manifeste pour le socialisme
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Deuxième partie

DE LA CRISE POLITIQUE
À LA CRISE
RÉVOLUTIONNAIRE

 

Chapitre 1

UN MONDE
EN PLEIN BOULEVERSEMENT

 

..... L'ère des années 70, voit depuis son début, un approfondissement saisissant de la crise générale de l'impérialisme. Elle est marquée par deux grands mouvements, de nature contradictoire, qui modifient avec rapidité les traits du monde contemporain.
..... Le premier de ces mouvements est le renforcement des tendances à l'unité des pays du Tiers Monde qui commencent à opposer avec succès une résistance solidaire au pillage et à toutes les manoeuvres d'assujettissement des pays impérialistes. L'exemple et le soutien persévérant développé par la République Populaire de Chine, particulièrement depuis la conférence de Bandung, les victoires remportées au terme d'une lutte longue et difficile par les peuples d'Indochine contre les agresseurs impérialistes français, puis américains, ont grandement contribué à tracer la voie de la résistance à l'impérialisme, et à amener des régimes jusque là inféodés très directement à l'impérialisme, à lui résister. C'est ainsi qu'à travers des avancées et des reculs, l'unité du Tiers Monde se renforce et inflige au camp impérialiste des coups d'arrêt au pillage et à la mainmise qu'il imposait depuis des décennies à ces pays. Toutes les manoeuvres impérialistes pour diviser le Tiers Monde, faire dévier la lutte de sa véritable cible, si elles peuvent réussir temporairement à retarder la progression de l'unité, ne peuvent espérer réussir à contrecarrer la tendance historique de ces peuples, nations et pays à s'unir. En limitant la sphère d'action des pays impérialistes, le Tiers Monde contribue à aiguiser les contradictions internes qui secouent ces pays.

..... Le second mouvement qui s'est accentué dans les années 70, c'est la division du camp impérialiste en impérialismes secondaires d'une part, en super-puissances d'autre part. L'achèvement de la transformation de l'URSS en nouvel impérialisme qui pousse des pions non seulement dans l'Europe de l'Est dominée, mais aussi dans toutes les régions et les mers du monde, particulièrement en Méditerranée, en Afrique, au Moyen Orient, fait de cette puissance, une véritable super-puissance qui rivalise dans tous les domaines avec la super-puissance américaine. Profitant du déclin accentué de l'impérialisme américain du fait de ses défaites en Indochine, et semant la confusion grâce à son passé de pays socialiste, l'URSS sous couvert de "soutien" aux peuples et aux pays en butte à l'impérialisme américain, tente de s'infiltrer et d'établir des positions dans de nouvelles régions. La rivalité exacerbée des super-puissances est mal masquée par le thème de détente des pseudo-accords d'Helsinki. Chacune des super-puissances s'arme à outrance et prépare la guerre pour arracher la suprématie dans le monde. Dans cette situation les métropoles impérialistes secondaires sont soumises à des pressions extrêmement renforcées de la part de l'une et de l'autre des deux super-puissances. l'impérialisme US, qui au sortir de la deuxième guerre mondiale avait sous sa dépendance noué des liens extrêmement serrés avec les impérialismes européens et japonais, tente depuis sa défaite en Indochine de resserrer ces liens distendus depuis les années 60 du fait du développement inégal des pays capitalistes de l'Ouest. Aux pressions économiques de tous ordres que la super-puissance américaine fait peser sur l'Europe de l'Ouest pour assurer sa domination, s'ajoutent les ingérences politiques et militaires qui visent à mettre en place une Europe atlantiste dont le potentiel de défense serait pleinement contrôlé par les états-majors US qui l'utiliseraient au profit exclusif des USA dans leur confrontation avec l'autre super-puissance. L'URSS; pour qui la domination sur l'Europe de l'Ouest et son potentiel humain, technologique, industriel assurerait une suprématie nette, multiplie les pressions sur ces pays pour en obtenir des concessions: désarmement qui laisserait l'Europe sans défense; accords économiques transférant à l'Est la technologie qui manque à cette super-puissance; politique extérieure de chaque pays s'abstenant de critiquer la dictature terroriste qui sévit, en Russie, et couvrant toute les manoeuvres d'ingérence des dirigeants du Kremlin...

..... Le second monde, formé de l'ensemble des puissances impérialistes secondaires se trouve comme entre l'enclume et le marteau, soumis à deux pressions de natures très différentes: la pression du Tiers-Monde, la pression des deux super-puissances. Cette double pression qui ne peut aller historiquement qu'en s'accentuant, aiguise dans chaque métropole impérialiste secondaire ses contradictions internes. La situation propre de notre pays, son histoire, font que plus que pour toute autre métropole impérialiste secondaire, les grandes modifications intervenues dans la situation mondiale trouvent une résonance particulière, et agissent directement sur la contradiction qui oppose les masses populaires au pouvoir capitaliste.
..... Parce que l'impérialisme français est celui qui parmi les impérialismes secondaires avait le plus nettement marqué ses velléités d'échapper dans les années 60 à la tutelle américaine, il est celui dont le réalignement progressif sur la super-puissance américaine a le plus de répercussions sur l'équilibre interne des forces de la bourgeoisie, et de son personnel politique.
..... Parce que l'impérialisme français comptait de manière durable sur les liens de nature néo-coloniale qu'il avait tissés à la fin des année 50 avec les pays de son ancien empire, il se trouve aujourd'hui frappé plus durement par le mouvement des pays du Tiers Monde, et particulièrement par leur volonté de faire revaloriser le prix de leurs matières premières.
..... Parce que l'impérialisme français s'était engagé pendant l'ère gaulliste dans la modernisation tous azimuts du potentiel industriel français, tendant à ne laisser aucun créneau vide, il paie aujourd'hui à l'heure de la crise économique le revirement qu'il est obligé d'opérer dans plusieurs choix industriels (nucléaire, électronique), ou l'échec commercial dans d'autres (Concorde), revirements dus pour la plupart aux pressions US.
..... Parce que l'appareil industriel français est en fin de compte bien moins compétitif que celui de ses rivaux non seulement américain, mais japonais ou allemand, l'impérialisme français se trouve le moins bien placé pour opérer le redéploiement de son industrie, et être concurrentiel sur les marchés de biens d'équipement que viennent d'ouvrir les pays du Tiers Monde. Parce que, à la différence par exemple des pays capitalistes d'Europe du Nord, les forces politiques de notre pays englobent un parti révisionniste assez développé, la rivalité entre les deux super-puissances trouve une caisse de résonance importante a l'intérieur même de notre pays, l'Union Soviétique trouvant dans le PCF un relais dévoué pour défendre certaines de ses positions politiques, particulièrement celles sur la détente, les accords d'Helsinki, l'ingérence en Afrique...
..... A cause de cela, à cause des composantes internes qui font la texture de notre métropole, le mouvement des peuples du Tiers Monde, comme la rivalité des deux super-puissances, renforcent la vulnérabilité de l'impérialisme français et le rendent plus sensible que tout autre métropole impérialiste aux bouleversements qui s'opèrent dans le monde. Cette vulnérabilité accrue confère ainsi, en quelque sorte, à l'impérialisme français une place dans le maillon le plus faible de la chaîne des pays impérialistes. Le mouvement propre des contradictions internes de la métropole, leur aiguisement, se trouvent de ce fait amplifiés, renforcés par les bouleversements de la situation mondiale. En même temps que se renforcent les facteurs de guerre dus à la rivalité entre les deux super-puissances, se renforcent les facteurs de révolution. Notre pays vérifie chaque jour le développement simultané de ces deux facteurs: Russes et Américains renforcent tour à tour leur pression sur le chef de file de l'impérialisme français, mais cela ne fait qu'accroître son instabilité politique, montrer son vrai visage et rendre plus difficile encore la consolidation du pouvoir de la classe qu'il représente. Cela ouvre de ce fait la possibilité au prolétariat, classe d'avant-garde, de trancher la crise en sa faveur, en prenant le pouvoir, ce qui constituerait pour notre peuple la meilleure garantie de préserver l'indépendance nationale de notre pays.

