des conséquences énormes pour l'emploi, en particulier l'emploi des pêcheurs, et pour l'écologie, sont connues.
    Une des causes, c'est la course au gigantisme, que Marine en lutte a dénoncé, ainsi que d'autres prétendus progrès qui n'ont qu'un seul but. le profit, mais qui ont pour conséquences la diminution de l'emploi, la surcharge de travail des marins, et l'insécurité sous toutes ses formes (ainsi le gouvernement et les armateurs français étudiant aujourd'hui un "navire de 55" qui aura pour principale caractéristique de n'utiliser qu'un équipage de 13 hommes au lieu de 30 aujourd'hui).
    Une autre cause est l'existence de pays qui acceptent que des armateurs utilisent leur pavillon, mais sans contrôle sur les conditions de travail, sur les qualifications du personnel, sur la sécurité à bord. Ce sont les pavillons de complaisance, Panama, Libéria, Singapour, Grèce, Chypre, etc. Le Torrey Canyon, l'Olympic Bravery, comme l'Amoco Cadiz appartenaient à un de ces armateurs qui échappent, avec leur pavillon de complaisance, à la loi.
    Il y aura d'autres catastrophes si le pavillon de complaisance n'est pas mis hors la loi par la France et les autres Etats.
    Nous appelons tous les habitants de ce pays, qui sont concernés, à signer et faire signer la pétition nationale suivante.

Marine en Lutte 5 rue du Pinier 44 400 REZE    

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Pétition contre les pavillons de complaisance
 
    "Suite à la catastrophe de l'Amoco Cadiz, les soussignés demandent que des mesures urgentes soient prises par le gouvernement français pour mettre hors la loi les pavillons de complaisance, danger public de la mer.
Aucun navire portant un tel pavillon ne doit toucher un port français, ni passer à moins de 100 milles des côtes françaises".
   
    Pétition à faire parvenir
à :
Ministère des Transports
Secrétariat de la Marine
Marchande
Place Fontenoy
Paris

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LES SOLDATS REFUSENT DE PAYER LES POTS CASSÉS
 
    "Le comité de marins "Tonnerre de Brest" dénonce l'emploi pour la lutte contre la marée noire de soldats du contingent, non payés, dans des conditions de travail lamentables, de sécurité aléatoires, et de plus sans aucune préparation à ce genre de travail.
Nous payons, une fois de plus, les pots cassés d'une politique incapable de prendre des mesures efficaces pour prévenir ce genre de catastrophe.
    Le comité de marins affirme son soutien aux revendications des pêcheurs, goémoniers, etc. ainsi qu'aux organisations qui dénoncent les causes de cette marée noire.

BREST. LE 24 MARS 1978"    

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