Chapitre 2

LE CAPITALISME C'EST LA CRISE

..... Jamais la situation dans notre pays n'aura été aussi parlante, n'aura aidé à démontrer de manière aussi nette que la société actuelle est incapable d'organiser la satisfaction des besoins des travailleurs, sans parler de leur élargissement.

..... D'un côté, un million et demi de chômeurs, de l'autre des centaines d'usines qui ferment, un potentiel industriel orienté souvent vers la production de biens de consommation qui se meurt.

..... D'un côté, des millions de travailleurs qui gagnent moins de 2 000 F par mois, sans parler des retraités et des chômeurs aux allocations dérisoires ou inexistantes, de l'autre côté une superproduction agricole qui tantôt est détruite, tantôt est bradée, mais toujours soustraite à ceux qui en ont besoin.

..... D'un côté une campagne et des régions qui se dépeuplent à une vitesse accélérée contraignant les jeunes à s'expatrier à des centaines de kilomètres, de l'autre des villes gigantesques où s'entassent des centaines de milliers, voire des millions de gens déracinés de leur région d'origine.

..... D'un côté des millions de travailleurs, de l'autre des milliers de constructions neuves au loyer exorbitant restent complètement vides, voisinant avec des immeubles de bureaux gigantesques eu aussi mal occupés.

..... D'un côté une production industrielle que ses dirigeants veulent orienter toujours plus vers l'exportation, de l'autre l'invasion de produits manufacturés et de biens d'équipement venus d'autres pays impérialistes créant une sorte de dépendance.

..... D'un côté une dépendance énergétique persistante, de l'autre côté des mines de charbon qu'on ferme, des énergies nouvelles qu'on laisse dormir...

..... La grave crise économique qui secoue le monde capitaliste depuis le début de l'année 74, aura permis de révéler l'exacte situation de l'économie capitaliste française, permis de la situer par rapport aux économies des autres pays et révélé comment l'interpénétration et l'entrelacement des économies européennes interdisent le moindre espoir de redressement, favorable aux travailleurs, de la situation en France.

..... Pour défendre ses profits qui constituent la base de son existence, la bourgeoisie a remonté à bloc tous les ressorts de la production qui permettent de faire suer des bénéfices par les travailleurs.

l Elle a accentué après la deuxième guerre mondiale les transformations de l'agriculture dans le but de se soumettre le travail des paysans. L'exode rural qui en a résulté est venu renforcer la vieille tendance à la concentration des travailleurs dans quelques grandes agglomérations urbaines, transformant la moitié de la France en désert, creusant l'écart entre villes et campagnes et débouchant sur l'asphyxie (au sens propre et figuré) des villes. Si la population en est la victime directe par la dégradation du cadre de vie, par l'allongement démesuré des temps de transport lié au rejet des travailleurs dans la périphérie, par la fatigue accrue, par la triste réalité du cycle infernal "métro-boulot-dodo", la bourgeoisie elle-même est prise à son propre piège sur le plan économique. En effet le développement monstrueux des villes, du réseau de transport qui y correspond a absorbé une masse importante des capitaux disponibles dans des investissements qui ne sont productifs d'aucune richesse. Un même phénomène s'est produit avec la croissance parasitaire du tertiaire qui regroupe bon nombre d'activités purement parasitaires.
Bien sûr aucun capitaliste individuel ne s'inquiète du détournement des richesses sociales vers ces emplois parasitaires. Au contraire un certain nombre d'entre eux, par exemple tous les requins de l'immobilier depuis 15 ans, y font des affaires juteuses. Mais, collectivement la bourgeoisie le paie par le freinage du développement de l'appareil de production, le paie par l'affaiblissement de sa compétitivité par rapport à ses concurrents.
..... Aussi, alors qu'à leurs débuts, le développement urbain, l'exode rural, étaient un facteur de développement du capitalisme en rassemblant la main d'oeuvre dont il avait besoin, de tels phénomènes manifestent au contraire aujourd'hui son pourrissement.

l De même le capital dans sa soif de profit a largement eu recours à la division du travail qui fait de l'ouvrier l'exécutant d'une tâche de détail, soumis à la cadence de sa machine. Associée à la constitution de gigantesques usines, véritables bagnes modernes pour les prolétaires, cette division du travail a permis pendant un temps de rationaliser l'exploitation. Mais aujourd'hui la généralisation de cette méthode se heurte à une résistance déterminée des travailleurs qui neutralise pour une bonne part son efficacité; au point que les capitalistes tentent de faire marche arrière, parlent d'enrichissement des tâches et s'emploient à limiter la taille des usines pour entraver l'organisation des travailleurs que favorisent les grandes concentrations ouvrières comme dans l'automobile ou la sidérurgie.
..... Le développement du machinisme, lui-même, qui a été l'un des puissants moyens de développement du capitalisme bute également de plus en plus sur les limites mêmes du capital. Non que ce développement soit stoppé. Au contraire pourrait-on dire. La concurrence acharnée, principalement internationale aujourd'hui, débouche sur une consommation effréné de moyens de production rapidement périmés par l'introduction de nouvelles techniques.
..... On assiste ainsi à un gaspillage social considérable de richesses matérielles.
..... Dans le même temps le capital est de moins en moins capable d'employer pleinement la principale force productive: le travail, et l'on voit cette absurdité sociale de plus d'un million de chômeurs cohabitant avec des usines tournant au ralenti parce que leur réunion dépend de l'arbitraire des intérêts privés de quelques capitalistes.
..... Car tous ces gaspillages de richesses produites ou potentielles n'ont qu'une cause: l'existence de rapports de production liés à la propriété privée des moyens de production qui entrave l'emploi de forces productives arrivées à un niveau de développement très poussé. A ce stade l'interdépendance de toutes les branches de l'économie, des différentes économies nationales dans le monde exige que la direction de la production soit exercée avec un point de vue d'ensemble, à large échelle et non pas selon des intérêts particuliers, étroits, égoïstes. Le développement des monopoles après 1914, le rôle accru de l'Etat dans les affaires économiques expriment la tentative capitaliste de maintenir en correspondance les rapports de production avec la nature "sociale" des forces productives. A l'échelle nationale ce processus est achevé pour l'essentiel puisque dans un grand nombre de branches deux ou trois trusts contrôlent toute la production, l'Etat intervenant périodiquement pour assurer le partage de chaque marché entre ce petit nombre de trusts.
..... C'est aujourd'hui principalement au niveau international que se poursuit la socialisation de la production, poussant à l'extrême le caractère impérialiste de l'économie. Comme le prouvent le cas du Concorde ou l'exemple de la filière nucléaire française, abandonnée en 1969, la production de certaines marchandises n'est pas rentable, d'un point de vue capitaliste, dans les limites étroites d'un marché national.
..... C'est le marché mondial qui est de plus en plus l'espace de développement de la production capitaliste, non seulement pour l'écoulement des marchandises mais aussi par l'approvisionnement en matières premières, en produits intermédiaires.
..... Cette internationalisation de la production se manifeste de diverses façons, qui ont toutes en commun d'approfondir la dépendance de l'économie nationale de son environnement mondial.
..... Le premier trait est celui d'un développement rapide de la spécialisation de chaque pays dans la production de certains objets. La création du marché commun en 1957, en ouvrant largement les frontières à la concurrence après des dizaines d'années de protectionnisme douanier, a accéléré ce processus. La contrepartie de cette spécialisation est bien évidemment que des besoins de plus en plus nombreux ne sont satisfaits que par l'importation, ce qui exige en contrepartie d'exporter une part de plus en plus importante de la production nationale. Aujourd'hui un cinquième de la production totale est exportée et ce rapport atteint le tiers pour l'automobile et la moitié pour les métaux non ferreux !
..... Mais cette tendance à la spécialisation ne porte pas que sur les produits finis mais sur l'ensemble des produits, la réalisation en France de la plupart des productions est dépendante de l'extérieur à un titre ou à un autre: il n'y a pratiquement plus de produits dont on peut dire qu'ils sont complètement "made in France". L'exemple d'I.B.M. est un des plus caractéristiques: un ordinateur est le résultat des productions réalisées dans une vingtaine de pays sous le commandement du trust centré aux U.S.A.
..... Mais le capitalisme ne se contente pas d'exporter des marchandises. Il exporte de plus en plus le capital lui-même pour s'installer là où se trouve le marché, là où existent les matières premières ou de la main d'oeuvre à bon marché. Pour les dix premiers groupes français l'étranger représente la moitié de leurs activités et la production des filiales à l'étranger est aussi importante que l'exportation de leurs productions réalisées en France.
..... Une telle orientation du développement économique est vigoureusement soutenue par l'Etat bourgeois qui apporte de multiples soutiens à l'exportation, dont la politique internationale vise à réaliser les conditions favorables à l'expansion impérialiste et qui, sur le plan interne, impulse un "assainissement" des structures de production pour redonner à l'impérialisme français une meilleure place dans la concurrence internationale. Le sinistre plan Barre s'inscrit dans une telle perspective.
..... Cette internationalisation de la vie économique ressemble plus à une fuite en avant du capitalisme devant ses contradictions qu'à une résolution rationnelle de celles-ci ; une fuite en avant qui a débouché sur la crise que connaît aujourd'hui l'ensemble du camp impérialiste. Sur le plan économique, cette crise manifeste avec une grande clarté le caractère périmé du capitalisme de plus en plus incapable d'assurer le plein emploi des ressources productives. Ce ne sont plus seulement les matières premières nationales qui sont laissées dans le sol, ce sont aussi les moyens de production qui sont soit inutilisés, soit même détruits, ce sont les forces vives de la production, les travailleurs, qui sont massivement écartés par le capital de la création des richesses matérielles qui seraient si nécessaires au peuple pour satisfaire ses besoins. C'est l'approfondissement de la dépendance nationale vis-à-vis des autres impérialismes et notamment des deux superpuissances, qui favorise toutes les pressions, tous les pillages !

..... Toutes les tentatives de redressement économique et les multiples plans gouvernementaux de la bourgeoisie, ne sauraient résoudre toutes ces contradictions qui assaillent la production capitaliste. D'ailleurs un tel "redressement", bien hypothétique, outre ce qu'il signifierait pour les travailleurs de restructurations et de travail intensifié ne contribuerait qu'à internationaliser un peu plus la production, la rendant de ce fait plus sensible et dépendante encore des secousses futures inévitables; loin de conjurer la crise, cela rendrait ses effets à venir encore plus violents.

..... Parce qu'elle frappe ensemble les différentes couches du peuple, de manière grave et prolongée, la crise économique du capitalisme aide à rassembler ceux que la bourgeoisie avait tenté, de tout temps, de séparer, de diviser entre eux. La classe dominante a moins de moyens de corrompre, à l'aide de surprofits coloniaux, une couche d'aristocrates ouvriers issus de la classe ouvrière, limitant par là-même un des moyens de pénétration de son idéologie dans la classe ouvrière. Des couches jadis considérées comme privilégiées parmi les travailleurs, comme le secteur du Livre, sont en butte à de brutales attaques de la part du patronat. La tendance générale et accélérée à la déqualification, le chômage total ou partiel qui frappe indistinctement ouvriers professionnels et OS, suppriment les manoeuvres de divisions que tentait le patronat dans le passé. Tous ces facteurs contribuent objectivement au renforcement de l'unité de la classe ouvrière.

..... L'alliance séculaire que la bourgeoisie avait nouée avec la paysannerie au lendemain de la Commune de Paris est en train de se briser à grande vitesse. Fini le mythe de la paysannerie unie, sans clivage regroupant indistinctement le capitalisme agraire et le petit-paysan. Fini le mythe du marché commun agricole qui allait résoudre les difficultés des paysans. Fini le mythe du ministre de l'agriculture, représentant des paysans à la table de négociations de Bruxelles. Le corporatisme réactionnaire, clef de voûte du syndicalisme agricole officiel, ne domine plus aujourd'hui sans partage, et est combattu ouvertement par des paysans qui réclament l'alliance avec les ouvriers, et la mettent en oeuvre en se solidarisant avec les mouvements de grève, en organisant des ventes directes à la porte des usines ou dans les quartiers populaires... La bourgeoisie a vidé les campagnes, et organisé l'exode, accéléré la pénétration du capitalisme agraire, ouvert les frontières sans restrictions, acculant nombre de petits paysans à la ruine. Elle a ainsi contribué à ouvrir les yeux du petit paysan qu'elle presse à la mort !

..... Aussi significatif, le rapprochement des couches d'employés avec la classe ouvrière et son combat. Quand la situation économique le lui avait permis, la bourgeoisie maintenait ces couches dans une situation assez nettement différenciée de celle de la classe ouvrière: salaires, conditions de travail, congés... Mais avec la croissance numérique assez spectaculaire de ces couches, avec l'apparition de la crise, la bourgeoisie, en rognant considérablement sur les salaires, en rationalisant et intensifiant le travail, a considérablement rapproché les conditions de vie et de travail de ces couches de celles du prolétariat, créant ainsi, à son corps défendant, les bases d'un combat solidaire des ouvriers et des employés.

..... Mais au-delà des conséquences directes de la crise économique, ce qui fait la particularité, dans notre pays, de la crise actuelle, c'est son caractère fondamentalement politique. Car il ne s'agit pas d'une simple crise qui affecterait de manière durable les mécanismes économiques, mais d'une crise qui, combinant les effets internationaux et intérieurs, agit directement sur la question du pouvoir, sur la manière dont la classe dominante impose son pouvoir aux classes dominées, au peuple: c'est en cela qu'il s'agit aujourd'hui d'une crise politique qui peut demain mûrir en crise révolutionnaire, où cette question du pouvoir serait directement posée par les masses de notre pays. En quoi la question du pouvoir est-elle posée aujourd'hui ? Les moyens de domination habituels de la bourgeoisie dans notre pays, qui conféraient une certaine stabilité à son pouvoir, sont aujourd'hui moins assurés que par le passé, et pour certains, carrément vacillants. En même temps les questions que fait surgir le mouvement des masses aujourd'hui, dépassant largement le cadre revendicatif traditionnel, posent nettement le problème de la société périmée dans laquelle on vit, et de la nouvelle société, le socialisme qu'il faut construire. Ces deux aspects concourent à former le caractère profondément politique de la crise actuelle.
..... Ceux d'en haut rencontrent des difficultés pour affirmer leur pouvoir comme avant. Les manifestations en sont nombreuses :

....l Faillite du modèle de collaboration de classes d'abord. Ne pouvant pas faire reposer son pouvoir sur la seule action de son appareil d'Etat et de la violence qu'il exerce, la bourgeoisie de tout temps a cherché à instaurer un consensus social, à maintenir la collaboration de classes, en diffusant un certain nombre d'illusions. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, c'est fondamentalement en s'appuyant sur "le modèle de la consommation" qu'elle a tenté de maintenir la collaboration de classes. Semant l'illusion que l'amélioration du sort des couches travailleuses dépendait avant tout de l'expansion économique, laissant croire qu'une extension de la consommation des masses était forcément synonyme de l'amélioration de leur niveau de vie, la bourgeoisie espérait imposer la paix sociale de manière durable. Mais si l'acquisition dans une proportion notable de familles ouvrières, de produits tels l'automobile, le frigidaire, la machine à laver, constitue une réalité, cette acquisition est mal arrivée à combler l'usure et la détérioration accélérée des conditions de reproduction de la force de travail. Multiplication du travail posté, des cadences, allongement de la journée de travail par des temps de transport démentiels, repos rendus impossibles dans les logements modernes... Avant même que la crise économique jette à bas ce modèle de collaboration de classes, les travailleurs l'avait rejeté, multipliant leurs luttes sur les conditions de travail, de logement, de santé... La crise apparue, le gouvernement a tenté un moment d'instaurer le consensus autour du thème de la solidarité nationale qui devait mettre à contribution toutes les couches sociales pour surmonter les effets de la crise. Ce modèle de collaboration de classes a été vite impuissant à instaurer le consensus social recherché, et il est symptomatique aujourd'hui de constater que le discours gouvernemental actuel ne cherche plus à innover pour établir ce consensus.

....l Usure rapide et prématurée d'un personnel politique sans perspective. La stabilité que la bourgeoisie était arrivée à conférer à son pouvoir pendant l'ère gaulliste, elle la devait en particulier à l'alliance d'un personnel politique influent et d'un projet politique suffisamment cohérent. Les notables bourgeois issus de la Résistance qui formaient l'ossature des gouvernements gaullistes, contribuaient à donner une certaine assise au pouvoir bourgeois, qui était renforcée par l'existence d'un projet offrant la perspective d'une France ayant rejeté la tutelle américaine, indépendante des Tiers-Monde. L'échec de ce projet capitaliste, l'ouverture de la crise économique mondiale en 74, ont laissé les successeurs de De Gaulle sans projet, avec pour seule perspective de gouverner au jour le jour en tentant de ménager à la fois le Tiers-Monde et les deux superpuissances, à la fois l'URSS et les USA. D'affaire Amalrik expulsé de l'Elysée en Concorde condamné au chômage partiel, d'affaire Abou Daoud en conférence Nord-Sud ratée, le résultat est catastrophique parce qu'il révèle chaque fois un pouvoir hésitant à s'orienter, incapable de dégager une perspective claire. Le résultat pour le personnel sans envergure qui assume ces changements de caps successifs, c'est évidemment une usure rapide de son image de marque, qui accélère ses instabilités.

....l Cette instabilité se trouve particulièrement accrue par la division durable et profonde qui s'est installée dans le camp de la droite. Les institutions que la bourgeoisie s'est forgées sous la 5e République et qui visaient justement à assurer la stabilité de son pouvoir, exigeaient l'existence d'un parti dominant qui assure au Parlement une majorité automatique au gouvernement et au président de la République. Sans personnel politique allié à un projet cohérent, l'actuel chef de file ne peut espérer construire un parti dominant qui empêcherait le Parlement d'entraver son action. Au contraire, il se trouve prisonnier des majorités parlementaires successives qui peuvent se former, en contradiction avec la politique qu'il entend définir. Déjà divisées sur les orientations à suivre en matière de politique étrangère, les composantes de la coalition gouvernementale le sont aujourd'hui et bien plus gravement, sur la politique intérieure à suivre, achevant la paralysie de l'action gouvernementale. C'est un nouveau facteur d'instabilité.

....l Mais cette instabilité, ce manque de cohésion manifeste n'affectent pas seulement les sphères dirigeant notre pays, mais plus largement ce qui constitue habituellement les remparts, les piliers du pouvoir d'une classe dominante: la justice, l'armée, la police. D'une part, la rivalité des différents clans de la bourgeoisie s'y fait sentir de manière plus aiguë, chacun cherchant à s'y créer son domaine réservé, et cette division ouverte joue à contre-sens de l'efficacité que ces troupes doivent avoir et de la neutralité qu'elles sont censées afficher. D'autre part, dans un secteur comme celui de l'appareil judiciaire, on voit se développer des mouvements de juges qui refusent d'effectuer la besogne pour laquelle ils ont été formés et enrôlés, et qui dans un certain nombre d'arrêts se mettent du côté des travailleurs: ce qui ne s'était jamais vu se voit enfin: patrons responsables d'accidents du travail inculpés, sociétés de crédit déboutées de leurs actions contre ces travailleurs... Ces premiers signes, car il ne s'agit que de signes annonciateurs, indiquent toutes les difficultés que rencontre la classe dominante pour imposer sa propre loi à ses propres juges.

Et en même temps que se manifestent ces difficultés accrues pour ceux d'en haut, ceux d'en bas manifestent aussi qu'ils commencent à ne plus vouloir continuer comme avant. Parce que dans les luttes aujourd'hui, les débats que mènent les travailleurs ne portent pas seulement sur le meilleur moyen d'endiguer les effets de la crise économique, et de résister aux attaques sans précédent sur le pouvoir d'achat et l'emploi. Non, ces luttes, ces débats vont beaucoup plus loin et dressent un véritable réquisitoire contre cette société actuelle qui a fait son temps, qui a fait plus que son temps.

....l Quand, à l'image de ce qu'avaient réalisé les ouvriers de LIP en 1973, dans des dizaines d'usines occupées les travailleurs ont entrepris de remettre en route la production et de disposer du produit de leur travail pour tenir et prolonger leur grève, ce ne sont pas seulement de nouvelles formes de lutte qui voient le jour, mais c'est bien aussi la démonstration exemplaire, répétée maintenant des dizaines de fois, qui est faite que la classe ouvrière peut diriger en tout, qu'elle n'a pas besoin d'exploiteurs pour diriger son travail et lui en extorquer le fruit. C'est bien comme cela que de telles expériences ont été vécues par les ouvriers qui les ont mises en oeuvre.
....l Quand, dans ces nombreuses régions rendues désertiques par le développement du capitalisme qui les a vidées de toute industrie et donc progressivement de leur population, se dressent subitement à l'annonce d'une nouvelle fermeture d'entreprise les ouvriers et les paysans de cette région, qui manifestent ensemble au cri de: "Nous voulons vivre et travailler au pays", ce n'est pas une simple lutte pour l'emploi, mais bien une mise en cause plus profonde de cette société qui a mutilé et dénaturé ces régions qui partout disposaient d'un potentiel en hommes et en richesses propre à leur assurer un développement harmonieux.
....l Quand dans la mine, les ouvriers en lutte contre les assassinats permanents du capital combattent la politique du licenciement qui annonce la mort à petit feu des mines de charbon, ce ne sont pas non plus simplement des luttes pour la sécurité, et l'emploi, mais bien aussi une mise en cause directe de la politique énergétique faite de gâchis et d'inconséquence par le capitalisme. Quand ils font leur le mot d'ordre: "Ce n'est pas la mine qui est périmée, mais le capitalisme", ils jettent déjà les bases de ce que pourrait être la politique énergétique d'une France débarrassée de ces exploiteurs, et fondant son développement sur l'utilisation de ses richesses propres, et non sur le pillage de celles des autres l'exploitation de notre peuple.
....l Quand les viticulteurs du midi manifestent contre les conséquences désastreuses sur leurs conditions de vie des mécanismes du marché commun agricole, ils ne remettent pas en cause simplement la politique viticole suivie par le gouvernement. Ils débattent en même temps de la place de la viticulture dans l'ensemble de l'économie, la manière dont elle pourrait être réorganisée pour garantir à chaque petit viticulteur le moyen de vivre correctement, et la possibilité de faire de la qualité et non surtout de la quantité comme le système actuel les y contraint...
....l Quand les travailleurs dépassent le cadre de l'usine dans lequel le capitalisme veut les enserrer, posent la question du cadre de vie que le capitalisme mutile toujours, réclament des conditions de santé qui tournent le dos au simple rafistolage de la force de travail, et prennent en mains un domaine que la société actuelle entendait leur confisquer, ils jettent les bases d'une politique cohérente pour la société de demain. Quand les ouvriers du trust PUK s'unissent à la population environnante pour combattre le premier pollueur de France, c'est toute la politique inconséquente d'une classe qui a fait son temps et qui raisonne en disant "après moi le déluge", qui est ainsi mise en cause. C'est toute une politique irresponsable que les travailleurs viennent à mettre en cause, parce qu'elle compromet non seulement la société d'aujourd'hui, mais aussi celle de demain.
....l Quand des ouvrières de la Sescosem d'Aix, refusant de céder au chantage de la bourgeoisie, affrontent la tête haute le tribunal qui les accuse d'avoir enfreint la législation sur l'avortement, c'est la place faite aux femmes du peuple par cette société qui est ouvertement mise en cause. Liant le combat revendicatif dans l'usine à la lutte des femmes, ces ouvrières condamnent ainsi ce régime qui les condamne au chômage ou leur confie à l'usine les tâches les plus exténuantes, et prétend en plus leur interdire de déterminer combien d'enfants elles désirent et quand elles choisissent de les avoir.
..... En fait, les luttes et les débats qui se mènent aujourd'hui posent partout avec exigence la question de cette société: qui y exerce le pouvoir, au profit de qui fonctionne-t-elle ? Ceux qui travaillent et qui n'exploitent pas le travail d'autrui, les ouvriers, les petits paysans, les employés démontrent chaque fois que cette société en crise, ses usines, son économie ne tournent pas pour les intérêts de ceux qui y travaillent mais pour le profit d'une minorité d'exploiteurs.
..... Remettant en cause l'organisation d'ensemble du fonctionnement de cette société, qui est directement à la source de la crise d'aujourd'hui, les travailleurs inévitablement en viennent à poser la question du pouvoir, de ceux qui l'exercent au profit d'une minorité. Que cette question en vienne à être posée directement, massivement par la classe ouvrière et ses alliés et la crise politique prendra un nouveau cours.

Chapitre 3

LA GAUCHE C'EST TOUJOURS
LE CAPITALISME

..... Mais fidèle à son rôle, la gauche est là, qui a ses solutions, ses remèdes pour conjurer la crise. Aux travailleurs qui croyaient que cette crise était grosse du socialisme parce qu'elle mettait à nu les faiblesses de l'adversaire et rendait possible et nécessaire une issue révolutionnaire qui balaierait cette vieille société et jetterait les bases de la France socialiste, PS et PC répondent ensemble: faisons l'économie d'une révolution, replâtrons ce vieux système, la France n'est pas encore mûre pour le socialisme. Et chacun avec le langage qui lui est propre, PS et PC tiennent aux travailleurs le discours suivant: le socialisme n'est pas pour demain mais de nombreuses choses peuvent changer; la condition: la victoire de la gauche aux élections, élisez-nous et puis faites-nous confiance ! le maÎtre-mot est lâché, mais faire confiance pour faire quoi ?
..... Peut-on faire confiance à des gens qui se disent socialistes, mais dont les semblables qui gouvernent déjà en Allemagne ou en Angleterre mettent en oeuvre une politique d'austérité qui n'a rien à envier au plan Barre et organisent l'économie de manière systématique pour faire payer la crise aux travailleurs. Peut-on faire confiance à des gens qui voisinent dans la même Internationale et en plein accord avec ces sociaux-démocrates allemands qui organisent dans leur pays des atteintes systématiques aux libertés démocratiques, assassinant à petit feu les prisonniers politiques, chassant systématiquement de la Fonction Publique les révolutionnaires ?
..... Peut-on faire confiance de même à des gens qui se disent communistes, mais dont les semblables qui gouvernent en Europe de l'Est organisent la suppression systématique des libertés démocratiques, instaurent dans les hôpitaux psychiatriques des tortures dignes du fascisme hitlérien, et tirent sur les ouvriers quand ils manifestent contre la hausse des prix des produits de première nécessité. Certes, au fur et à mesure que les révélations affluent sur les méfaits du "socialisme" à la Brejnev, le PCF de manière récente et réticente, les dénonce du bout des lèvres; mais il n'en continue pas moins à appeler socialisme l'immense Goulag qu'est l'URSS de Brejnev.
..... Mais le programme même de ces gens-là, avec ses contradictions, en dit encore plus long que leur affinité idéologique sur le plan international. Signataires ensemble, il y a 5 ans, d'un programme commun de gouvernement, PS et PCF prétendent aux travailleurs qu'ils disposent là d'une alternative sérieuse à la crise. Qu'importe pour eux que ce texte ait été signé avant même l'apparition de profonds bouleversements dus à la crise et qui ôtent d'emblée tout crédit aux promesses que contient ce programme. Qu'importe aussi pour eux que ce texte ait été progressivement vidé de toute une partie de sa substance par les gouvernements giscardiens eux-mêmes qui ont puisé sans retenue dans ce catalogue pour alimenter leur politique de réforme, dont les résultats insignifiants constituent déjà une première indication des changements qu'apporterait ce programme commun. Qu'importe enfin pour eux, que de ce programme, si on en retire ce que le giscardisme en a copié, il ne reste plus que la liste des nationalisation, c'est-à-dire ce qui justement divise de manière nette et répétée le PS et le PCF. Qu'importe, malgré tout cela, la "gauche" prétend offrir une alternative à la crise !
..... En fait, derrière la façade unie qu'elle prétend opposer à la droite divisée, la "gauche" cache mal que le programme commun signé il y a 5 ans recouvre deux projets bien distincts de sauvegarde du capitalisme en crise. Ces deux projets divergents rendent compte des rivalités orageuses qui ont secoué l'union de la gauche, depuis sa constitution, et fixent déjà le cadre des affrontements qui opposeront inévitablement ces deux forces si elles arrivent ensemble au pouvoir après 78.
..... Pour le PS, ses dirigeants se sont efforcés eux-mêmes de clarifier leurs positions au fur et à mesure que leur parti, de moribond en 70, est redevenu le plus gros parti bourgeois. En rebaptisant la vieille maison social-démocrate, toute vermoulue, en nouant une alliance durable avec le PCF, en lardant son programme de thèmes hérités de 1968, les nouveaux chefs de la social-démocratie cherchaient à donner l'illusion aux masses d'un nouveau parti ayant réellement rompu avec son passé. Mais au fur et à mesure qu'il se rapproche du pouvoir, le nouveau parti socialiste reprend sensiblement ses vieilles habitudes et révèle la réalité de son projet: on entend Mitterrand souhaiter tout haut le succès du plan Barre, Rocard multiplier les gages en direction du patronat, le grand comme le petit, les économistes du PS chercher la formule d'indemnisation la moins douloureuse pour les actionnaires... Hormis les six ou sept nationalisations que les socialistes se disent prêts à entreprendre, il n'y a pas d'élément de leur doctrine économique qui inquiète le patronat, et contredit la position actuelle du gouvernement. À un tel point que le plan Barre s'inspirait des propositions formulées initialement par le PS pour faire "face à la crise".
..... En fait, le seul avantage que se targue d'apporter le PS en participant au gouvernement, c'est le fameux consensus social, c'est-à-dire la paix sociale que les socialistes s'engagent à faire respecter à la classe ouvrière, au nom du redressement économique. Cette offre de service a été depuis longtemps entendue par ceux qui gouvernent aujourd'hui et qui souhaitent depuis longtemps rééquilibrer le gouvernement en cassant l'union de la gauche et en intégrant le PS. Si elle n'est pas à l'ordre du jour tant que les élections ne sont pas passées, cette possibilité demeure et le PS, parti charnière, maître du jeu demain, se garde de fermer sans appel cette combinaison par une mise en cause trop brutale du pouvoir giscardien.
..... Le PCF pour sa part entend évidemment empêcher la mise sur pied d'un tel gouvernement qui l'exclurait, aussi multiplie-t-il les mises en garde, ouvertes ou en sourdine, en direction de son partenaire et réclame-t-il d'ores et déjà partout des gages en pénétrant dans les municipalités socialistes par exemple. Mais pour être distinct de celui du PS, qui, lui, est prêt à gérer purement et simplement la crise actuelle, le projet du PCF n'en est pas moins lui aussi contradictoire avec les intérêts de la classe ouvrière !
..... Parce que s'il entend évincer certains possesseurs de moyens de production par des nationalisations élargies et dont la liste contenue dans le Programme Commun n'est qu'une étape, le PCF ne se prépare nullement à laisser la classe ouvrière exercer sa direction sur cet immense secteur nationalisé. Au contraire c'est à une couche privilégiée formée de cadres, d'ingénieurs, de techniciens, et évidemment de ses propres membres que le PCF entend confier la réalité du pouvoir et des privilèges dans les entreprises. Toute la propagande de ce parti en direction justement de ces couches-là, n'est pas simplement de l'électoralisme, mais bien un discours stratégique destiné à intéresser au projet de capitalisme d'Etat ces couches qui deviendraient de fait les véritables possesseurs des moyens de production. Ainsi s'explique toute l'orientation du 22e congrès entièrement affairé à séduire ces couches, en prenant soin de chasser tout vestige même formel de formules léninistes dans le discours du PCF. Ainsi s'explique le discours chaleureux du PCF quand il traite des entreprises nationalisées qui fonctionnent aujourd'hui, et dont il ne cesse de vanter la compétitivité, par exemple pour la Régie Renault, au mépris de l'exploitation qui sévit dans ces bagnes.
..... Ainsi s'expliquent toutes les grèves ouvrières sabotées au nom de l'unité avec les cadres ainsi que la défense de la sacro-sainte grille hiérarchique.
..... Ce capitalisme d'État que le PCF s'acharne à faire passer pour du socialisme auprès des travailleurs, on discerne sans mal ce qu'il signifie pour la classe ouvrière: une exploitation accrue et. rationalisée doublée d'une répression renforcée prenant appui directement sur une maîtrise tenue en mains par le PCF, et qui n'aura de cesse d'augmenter le rendement au nom de la productivité du travail, et de pourchasser les éléments récalcitrants qui seront accusés de saboter la production. Les vieux travailleurs qui ont connu au sortir de la guerre le comportement de la direction du PCF qui appelait la classe ouvrière à retrousser les manches pour relever l'économie capitaliste, ont déjà eu un avant goût du discours que le PCF est prêt une nouvelle fois à tenir. Généralisant le travail au rendement, traitant de fainéants ceux qui à bout de forces tombaient malades, multipliant les amendes pour ceux qui ne tenaient pas la norme, accusant d'intelligence avec l'ennemi ceux qui refusaient ces normes de travail et instauraient la grève..., c'est cette loi là, appliquée dans les houillères nationalisées en 44-47 que le PCF est prêt à faire appliquer de nouveau et plus largement. C'est cela "le socialisme aux couleurs de la France" tant vanté par Marchais.
..... Ni capitalisme d'État, ni gestion social-démocrate du capitalisme actuel, ni l'une ni l'autre des solutions contradictoires contenues dans le Programme Commun, ne correspondent à ce pourquoi luttent les travailleurs, au socialisme qu'ils veulent construire. Ceux qui tentent d'enserrer les luttes dans le carcan de l'arrivée au pouvoir de l'Union de la gauche, démontrent chaque jour que leur objectif est bien contradictoire avec les aspirations des travailleurs.
..... Mais s'il ne constitue pas une alternative pour les travailleurs, le Programme Commun n'en constitue pas non plus pour la bourgeoisie en crise. Loin de l'aider à résoudre ses difficultés et à instaurer son pouvoir, l'arrivée de l'Union de la gauche ne pourrait que prolonger la crise.
..... Comment pourrait-elle apporter la stabilité politique qui fait tant défaut à la droite, cette Union de la gauche, alors que ses composantes sont en désaccord fondamental sur le programme à appliquer et que le nouveau texte de compromis qu'ils remettent en chantier ne pourra que sanctionner un accord superficiel qui volera en éclats avec l'exercice concret du pouvoir.
..... Comment pourrait-elle entamer les effets de la crise économique mondiale, alors que PS comme PC n'entendent nullement remettre en cause l'insertion de notre pays dans l'économie capitaliste mondiale, ni non plus remettre en cause les grands flux d'exportation et d'importation qui enchaînent notre pays aux impérialismes plus puissants ? Comment pourrait-elle même commencer à satisfaire les revendications les plus immédiates des masses alors que l'arrivée au pouvoir de la gauche sera inévitablement synonyme de fuite des capitaux, de pressions internationales qui inévitablement aggraveront la situation économique ?
..... Comment enfin cette Union de la gauche pourrait-elle justement faire front à ces pressions internationales, alors que les deux forces qui la composent, sur l'Europe, sur la détente adoptent sur le fond des positions contradictoires, attirées chacune par une superpuissance différente au détriment de l'indépendance nationale effective de notre pays ?
..... Comment surtout pourrait-on croire que les travailleurs qui, depuis des années manifestent leurs aspirations révolutionnaires et veulent chasser le capitalisme, se laisseraient dessaisir de l'initiative par des forces de "gauche" qui justement sont les plus acharnées depuis l'élection présidentielle à modérer leurs luttes, à les canaliser vers la seule issue électorale, par ces forces qui reportent toujours à plus tard ce qui pourrait être obtenu aujourd'hui, si la volonté de lutter ensemble contre les plans de la bourgeoisie n'était pas sans cesse morcelée, divisée, détournée en attendant la victoire électorale de la gauche! Les travailleurs sont déjà avertis des pièges que lui tendra la "gauche" après 78 : ils briseront la paix sociale que le PS se fait si fort d'obtenir; ils ne laisseront pas le PCF utiliser leurs luttes pour modifier en sa faveur le rapport de forces avec le PS ; ils rejetteront l'accusation de "faire le jeu de la droite" s'ils ne modèrent pas leurs revendications...Déjouant ces pièges, les travailleurs feront massivement l'expérience que la gauche c'est toujours le capitalisme !

Chapitre 4

UNE SEULE SOLUTION,
LA RÉVOLUTION SOCIALISTE

..... Une telle situation de crise politique dans notre pays, ne peut connaître de dénouement en dehors d'un affrontement massif entre le camp du peuple et celui des classes dominantes. La bourgeoisie ne peut espérer voir s'alléger les multiples pressions qui déterminent sa situation de faiblesse et de crise politique dans laquelle elle est plongée. Inéluctablement, les antagonismes de classe qui se manifestent aujourd'hui avec une particulière acuité, vont connaître un développement qui va porter la crise politique actuelle à un stade supérieur ouvrant ainsi une crise nationale, une crise révolutionnaire.

..... Crise nationale et révolutionnaire; à la fois parce qu'elle mettra aux prises dans un gigantesque affrontement toutes les classes et couches sociales de notre pays qui doivent choisir leur camp entre les deux classes irréductiblement antagoniques, la bourgeoisie et le prolétariat; à la fois parce que l'enjeu de cet affrontement sera clairement et nettement aux yeux de tous la question du pouvoir. Mettant en marche toutes les couches du peuple, et avant tout les ouvriers et les paysans, qui affirmeront leur volonté de ne plus continuer à vivre comme avant, la crise les verra se dresser contre les classes dominantes marquées par la faiblesse, l'hésitation et la division, et qui ne pourront à cause de cela plus continuer à gouverner comme avant. Cette contradiction entre ceux d'en bas qui ne veulent plus être gouvernés comme avant, et ceux d'en haut qui ne peuvent plus gouverner comme avant ne peut être dénouée que par un affrontement révolutionnaire.

..... Sachant cet affrontement inévitable, et sachant que de son issue dépend la possibilité ou non d'engager la construction d'une société sans exploiteurs, la classe la plus révolutionnaire, le prolétariat se doit d'organiser toute son activité dans cette perspective et précisément celle-là : la prise du pouvoir. Mettant à profit la crise pour forger son autonomie face aux détachements de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, le prolétariat noue en même temps avec les autres couches du peuple une alliance qui crée les conditions de l'isolement des classes exploiteuses, accentue leur crise et rend possible à terme l'assaut décisif contre la bourgeoisie.

..... Le développement de ce processus d'accumulation des forces pour la révolution socialiste, s'accélère considérablement dans cette période de crise révolutionnaire, parce que cette dernière fait apparaître nettement aux yeux de tous les travailleurs, ce qui était jusqu'à présent latent, sous-jacent, enfoui. Véritable école accélérée pour les masses populaires, la crise révolutionnaire leur révèle la vraie nature des différentes forces politiques, qui ne peuvent plus masquer la réalité de leur projet derrière des comportements ambigus, mais doivent prendre franchement position pour l'un ou l'autre camp. Les forces sociales hésitantes doivent aussi se déterminer, ou adopter une attitude neutre qui leur interdit de peser sur l'issue de l'affrontement qui se prépare. Par la netteté du tableau qu'elle dresse des antagonismes de classes, des intérêts de chacune d'elles, et du programme qu'elles veulent réaliser, la période de la crise révolutionnaire permet progressivement à chaque travailleur d'oeuvrer de manière consciente pour le renversement de la bourgeoisie.

..... Le processus de développement de la crise révolutionnaire, conduit progressivement au renforcement de la détermination et de la cohésion du camp du prolétariat qui en vient à saisir avec clairvoyance qu'il ne peut espérer d'amélioration durable de son sort sans la conquête du pouvoir et l'évincement, pour lequel il est prêt à se battre, de la bourgeoisie en tant que classe dominante. En même temps le camp de la réaction hésite, se divise, tergiverse sur le meilleur moyen de reconstituer son pouvoir qu'il sent lui échapper. Quand ces conditions politiques sont remplies, la crise nationale est mûre, et l'assaut doit être donné à la bourgeoisie : c'est le moment de l'insurrection prolétarienne.

..... L'insurrection est nécessaire parce que la classe capitaliste qui depuis des décennies exploite des générations de travailleurs, fait reposer son pouvoir sur des corps spéciaux répressifs placés au dessus de la société et qui sont avant tout destinés à être le dernier rempart de la bourgeoisie, à écraser le mouvement populaire s'il réclame le pouvoir. L'exemple tragique du Chili est là pour rappeler aux travailleurs ce qu'il en coûte de laisser en place les instruments que la bourgeoisie a forgés pour la contre-révolution. Croire que la bourgeoisie, même affaiblie, divisée, hésitante serait prête à renoncer pacifiquement à son pouvoir et à céder, non pas à des exigences partielles du mouvement révolutionnaire des masses, mais à cette exigence là précisément, celle du pouvoir, c'est se tromper lourdement.

..... 36, 45, 68, et toute l'histoire de notre peuple sont là pour nous rappeler que, confrontée à la croissance des exigences du mouvement révolutionnaire, la bourgeoisie affaiblie est prête à faire des concessions, à louvoyer, à reculer même nettement, mais pour autant que la question du pouvoir, de son pouvoir soit éludée, et non remise en cause, parce que c'est justement ce qui lui permet ensuite de profiter d'un certain essoufflement du mouvement des masses, pour contre-attaquer et réimposer sa dictature sur toute la ligne. C'est pourquoi le prolétariat, loin de se laisser abuser par la faiblesse et les hésitations de la bourgeoisie, doit au contraire les mettre à profit pour consolider son camp, assurer son autonomie et ses alliances en se fixant pour objectif précis, la conquête du pouvoir par l'insurrection prolétarienne. La préparation consciente des masses populaires à cet objectif, la capacité des ouvriers les plus éclairés rassemblés dans le parti d'avant-garde, de faire parvenir toute la classe ouvrière, à travers le processus de la crise révolutionnaire, à la compréhension de la nécessité de l'insurrection prolétarienne, et à la détermination de tout faire pour la conduire au succès, c'est de cela que dépend en définitive l'issue de la crise révolutionnaire, et la possibilité d'entamer enfin la construction du socialisme dans notre pays.

..... Cette insurrection prolétarienne est tout le contraire d'un putsch, ou d'un grand soir comme le propage complaisamment la bourgeoisie, pour discréditer cette perspective. Ce n'est pas un complot fomenté pas un groupe de conspirateurs ou même un parti, mais une offensive déclenchée par une classe et prenant appui sur tout l'élan révolutionnaire d'un peuple. Ce n'est pas un complot fomenté dans le secret et qui prendrait par surprise à la fois les adversaires de cette révolution en même temps que le peuple lui même, au contraire, c'est le point d'aboutissement de tout un processus où progressivement les travailleurs ont pris conscience de la nécessité d'abattre par la violence révolutionnaire la bourgeoisie qui prépare la contre révolution armée. Enfin ce n'est pas un acte déclenché un peu au hasard, où une sorte de va-tout serait joué, mais cette insurrection se situe à un moment particulier au moment où culmine la crise révolutionnaire, que la classe ouvrière doit déterminer en appréciant à la fois ses propres facteurs de cohésion, de détermination, d'esprit d'offensive et les facteurs d'indécision, d'hésitation sur la voie à suivre qui habitent la classe bourgeoise. Et une fois ce moment favorable déterminé, l'insurrection doit être conduite par l'avant-garde de la classe ouvrière, le parti communiste, en mobilisant toute la classe ouvrière de manière centralisée, avec fermeté, et décision, suivant un plan préétabli, permettant de détruire rapidement la résistance de l'ennemi de classe en s'appuyant sur la décomposition partielle des propres forces militaires de la bourgeoisie.

*

..... La condition pour que la classe ouvrière apporte cette issue favorable à la crise révolutionnaire, est que, dans le cours même de cette crise, elle ait fait l'expérience de la nature bourgeoise des propositions du PCF. S'il a rompu récemment avec toute référence formelle à la dictature du prolétariat, le PCF a rompu depuis bien plus longtemps déjà avec toute stratégie révolutionnaire. Déployant toute son énergie à dévoyer à son profit l'énergie révolutionnaire du prolétariat, le PCF s'est acharné à colporter dans la classe ouvrière l'illusion stupide, démentie par toute l'histoire du mouvement ouvrier, que le passage pacifique au socialisme était possible, et qu'une simple mobilisation populaire suffirait à dissuader la bourgeoisie d'utiliser ses armes contre les travailleurs. Toute progression de la classe ouvrière vers la prise du pouvoir exige une rupture effective avec cette illusion bourgeoise, aussi vieille que le mouvement ouvrier. Plus largement c'est en construisant une démarcation nette avec le projet du PCF non seulement du point de vue de la manière de prendre le pouvoir, mais aussi du point de vue de la société qui en résultera et de la nature du pouvoir instauré, que la classe ouvrière réussira à forger son autonomie, autonomie indispensable pour faire avancer son projet révolutionnaire. Les premières démarcations apparues dans le cours de la crise politique actuelle, à l'occasion de telles ou telles luttes ou de telles ou telles actions ont été tracées sur la base de l'expérience des propositions révisionnistes faite par des travailleurs; demain dans le cours d'une crise révolutionnaire, c'est massivement que les travailleurs feront l'expérience du comportement du PCF et de la manière dont il tentera de manipuler le mouvement des masses pour faire progresser son projet de capitalisme d'Etat au détriment d'une partie de la bourgeoisie actuelle et avant tout au détriment des travailleurs.

..... C'est cette expérience directe qui permettra à la classe ouvrière, dans sa masse, de saisir la nature réactionnaire du projet du PCF et de s'opposer avec conséquence aux tentatives de ce parti de détourner à son profit le combat révolutionnaire qui sera engagé. La perspective concrète du socialisme en rupture nette avec le capitalisme d'État que le PCF prétend imposer, contribuera à tracer cette ligne de démarcation entre le projet bourgeois du PCF et le socialisme pour lequel se battent les travailleurs.

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